1.6.8. Panneaux de motifs à double chemin

Il arrive que les panneaux ne soient pas des panneaux en tant que tels mais qu’ils soient fabriqués à partir de papiers peints en arabesques à simple chemin. C’est bien sûr le cas dans des intérieurs de moyennes ou petites dimensions, où il est difficile d’installer des panneaux de plus de 2 mètres de haut, mais à l’évidence, des facteurs financiers ont pu aussi jouer, ce type de papier étant moins coûteux parce que répétitif et généralement moins riche en couleurs.

La trace la plus ancienne apparaît en 1785, lorsque Robert décore de papiers peints le salon de Monsieur Pigrède au garde-meuble de la façon suivante:

‘132 pieds corniche a l’effet large collé sur toille au plafond
du salon à 12 79 4
54 aunes grand arabesque fond bleu royal en deux dessin N° 139 colé sur toille forte dans le sallon et distribué en 11 grands panneaux à 46 124 4
9 aunes de pilastre fond bleue royal distribué en 10 parties et colé dans ledit salon a 3 27
27 aunes fond uni gris uni collé sur toille forte pour former
les champs a 25 33 1
276 pieds moulure a l’effet de 3 po: de large pour encadrer les grands
panneaux a 6 82 16
209 pieds dit d’un po: 3/4 pour ledit pilastres à 3 31 7
9 pieds de rinceaux de 3 po: sur fond bleue pour former un pilastre
à coté d’une porte a 9 4 1799 ’

Robert utilise ici un motif répétitif à deux compartiments qui se vend à l’aune à un prix bien moins élevé qu’un panneau, 46 sous l’aune, contre 10 à 20 livres. voire 21 le panneau (soit environ deux aunes) pour la chambre du Roi aux Tuileries800. Apparemment, d’après la hauteur des pilastres, on a retenu pour les panneaux une hauteur d’environ 1 m, soit les deux compartiments : en revanche, ces panneaux sont très larges, cinq largeurs, soit quelque 2, 50 m. Sur un fond bleu roi, il pourrait y avoir un motif en camaïeu, ce qui expliquerait les champs en papier uni gris. Aucun exemple comparable ne nous est parvenu.

En 1790, Arthur & Robert installent au Garde meuble le salon de Monsieur Chanteraine :

‘8 mains de papier gris collé sur mur 18 10
Distribution du N° 790 blanc mat pour panneaux arabesques en coloris sur fond olive
Savoir
7 Panneaux de chacun 20° de large sur 8 pieds de haut a 12 84
10 Pilastres de chacun 8° de large sur 8 pieds de haut 6 60
249 pieds de tors de fleurs de 4° pour encadrement desdits panneaux et
Pilastres formant champ a 8 99 12801

La formulation se rapproche ici de la formule traditionnelle : même réalisés avec un motif répétitif, les panneaux ont 0, 54 m de large et 2, 59 m de haut.

Nous possédons aussi plusieurs exemples conservés in situ de ce type d’utilisation, ce qui permet de voir les différentes formes qui ont été mises en œuvre.

A Gengenbach, une petite ville du Pays de Bade, le Rieneckerhaus en conserve la formulation la plus simple (ill° 3. 9b)802. Cette maison construite vers 1770 pour un notable de la ville, Victor Kretz, est de proportions modestes : le grand salon de l’étage noble n’a, par exemple, que des portes à simple battant. C’est la qu’ont été posés des papiers peints vers 1790. Pour essayer de donner de la grandeur, au sens propre comme au sens figuré à la salle, l’espace des cloisons au-dessus du lambris de bois a été couvert de papier vert anglais sur lequel ont été posés assez maladroitement des pilastres (au sens premier) de proportion lourde, par manque de hauteur.(environ 2,20 m sous plafond). Entre ces pilastres a été collé un papier peint répétitif à trois compartiments encadré comme un panneau ; la partie supérieure est traitée en chapeau de gendarme tandis que la partie inférieure est légèrement cintrée. Trumeaux et dessus-de-porte sont obtenus en découpant un compartiment du motif.

L’ensemble a une allure vieillotte : la forme des panneaux, par exemple, reste rocaille en 1790. Et le rapport entre le décor et la pièce manque d’élégance, même si le papier peint, tout répétitif qu’il soit, se lit sans difficulté comme un panneau.

Il en est tout autrement dans le salon d’été raffiné du château d’Allaman, ill° 3. 11b (Vaud, Suisse)803. Ce salon de bonnes dimensions (7, 80 sur 6, 50 m) a été décoré peu après 1790 d’un ensemble de boiseries de grande qualité804 : des pilastres ioniques sculptés découpent l’espace en champs, au-dessus de bas de lambris de boiserie. Dans ces champs sont tendues des toiles sur lesquelles à l’origine a été posé un papier vert anglais805 encadré d’une bordure. En fonction de l’emplacement, mais de façon symétrique, un ou deux panneaux encadrés ont été placés sur ces champs. Le décorateur a eu l’idée d’utiliser, à défaut de panneaux, un motif d’arabesques répétitif à trois compartiments, ce qui donne au panneau une hauteur de 2,30 m ; le choix se révèle particulièrement heureux dans la mesure où le compartiment inférieur présente un groupe de personnages sur un cartouche rectangulaire, équivalent d’une terrasse, ce qui donne de l’assise au motif. Il est étonnant en revanche que la partie supérieure ne soit pas découpée au-dessus du bouquet, ce qui aurait permis d’achever l’ensemble et lui donner la totale cohérence d’un panneau. La bordure, d’un motif léger se référant au monde du jardin, accuse le caractère estival du lieu, comme devait le faire l’harmonie des verts, remplacée actuellement par des blancs, très froids.

