1.3.7. Un cas particulier : l’impression de papiers veloutés

C’est par le biais des papiers veloutés que le papier peint a démarré en France lorsque Réveillon commence par les poser avant de les fabriquer à son tour si l’on en croit la légende qu’il a bâtie396. Lorsqu’en 1770 est commencé le premier album de Billot397 rassemblant chronologiquement la production de Réveillon puis de ses successeurs, il débute par une série de tontisses ; l’une d’entre elles, retrouvée récemment avec le cachet de la Manufacture Jacquemart & Bénard et achetée vers 1800398 porte le n° 4 de la manufacture (ill° 2.2); Réveillon y copie au détail près une des plus célèbres tontisses anglaises des années 1730, connue pour avoir décoré la Queen’s drawing room à Hampton Court (ill. 2.1)399. Nous avons de bonnes raisons de croire que Réveillon l’a créée bien avant 1770, à partir du moment où il ne pouvait plus importer des tontisses anglaises par suite de la Guerre de Sept ans, en 1756. Il copie alors le motif anglais et, sans doute aussi, la technique anglaise (il n’y a qu’une seule couleur) que nous décrit précisément Dossie400 : d’après lui, l’on imprime un vernis sur un papier déjà foncé à la planche ou au pochoir, l’on recouvre toute la surface avec de la tontisse que l’on écrase avec une planche ; le papier est ensuite suspendu sur un cadre jusqu’au séchage, puis il est brossé avec une brosse de poils de chameau.

Mais Réveillon a appris rapidement le métier et les papiers veloutés qu’il crée dans les années 1770-1780 sont parmi les plus extraordinaires jamais réalisés sur le plan technique : c’est le cas par exemple d’un motif imprimé pour la première fois en 1775 et qui imite au détail près une soierie lyonnaise (ill° 2.4)401 : ce motif fait appel à sept couleurs différentes et Réveillon combine les couches de tontisse avec l’impression en couleurs, preuve d’une rare maîtrise dont on n’a pas l’équivalent anglais. Cela dit, il existe une longue tradition de l’usage de la « tontisse » en France, en particulier sous ses formes multicolores : parmi bien d’autres, Claude Audran la pratique sur toile avant 1715, de façon à imiter les tapisseries de laine402, avec une technique sans rapport avec l’impression. En revanche, quand s’impose avec force l’imitation des papiers d’Angleterre à partir des années 1750403, ce sont des graveurs qui se lancent dans cette fabrication : le graveur Didier Aubert, qui avait repris l’affaire de Papillon, en produit avec succès, d’autres suivent. C’est dire que la technique est bien connue et, quittant les ateliers de gravure, elle va s’intégrer aux ateliers naissants de papier peint.

L’inventaire de l’« atelier du velouté » d’Arthur & Grenard donne une idée précise du matériel nécessaire :

‘1 Poele de fonte
3 Tables A presse garnie de leurs draps
3 Baquets
1 table de Pierre404
2 Drapoirs
8 pieds de baquets
8 boëtes a baquet
2 blutoir à laine
3 Moulins à laine
21 Tonneaux à laine
2 grandes mannes à laine
2 grands Tamis
2 Moutures de Moulin
1 Ballet’

ce qui nous permet de suivre le processus de fabrication.

Le velouté (ill° 13) est fabriqué avec de la tontisse de laine, obtenue en tondant les draps. On préfère celle des draps blancs, plus facile à teindre ; après teinture et séchage, on la stocke en tonneau. On la porte ensuite au moulin où à l’aide d’un système de lames, on obtient une mouture de la finesse souhaitée. Le blutoir permet par après de la tamiser405. A l’aide de la table à presse dotée de son châssis, l’on y imprime à la planche un mordant en fonction du motif souhaité ; en 1822, ce mordant est formé d’ « huile de lin rendue siccative par la litharge, et broyée ensuite au blanc de céruse », tous produits qui apparaissent déjà dans les inventaires du XVIIIe siècle406. La presse est sans doute nécessaire pour obtenir une parfaite adhésion du mordant : son très long levier (au moins 3 mètres !), tel qu’il est représenté chez Arthur & Grenard (ill° 13.1 gauche), doit développer une force extraordinaire ! Vient l’opération la plus spectaculaire qui nécessite l’utilisation du « drapoir », que Le Normand décrit comme

‘une grande caisse de sept à huit pieds de long, deux pieds de large dans le fond, et trois pieds dans le haut, sur quinze à dix-huit pouces de profondeur. Elle a un couvercle à charnière, qui se rabat dessus. Son fond est formé de peau de veau fortement tendue.’

