Le terme anglais de print room 711 est couramment utilisé pour désigner des pièces dont les murs sont décorés de gravures généralement en noir et blanc, encadrées de bordures et collées directement sur un mur couvert d’un papier uni de couleur le plus souvent pâle. Ce type de décoration a rencontré un grand succès dans les Iles britanniques, des années 1750 au début des années 1800. L’exemple le plus célèbre et le plus élaboré, celui de Woodhall Park (1782) se compose de plus de 300 gravures, entre autres des Vues de Rome de Piranèse, des panneaux des Loges de Raphaël au Vatican, qui se combinent avec toutes sortes d’éléments décoratifs, guirlandes, festons, vases, le tout sur un fond bleu pâle, dans un esprit encore rococo. En Suède, le Cabinet vert du château de Rosersberg712, où des gravures coloriées de paysages posées en 1798-89 se détachent sur un papier vert anglais, et le Cabinet bleu du château de Tullgarn, réalisé en 1800 en posant des gravures en noir et blanc de vues de Rome de Volpato et Ducros sur un fond bleu713, en proposent une version néoclassique, plus austère, sans éléments décoratifs autres que les encadrements. Même si on n’en retrouve aucun exemple ancien en France, c’est une formule qui y a aussi rencontré le succès : voici par exemple ce que Robert, marchand-papetier du Roi, installe dans l’escalier de l’architecte des Menus-Plaisirs Pierre-Adrien Pâris en 1787:
‘Pour avoir détendu & retendu toutes les toilles de l’escalier de Mr Paris les avoir marouflé &c 10 10pour un total de 193 livres 17 sous. La facture ne précise pas ce que représentaient les gravures, à l’exception des cartes ; qui plus est, la transformation d’un escalier en print room reste un cas unique. Notons aussi, qu’à la différence de ce que l’on observe en Grande-Bretagne, nous sommes plutôt dans la version néoclassique de ce type de décor, ce qui ne saurait étonner de la part de Pâris : il n’est fait mention ici que de bordures, à l’exclusion de tout autre forme d’ornement.
Il existe une autre variante de print room : les gravures y sont remplacées par des peintures chinoises utilisées comme des estampes715. Il en subsiste de nombreux exemples en Grande-Bretagne, dans l’actuelle Belgique et dans les pays germaniques : un des plus élaborés est conservé en place dans le salon chinois bleu de Schönbrunn où il a été réalisé dans les années 1780; des scènes figurées dans de grands médaillons rectangulaires se combinent ici à des éléments floraux reliés entre eux par de la végétation traitée de façon stylisée. Curieusement, en France où l’usage des papiers de Chine a été très fréquent, au vu des archives716, très peu de documents ont été retrouvés en place : pourtant, les print rooms faisant appel à des « estampes » (en réalité des peintures) chinoises est bien documenté, à défaut d’avoir subsisté.
C’est ainsi que Marie-Antoinette dans le cadre de l’aménagement de petits appartements aux Tuileries se fait poser par Robert, marchand-papetier du Roy, en 1784 :
‘15 aunes de papier fond vert anglais la Caravanne collées sur toille forte dans le passage du salon de la Reine à 45 33 15Soit un total de 287 livres 7 sous. L’effet devait être des plus étranges, puisqu’il ne s’agit pas ici d’un fond uni mais d’un papier à motif (sans doute inspiré de l’opéra d’André Modeste Grétry, La caravane du Caire dont la première eut lieu le 30 octobre 1783 à Fontainebleau, avant qu’il ne soit présenté à Paris le 15 janvier 1784718). Curieusement, deux exotismes se télescopent. Mais cette formule de décor devait être à la mode puisque on le retrouve dans une formulation plus simple, sans les effets de trompe-l’œil peints, aux Menus-Plaisirs, où la même année, Robert installe719 :
‘17 aunes 1/2 toille forte fournie et tendue dans le cabinet deLes formules se combinent à Bellevue, château construit à proximité de Sèvres pour Madame de Pompadour en 1745, puis attribué à Mesdames Adélaïde et Victoire qui le transforment après 1774720. Elles n’utilisent pas le papier peint dans le château lui-même, sinon dans des chambres de domestiques. En revanche, dans le moulin et les chaumières du Hameau du parc, Robert installe en 1784 des print rooms qui font appel aux différents types rencontrés jusqu’ici721 :
‘26 juilletpour un total de 148 livres 8 sous, auxquels s’ajoutent 110 livres 12 sous pour le décor de la corniche que justifient six bordures différentes et 99 livres 14 sous pour le décor des portes et croisées. En 1785, 55 livres 11 sous sont encore dépensées pour des réparations. La décoration de la pièce a finalement été payée 414 livres 5 sous.