En dépit de l’absence d’une corniche plus importante en stuc ou en papier peint qui aurait structuré l’ensemble, le résultat n’est pas sans grandeur ; si un jour l’on restaure le vert anglais d’origine, la pièce gagnera beaucoup en authenticité et perdra de sa froideur.

L’élégance de l’ensemble est frappante par rapport à l’autre utilisation de ce papier peint : il a été posé vers 1790 dans la salle à manger du juge Lecoq à Arras (ill°. 3. 11a) ; ce juge s’est fait portraiturer par Dominique Doncre avec sa famille dans son décor intime en 1791806. Le même papier qu’à Allaman y est utilisé, mais inversé807. Là aussi, le décorateur a travaillé en panneaux, sans champs, en alternant le motif et des panneaux de vert anglais uni808 mais il a pris son assise sur le bouquet ; par ailleurs, en l’absence de champs, il utilise cinq compartiments, ce qui entraîne la répétition de deux compartiments. En donnant l’impression de remplir au maximum l’espace disponible, la pièce perd en dimension architecturale mais y gagne en intimité.

Une autre réussite utilisant en panneau un motif répétitif : la salle à manger de la Bastide X à Aix-en-Provence809. Il a été fait appel au motif dit des Deux pigeons 810, formé de deux compartiments : l’un avec un cœur de feuillage au-dessus d’une draperie en lambrequins et l’autre, le bouquet que survole une des deux colombes. Bien centré sur le bouquet du point de vue de la hauteur, il fait appel à trois compartiments ; le motif central a été complété des deux côtés par un demi-motif en largeur, ce qui donne un format quasi carré au panneau. Une bordure architecturale encadre le panneau et le fait se détacher sur un fond de papier cendre bleue picoté. Le résultat apparaît à la fois simple et élégant, parfaitement en harmonie avec les proportions modestes de cet intérieur.

Beaucoup plus raffiné encore se révèle être le boudoir de la maison du Tilleul à St Blaise (canton de Neuchâtel, Suisse)811. Dans ce petit manoir dont le décor a été remanié après 1791 par André-César Terrisse, un des associés de la fameuse maison de commerce internationale Pourtalès & Cie 812, ce minuscule boudoir (3 m de côté) se présente décoré d’une boiserie très simple, percée de trois portes et d’une fenêtre. Dans les espaces disponibles, une variante du motif n° 600 de Réveillon813, a été posée sur toile ; le motif n’a que deux compartiments, mais le poseur a fait appel à trois compartiments, en centrant sur le superbe vase ; les personnages du second compartiment se présentent sous quatre formes différentes, ce qui facilite le montage en évitant une désagréable répétition.

Plus exceptionnel, le décor de toutes les menuiseries de la pièce ainsi que les dessus-de-porte sont réalisés à partir de fragments découpés et collés de l’arabesque des panneaux et de chutes diverses. Au centre des panneaux de bas de lambris, un vase de fleurs814. Les archives de la Maison du roi mentionnent souvent ce type de décor dans de nombreux intérieurs des années 1780, mais rien n’en a été conservé, au moins dans l’état actuel des connaissances815. Enfin, la corniche est recouverte d’une frise de guirlande de fleurs en festons. Nous ignorons qui a mis au point à St Blaise un tel décor, mais un associé de Pourtalès ne pouvait qu’être en liaison permanente avec Paris et ses environs où il avait dû avoir l’occasion de voir des décors de ce genre.

Les motifs répétitifs peuvent aussi être posés comme panneaux en alternance avec des pilastres. Deux remarquables exemples ont subsisté jusqu’à nos jours.

A Prégny816, dans la banlieue de Genève, différentes pièces de la villa Le Reposoir, une résidence de la seconde moitié du XVIIIesiècle d’une famille de banquiers de notoriété ancienne, ont été décorées de papier peint dans les années 1790. Dans une chambre avec alcôve du premier étage, l’ensemble du mur a été couvert directement sur le plâtre d’un papier vert anglais. Sur ce mur a été posé en panneau un papier peint répétitif à deux compartiments, avec un simple encadrement de perles. En alternance avec ce panneau, et encadré des mêmes perles, un rare pilastre lui-même répétitif, est posé de façon très heureuse, parce que ses compartiments sont de même dimension en hauteur que celle du papier peint utilisé en panneau. De plus, panneau et pilastre font appel à des éléments raphaélesques très précis qui accentuent l’unité de l’ensemble.