Ceci correspond à ce que nous voyons en 1789, à un détail près (ill° 13.1 droite) : il n’y a pas de couvercle chez Arthur407. Le tireur prend le rouleau imprimé de mordant et le couche dans le drapoir (chez Arthur, il y a un marchepied pour l’enfant), il le saupoudre de tontisse, ce qui ne va pas sans poussière, ainsi que Moëtte s’est plu à le représenter chez Arthur ; puis, avec deux baguettes longues, le fond de peau est frappé en cadence avec des baguettes longues : l’opération terminée, le rouleau est secoué avec une baguette pour faire détacher la tontisse qui n’est pas fixée avant séchage sur l’étendoir.

Si le motif exige plusieurs coloris de tontisses, l’opération est à recommencer avec une nouvelle planche et de la tontisse de couleur différente. Mais il est aussi possible d’imprimer en détrempe sur la tontisse : la technique rejoint alors celle de l’impression traditionnelle. Chez Réveillon, les plus beaux effets sont obtenus par le mélange des deux techniques (ill° 2.4).

Dans ces conditions, on peut imaginer ce qu’a coûté la réalisation de la vingtaine de rouleaux nécessaire au décor somptueux de la Palladio Room de Clandon Park vers 1783 avec quinze couleurs de tontisse différentes, sans repiquage408 !

Au contraire, il se fabrique aussi des papiers veloutés unis : Jacquemart & Bénard produisent

‘des papiers tontisses qui imitent le drap à un tel point que dans leur emploi sur les tables, sur les bureaux, ils peuvent remplacer les draps de la plus belle qualité’

constate le rédacteur duJournal du Lycée des arts 409.

L’essentiel des tâches est ici exécuté par des enfants : le seul adulte de l’atelier est un imprimeur ; la liste de personnel de Jacquemart & Bénard en 1795 assimile les « citoyens employés au moulage des laines à la composition des papiers veloutés » aux métiers les plus bas placés dans la hiérarchie de l’entreprise : lissage, collage, rognage…

Notes
396.

 Voir sa Relation historique de 1789, p. 5.

397.

Nous ne savons pratiquement rien à leur sujet : voir Bruignac 1989. Il est clair que nombre de dates sont approximatives : des documents antérieurs ont été catalogués après coup.

398.

Jacqué 2001, p. 3. MPP inv. 999PP7, don Subes. Le catalogue de la vente Coutau-Bégarie, Drouot 18 juin 2001, en donne un exemplaire sous le n° 340 dont le motif est en tous points semblables à celui d’une soierie n° 339.

399.

Oman-Hamilton 1982, n° 60-62)

400.

Dossie, 1758, p. 422-426.

401.

MPP, inv. 981PP3.

402.

Clouzot-Follot, 1935, p. 22-36.

403.

Madame de Pompadour, par exemple, en achète au marchand-mercier Lazare Duvaux en 1754 pour son appartement versaillais (Havard 1887, tome 4, colivres 60).

404.

Nous en ignorons l’utilité.

405.

Il y a 500 livres de laine moulue évaluées à 750 livres stockées dans l’atelier de velouté d’Arthur.

406.

Arthur stocke 20 terrines de mordant évaluées à 60 livres.

407.

Il n’y en a toujours pas dans une illustration du Scientific American de novembre 1881, cf. Jacqué 1991, p. 28 : ce n’est pas une règle, pour le malheur des poumons des ouvriers !

408.

Jacqué 1995, p. 86.

409.

Journal du Lycée des arts, p. 15.