Dans le cabinet d’une « chaumière », les « estampes » chinoises sont remplacées par de simples estampes dont la nature ne nous est pas précisée
‘20 aul de fond bleu anglois uni fin collé sur toille forte a 2 12 54pour un total de 184 livres 18 sous .Dans la salle à manger, l’on retrouve en fond la Caravanne combinée ici avec des gravures d’oiseaux coloriées, traitées comme les « estampes » chinoises du passage de l’appartement de la Reine aux Tuileries, en trompe-l’oeil :
‘18 aul papier fond vert anglois la caravanne collé sur toille forte et distribuées en 6 grands panneaux (a) 1 16 29 4Soit un total de 263 livres 16 sous.
Tous ces décors ont disparu avec la destruction du château à partir de 1794.
Cette approche ne semble pas le seul fait de Robert qui a fourni et mis en place tous ces décors. Lorsqu’il reprend la manufacture Arthur & Grenard, en 1789, l’inventaire fait à cette occasion montre, comme nous l’avons vu, que la dite manufacture produit déjà des estampes en taille-douce, utilisables en print room. Mais l’inventaire de 1789 note aussi la présence de papiers de Chine en feuilles dans la chambre des ornemens:
‘44 feuilles de grand Champan (sic) a 18 792soit l’importante somme de 2217 livres. Ce sont ces feuilles qui permettent de réaliser les print rooms à la chinoise.
A Mulhouse, la manufacture Nicolas Dollfus & Cie dispose à partir d’avril 1792 d’une presse en taille douce et elle fait appel à un graveur sur cuivre du nom de Bartolo (27 3 93); l’inventaire de 1794 révèle par ailleurs 969 livres de gravures en taille-douce, classées sous “marchandises étrangères”, donc acquises auprès d’autres fournisseurs; la quasi-totalité présente un sujet mythologique ou antiquisant. On ne les retrouve plus dans l’inventaire suivant, en 1797-98, peut-être parce que la mode des print rooms tend à s’estomper.
Tous les exemples présentés jusqu’ici n’ont pas laissé de traces : nous possédons par contre, en provenance du château de Wilhelmstal (Hesse) des éléments de décors aujourd’hui conservés au Deutsches Tapetenmuseum de Kassel qui démontrent comment ils pouvaient se concrétiser à la fin des années 1780 sous une forme très raffinée (ill° 4. 6).
Les papiers peints ont par ailleurs cherché à imiter les print rooms à moindres frais dès leurs origines, avec cependant un défaut majeur, la répétition qui n’est pas le fait des ornements mais des estampes dans une print room réelle. Dès les années 1760, les manufactures anglaises en mettent plusieurs motifs sur le marché : Anthony Wells-Cole en catalogue par exemple trois modèles des années 1760 en provenance de Doddington Hall, Lincolnshire723. Le schéma en est simple : pour deux d’entre eux, sur un fond uni, des imitations de gravures en chiaro-oscuro se détachent encadrées de motifs imitant le stuc, traités dans le style rocaille ; le tout s’organise selon un axe central. En revanche, le dernier, plus élaboré, combine un encadrement naturaliste imitant le stuc mais laissant apparaître un anneau de fixation ; des petits motifs sont simplement encadrés d’une baguette peinte.
