1.6.10. Les dessus-de-porte

L’usage dans la décoration à la française, depuis semble-t-il le milieu du XVIIe siècle, veut que l’espace situé au-dessus d’une porte, sous le plafond, fasse l’objet d’une décoration spécifique822. Différents matériaux sont utilisés à cet usage : textiles, sculptures et tableaux, mais aussi le papier. Lazare Duvaux vend ainsi des « panneaux pour dessus-de-porte, couverts de toile et garnis de « papier des Indes », pour reprendre un exemple de 1753823 cité par Havard.. Le même usage se retrouve pendant les dernières années de l’Ancien Régime chaque fois que la Maison du Roi fait appel à des papiers des Indes824. Des peintres en réalisent certes à l’unité, mais certains ateliers, comme celui de Besancenot à la Barrière du trône renversé, à Paris, les produisent en grande série : ce dernier est spécialisé dans les chinoiseries et les animaux825, en particulier les sujets de chasse826. L’inventaire de la manufacture mulhousienne de 1794827 liste toutes sortes de dessus-de-porte peints, sans en indiquer l’origine, exception faite du susnommé et de Rimbaud :

‘30 Dessus-de-porte A paysage 352.19
1/2 roulivres Frise A paysage 1e Classe 115.10
1 1/2 dite 4e
id 69
13 Dessus-de-portes peints A l’huile 5032.10
4 dit grisaille A enfans 204
7 dit arabesques 3010. 10
4 dits A paysages de rimbaud 357
4 dits sujets des Dieux 204
4 dits gris & bronze de besancenot 936
5 dits fd chocolat 420
4 dits bronze petits 9018.’

Mais le papier peint s’empare aussi de ce type de décor auquel il s’adapte sans difficulté : il ne le fait que de façon tardive, au plus tôt dans les années 1780, d’après les traces conservées828. L’étude se heurte au vocabulaire utilisé qui, de par sa relative imprécision, ne simplifie pas la besogne : l’on retrouve les termes « dessus-de-porte », certes, mais aussi « camées » (ou « camés », sic), voire « attique ». Le terme « camée » s’applique normalement à des dessus-de-porte en camaïeu, mais il semble avoir été utilisé plus largement, au moins au XIXe siècle ; au XVIIIe siècle, on peut se demander s’il ne s’applique pas davantage aux « papiers en feuilles », essentiellement des éléments d’architecture qui, le plus souvent sont, de fait, en camaïeu ; le terme d’ « attique » qu’Havard emploie pour les « corniches placées au-dessus des portes et des fenêtres » mais aussi pour les « revêtements de marbre ou de menuiserie (…) au-dessus de la tablette de cheminée829 » et couramment repris par les manufacturiers du XIXe siècle, Dufour en particulier830, mais ne semble pas en usage au XVIIIe siècle. Dans les inventaires et les courriers de la manufacture de Mulhouse puis de Rixheim, l’on retrouve aussi le terme de « paysage », faisant naturellement allusion au sujet le plus répandu de ces dessus-de-porte831.

Les mentions publicitaires en sont rares et il est remarquable que le texte du Journal du Lycée des Arts de septembre 1795 n’y fasse pas allusion, alors qu’il est fort précis par ailleurs sur les produits des manufactures. Au contraire, l’article du Dictionnaire de l’industrie de 1801 rappelle que

‘l’industrie du papier peint est parvenue à rendre (…) toutes sortes de paysages jusqu’à la marine et à des tableaux d’histoire. ’

Ceci laisse entendre que nous sommes dans un genre alors en pleine évolution. Les albums Billot, pour leur part, ne permettent pas de reconnaître de dessus-de-porte, mais peut-être, comme les panneaux d’arabesques, font-ils l’objet d’une autre classification. Cependant, ils sont présents dans l’inventaire d’Arthur & Grenard de 1789 : y apparaissent à plusieurs reprises des « camés étrusques » ( à rapprocher sans doute davantage des « papiers en feuille » que des dessus-de-porte) ou « en coloris » mais aussi « 252 dessus-de-porte grisaille » ou « 6 dessus-de-porte grisaille rehaussé d’or », « 112 dessus-de-porte paisage et en coloris » ; à la différence des papiers peints en rouleaux, ils ne sont pas stockés dans les magasins mais directement dans la boutique ou à proximité. En 1794 et 1798, à Mulhouse, l’inventaire les mélange aux « objets en feuilles » ; en 1800, ils apparaissent sous la mention « Camées, Dessus-de-porte, Figures, Ornemens »832.

