1.5.1.3. Toile et papier d’apprêt

Les mémoires de la Maison du Roi attestent que, le plus souvent, sur le mur est tendue une toile, toile que l’on retrouve en place dans nombre d’intérieurs du XVIIIe siècle536: Le propos est alors d’isoler le papier du mur et donc de la condensation qui risque d’entraîner son décollement ; en 1831 encore, le manuel de Garnier-Audiger conseille :

‘Quand on doit couvrir un mur de papier de tenture, on ne peut le coller sur le mur nu sans qu’il s’en détache ou qu’il moisisse et se tache, si le mur n’est pas très sec537

Cette toile ne doit pas être tissée serré, pour éviter qu’elle ne rétrécisse au moment de la pose du papier. Ainsi, cherchant à acheter de la « toille à coller » à Strasbourg le 13 mai 1790, N. Dollfus & Cie craint qu’on ne lui vende une toile trop forte et précise :

‘il faut un fil mince et dont le tissu soit presqu’autant écarté que le cannevas538 .’

Mais cet usage transforme aussi les papiers que nous connaissons traditionnellement immeubles en meubles, ce qui en permet leur vente, alors que, encore rares, ils sont coûteux, ce que démontrent les nombreux exemples relevés par Havard539 comme, parmi bien d’autres, dans les Annales, affiches & avis divers du 13 février 1777:

‘A vendre, chez M. Hubert, rue de l’Université, aux petites écuries de Monsieur, une tenture de papier cramoisi velouté, collé sur toille, avec baguettes dorées.’

Les documents retrouvés en place montrent des toiles de tissage assez lâche, de chanvre plutôt que de lin540 . En 1787, un mémoire précise même l’utilisation de toile d’Ourville541. Ces toiles sont clouées sur châssis, ce qui suppose alors l’emploi de baguettes dans les angles. Garnier-Audiger précise  leur pose:

‘Il faut donc (…) d’abord tendre avec des clous à tête plate, sur des tringles de bois (fixées au pourtour du mur), de la toile à coller, dite d’embourrure, sur laquelle on colle du papier gris mince avant d’y poser le papier de tenture542.’

Dans d’autres cas, elles sont tendues à l’intérieur de boiseries543. Elles peuvent se détendre et nombre de mémoires de la Maison du Roi mentionnent qu’il faut les retendre :

‘Pour avoir détendu & retendu toutes les toilles de l’escalier de Mr Paris les avoir marouflé &c 10 10544

Mais la toile est loin d’être la règle, surtout quand on avance dans le siècle : dans les années 1790, Hartmann Risler ne commande des toiles que pour des plafonds545. En fait, les cas varient à l’infini et l’on pourrait en citer dans un sens comme dans l’autre, ou même des cas particuliers où la toile n’apparaît que sur les murs extérieurs, pour éviter les effets de la condensation546. Une exception quand même : on ne rencontre pas du tout de toile aux États-Unis. Ceci peut s’expliquer par l’usage systématique du bois dans la construction qui isole bien les maisons et évite la condensation. C’est ainsi que les papiers peints de la Phelps-Hatheway House à Suffield (Connecticut), posés sans toile en 1795-96, sont parvenus jusqu’à nous dans un rare état de conservation547 Une exception dans l’autre sens : si l’on pose le papier peint sur un autre support que le plâtre, la toile devient indispensable :

‘Garde-meuble :
Girault, Md pour meubles rue Dauphine à Versailles
1787
Pour Monseigneur le Dauphin
- gratage et encollage de 3 toises de murs à 15 la toise 2 5
- trois aunes de forte toile pour recouvrir un pillier en pierre
A 36 cloué 6548

La toile se retrouve aussi, mais pas toujours, clouée sur les cloisons de bois de façon à éviter les déchirures quand jouent les planches. Elle permet par ailleurs de faire disparaître des ouvertures devenues inutiles, comme en 1787 à Versailles :

‘Pour Mgr le dauphin
- 5/4 de toile cloué pour boucher une fenêtre perdue 19549

Sur cette toile ou directement sur le mur, on pose pratiquement toujours un papier d’apprêt. Ce peut être une maculature ou un papier imprimé : les cas en sont nombreux, parfois cocasses. Le Journal officiel de l’éphémère Royaume de Westphalie (1807-13) a fini comme papier d’apprêt du panoramique connu sous le nom de Procession chinoise 550. Ce type d’usage représente une aide appréciable pour l’historien, en lui donnant des références chronologiques. Mais, ce peuvent être toutes sortes de papier : les fournisseurs de la Maison du Roi, comme Robert, posent presque systématiquement du « papier gris551 » ou du « papier bleu » : ainsi, au Château de St Cloud, le 5 août 1786 :

‘Pour le service de la Reine
Ornements grisailles et arabesques coloriés dans le cabinet
- 20 au(nes) de toile forte dans ledit 1 10 30
- 8 mains papier bleu sur les dites toiles 8
- 6 panneaux arabesques coloriés de 21° de large sur 6 p 6° de haut
(à)72 402552

Mais au lieu de ces papiers de qualité médiocre, on est étonné de retrouver à l’occasion des papiers de grande qualité ; le papier blanc est mentionné à l’occasion dans les mémoires, sans qu’apparemment rien ne justifie ce surcoût. Dans le manoir de Mézières (canton de Fribourg, Suisse), on en trouve même dans une chambre de domestiques où sont posés des fragments de papiers peints récupérés : le papier d’apprêt en est un superbe papier blanc, sans doute lui aussi « récupéré »…553

Notes
536.

Pas de toile chez Papillon, à l’exception de la planche VII : il semble que ce soit pour des panneaux imitant la tapisserie, comme celui de l’église des Guibertes, Mônetier les Bains, cf. Schöpfer 1993, p. 9.

537.

Garnier-Audiger 1830, p. 86-88.

538.

MPP, Z 94.

539.

Havard, 1887, tome IV, collivres 79.

540.

Le jute, souvent cité à tort, n’est importé en Europe qu’à partir du milieu du XIXe siècle.

541.

- 7 aunes de toile d’Ourville cloué pour recevoir les lambris en pap. à 15 (sous), A.N. O1 3641 2. Il s’agit d’Ourville en Caux (Seine Maritime).

542.

Ce qui suppose de poser une autre baguette, cette fois-ci sur le papier, dans les coins, de façon à obtenir une bonne tenue. Un exemple a survécu dans la villa Bianchi-Bandinelli de Geggiano près de Sienne, voir Marshall 2001.

543.

Comme par exemple dans l’actuel hôtel de ville de St Jean de Losne où, sur le mur, est collée directement une tontisse.

544.

A.N. O1 3080,1 n° 848.

545.

Un exemple en est conservé aux Musée des Arts Décoratifs de Paris, cf. Hoskins, 1994, p. 92, ill° 128. La toile est en particulier indispensable pour les plafonds en creux.

546.

Ce qui semble devenir sa principale raison d’être quand on ne revend plus les papiers peints usagés. Les fichiers du MPP en montrent des exemples très variés.

547.

Jacqué 1995, p. 84.

548.

A.N., O1 3641,2.

549.

Idem

550.

 Exemplaire présenté au Deutsches Tapetenmuseum de Kassel, avec la maculature.

551.

Celui que préconise encore Garnier-Audiger en 1830.

552.

Avec tout un ensemble de papiers d’ornement complémentaires

553.

Cf Jacqué (Bernard) 1995, p. 33-35.