Pour sa part, Nicolas Dollfus & Cie, en 1790, dans sa première commande à Malaine724, lui demande :
‘8° vous ferez peindre par le meme homme, de la meme maniere & de la meme methode les sujets des gravur que je vous envoye, pour pouvoire etre employes en medaillons & en grappes dont vous composer & ferez composer le dessins a notre volonte. Les bordures des medaillons seront parties en ornements parti en fleurs naturelles et composes de facon qu’elles puissent servir pour etre colles sur des fonds unis en place de gravures qui sont fort usitees en allemagne le peintre naura pas besoin de le tenir à la grandeur des estempes il peus les rapetisser ou les agrandir comme il lui plaira pourvu que le caractere sy retrouve toujou(r)s. Il peut meme esayer den faire deux coloris & l’imitation de la peinture a lhuile mais en meme temps avoir lattention de bien distinguer les tons.’Ces médaillons sont probablement destinés à être gravés puis imprimés à la planche en détrempe. Le papier peint reprend donc, avec sa technique spécifique, le principe de la print room. Mais, originalité par rapport aux cas précédents, on peut noter la présence des encadrements, différents, faits d’ornements et de fleurs naturelles, dans le goût propre à la période, alors en plein essor. Aucun exemple ne s’en est jusqu’à présent rencontré sur le mur.
A défaut d’imitation aussi précise, puisque ici le fond n’est pas prévu, les médaillons étant destinés à être découpés, le papier peint de la fin du XVIIIe siècle reprend le concept de print room en juxtaposant des scènes imitant la gravure sous le forme de médaillons circulaires encadrés d’éléments végétaux. L’exemplaire le plus somptueux se trouve sur les murs d’une pièce de la Campagne de Barri aux Mées dans les Alpes de Haute-Provence. Deux scènes circulaires à motif antiquisant imitent à la perfection la gravure, en particulier par leur traitement en grisaille ; elles sont encadrées de tors de fleurs au naturel et se détachent sur un fond blanc habillé de rinceaux ; pour séparer les scènes circulaires s’inscrivent selon le même principe des scènes de sacrifices antiques d’un rendu plus sobre. L’effet global tient de la print room raffinée, seule la répétition en limite l’effet. Pour l’instant, le document n’a pu être clairement attribué, il date à l’évidence des années 1790-95 mais a dû être ici posé cinq à dix ans plus tard au vu des encadrements de fenêtres725. En 1800-01, Hartmann Risler met sur le marché un « papier à tableaux », n° 501, conservé au Cabinet des estampes de la Bibliothèque nationale et sur le mur d’un intérieur de St Sever dans les Landes726. Le principe est le même : des médaillons à motifs antiquisants imitant la gravure entourés de rameaux et séparés par des pointes de diamant. L’encadrement est moins élaboré que précédemment mais en revanche, il y a quatre motifs différents, ce qui rend l’ensemble plus varié.
On peut rapprocher de ces imitations de print room une récente découverte, même si elle en diffère quelque peu. Dans une ferme de Couvet dans le Val de Travers (Canton de Neuchâtel, Suisse)727 a été retrouvé un papier peint à fond bleu sur lequel se détachent des scènes coloriées encadrées comme dans une print room ; elles sont complétées par des cartouches à motif d’amours à l’antique, traités en camaïeu ; les différent éléments sont séparés les uns des autres par un carroyage sous la forme d’un motif imitant une bordure. Jusqu’à nouvel ordre, le motif, datable de la fin du XVIIIe siècle, ne peut être attribué.
La synthèse la plus récente sur la question est l’article print room de Banham 1997, avec une large bibliographie.
Cf. Groth 1990, p. 151-153.
Cf. Groth 1990, p. 109-110.
O13080,1, n° 848.
Cf. Wappenschmidt 1989, p. 62-65, illivres 99-102.
Cf. le Livre-Journal de Lazare Duvaux, Marchand-bijoutier ordinaire du Roy 1748-1758, Paris 1873, passim et les archives de la Maison du Roi à partir de 1778.
A.N. O13629.
Cf. Catalogue Musée de l’impression sur étoffes, Mulhouse, 1977-78, n° 39, p. 68-69.
A.N O1 3068, 1 chap. 5, n° 93
Biver 1933.
A.N. O1 3631,2
A. N. idem.
Wells-Cole 1983, n° 42, 43, 44.
MPP Z 94, 24 mars 1790.
Dossier conservé au MPP.
Blanc-Subes 1992, p. 59-85.
Copier-coller1996, p. 81.