Un ensemble récemment démonté et proposé sur le marché817 reprend un semblable schéma mais entièrement en papier peint et en tenant compte de la spécificité de l’arabesque. Dans ce salon de la Madeleine, une demeure proche de Chambéry, la décoration a été refaite en 1792. Au-dessus d’un bas de lambris en papier peint (une grisaille, très simple) a été posé un papier uni vert anglais repeint par la suite en bleu roi. Sur ce fond se détachent 12 panneaux et 8 pilastres. Pour les panneaux a été retenu un motif à deux compartiments : on a superposé trois compartiments pour atteindre une hauteur de 2,20 m en jouant de l’alternance propre à l’arabesque et aux personnages qui y figurent. Quant àux pilastres, ils sont de deux types : le premier est en parfaite cohérence stylistique avec le motif utilisé en panneau ; quant àu second, il se révèle répétitif, simplement parce que l’on a utilisé la moitié du motif d’un papier à double chemin. Des bordures d’encadrement et une frise de rinceaux complètent l’ensemble.

Notes
799.

A.N. O13634,1

800.

A l’inventaire de Mulhouse en 1794, les panneaux à oiseaux figurent pour 4 livres pièce.

801.

A.N. O13652.

802.

Pas de monographie. Dossier au MPP. « Panneaux » IIIB79, pilastres de Réveillon n° 488-490, bordure de Réveillon n° 807. L’ensemble a été récemment lourdement restauré ; de la peinture sur bois a remplacé le papier uni d’origine. Voir pour de rares renseignements sur la maison Rossbach 1991, p. 244-251.

803.

Actes du colloque du 16 novembre 1994 Les papiers peints du château d’Allaman, Service des bâtiments du canton de Vaud, section monuments historiques et archéologie, Lausanne 1995, p. 17-28. L’ensemble est en bon état, mais le fond vert anglais a été repeint en blanc.

804.

Attribuées à Jean Jaquet, op. cit., note 16. Elles étaient peintes à l’origine en vert d’eau. Le salon était meublé d’une table ronde et de 14 fauteuils.

805.

Il apparaît en soulevant les bordures, op. cit., fig. 28.

806.

Musée de la Révolution française, Château de Vizille. Voir Oursel 1970, p .419-422 ; voir aussi catalogues Premières collections, Vizille 1985, p. 67, FRAM en Rhône-Alpes, n° 80, Bourg-en Bresse, 1986, p. 128. Ce tableau fait souvent l’objet d’illustrations fragmentaires qui le dénaturent ; l’illustration correcte la plus accessible est celle de Ariès (Philippe) et Duby (Georges), dir. Histoire de la vie privée, volivres IV, Paris 1987, p. 32.

807.

Les copies sont chose courante, mais il est possible que le métier de miniaturiste de Doncre suppose l’ utilisation d’une camera oscura qui inverse le motif.

808.

Cette pratique se retrouve dans l’alcôve du château de Villers-en-Ouche, voir Jacqué 1995, p. 86.

809.

Fusrier-Dautier 1977, p. 104. Dossier documentaire au MPP. L’ensemble a été fortement « restauré » au début des années 1990. La Bastide en question porte naturellement un nom, mais son propriétaire souhaite garder l’anonymat.

810.

IIIB6, variante 2 que l’on retrouve aussi au domaine de Beaulieu à Rognes (ill° 3. 4a).

811.

La dernière mise au point est l’œuvre de Claire Piguet « Laisser parler… les papiers peints, quelques exemples neuchâtelois du XVIIIe siècle », Copier, coller, actes du colloque de Neuchâtel, 8-9 mars 1996, p. 70-77. L’ensemble, partiellement démonté, n’a pas encore livré tous ses mystères, on aimerait en particulier savoir quelle a pu être l’ampleur de l’intervention d’Eugène Terrisse dans cette pièce dans les années 1920 ; dans quelle mesure certains découpages lui sont-ils dû ? Les panneaux sont actuellement conservés au musée national suisse, au château de prnagins (Vaud).

812.

Voir Caspard 1979.

813.

IIIB5, actuellement démontés.

814.

Des vases de fleurs comparables sont utilisés dans le décor du plafond du Pavillon italien d’Ostankino ; mais le même vase se retrouve aussi dans un dessus-de-porte de Moccas Court.

815.

Comme les intérieurs des pavillons de jardin de Montreuil ou, aux Tuileries, les encadrements de « glace».

816.

Dossier au MPP. L’ensemble a été restauré avec soin, mais le fond vert anglais est devenu désormais rouge.

817.

Vente Coutau-Bégarie, Drouot, Paris, du 4 juin 1999, n° 69 du catalogue, remarquablement documenté. Le motif du panneau est numéroté IIIB73, le premier pilastre IIB20 et le second, en fait un motif répétitif à deux chemins, IVB119. En 2002, cet ensemble se trouvait sur le marché de l’art en Avignon.