L’étude faite par Camille de Singly833 sur la production de dessus-de-porte par la manufacture mulhousienne puis rixheimoise montre l’ampleur de la création dans ce domaine, encore qu’il soit difficile de la distinguer clairement dans les premières années de celle des «papiers en feuille », souvent nommés aussi « camées ». Dès la première année apparaissent des séries de quatre « paysages coloriés » (n° 32 et 36) et « grisaille » (n° 33 et 34) puis n° 40-41 et n° 42-43, n° 74-77 avec ou sans cadre, ainsi que deux séries de dix (n° 17-26) puis deux (n° 30-31) « petits pots834 » ; enfin, deux dessus-de-porte, sans précision (n° 106-107) complètent l’offre de l’année. Dans les années qui suivent, les créations de dessus-de-porte se suivent régulièrement : entre 1790 et 1804, la manufacture semble avoir mis 121 dessus-de-porte sur le marché, soit 15 % de sa production si l’on retient les n° d’ordre, ce qui en représente une part majeure. Il faut cependant minorer ce pourcentage dans la mesure où un certain nombre de camées ont davantage été utilisés dans des décors en feuilles qu’en dessus-de-porte.

Sur ces 121 dessus-de-porte, les archives permettent de préciser le sujet de 81. En tête viennent les fleurs (26) soit 33 % auxquels s’ajoutent cinq motifs combinant fleurs et oiseaux : ce qui mène à 31 modèles, soit 39 % ; les motifs où seuls sont précisés la présence d’oiseaux sont au nombre de quatre, soit 5 % ; on peut douter que les oiseaux y soient seuls représentés, ils se combinent sans doute à des fleurs – ce qui nous amènerait à 44 %. Ces fleurs se présentent en pots, en vases et en corbeilles. Leur traitement naturaliste et fortement coloré les assimile au courant des bordures à « tors de fleurs naturelles » apparu vers 1789 ; ajoutons qu’un grande nombre d’entre eux sont l’œuvre de Malaine ou réalisés sous sa direction Viennent ensuite les paysages, « coloriés » ou « grisaille » : 16, soit 20 % : ici, c’est la référence à Joseph Vernet qui revient le plus souvent – jusqu’à la copie la plus précise835. Le dernier tiers est plus difficile à définir : il y a six dessus-de-porte avec des animaux (dont une série de quatre qui se réfèrent à la chasse) soit 7,5 %. Les derniers motifs sont marqués par le néoclassicisme, qu’il s’agisse d’ornements (7), de nature mortes à vases et statues (12) et de cinq bustes, pour l’essentiel de contemporains, mais traités à l’antique (Rousseau, Franklin, Bonaparte, à côté de Cicéron et d’Homère).

Ce catalogue doit être nuancé dans la mesure où l’impression à la planche offre une grande souplesse. C’est ainsi que les bustes peuvent par exemple apparaître seuls ou avec des motifs à l’antique ou des fleurs836. Par ailleurs, la corbeille du Trépied grec 837 (n° 659) peut aussi être présentée seule comme celle des Trois grâces (n° 660). Les paysages sont aussi conçus pour être posés indépendamment ou en frise : c’est le cas, par exemple, des différents dessus-de-porte inspirés de gravures d’après Joseph Vernet dessinés par Darmancourt : n° 386 & 387 et 461 & 462838. Les grandes corbeilles avec des oiseaux dessinées par Malaine839 : le « dessus-de-porte à perroquet » et le « dessus-de-porte à faisan » n° 508-509, ont d’abord été pensés en frise et ont fait l’objet d’une édition sous cette forme840. On retrouve la la souplesse typique au papier peint de l’époque, aussi bien quand on l’imprime que lorsqu’on le pose.

L’inventaire de la manufacture mulhousienne de 1794 liste des marchandises « étrangères » : Jacquemart & Bénard ne fournissent pas ce type de produit à leur confrère pas plus que Schmidt, la manufacture républicaine ou Blaise & Morisot. En revanche, Legrand & Cie fournissent des camées mais aussi des dessus-de-porte sans précision, Ferouillat de Lyon vend des dessus-de-porte sur le thème « les saisons & arts » et des « vases à fleurs ». Arthur & Robert impriment des « dessus-de-porte arabesques », « Vases bronze à fleurs » et « figures bronze », Leteillier fabrique des « grands paysages de Vernet » (600 !), des « dessus-de-porte gris. les arts » et « les saisons ». Les rares motifs précisés dans l’inventaire d’Arthur & Grenard en 1789 sont des « vases à fruits », des natures mortes axées sur la « musique », un « buste » mais aussi des « arabesques ». Or, celles-ci posent un problème : aucun dessus-de-porte de ce type n’est parvenu jusqu’à nous. Lorsqu’il s’est avéré nécessaire d’en mettre en place, on a utilisé des motifs d’arabesques découpés et collés sur un fond uni. C’est en particulier le cas841 à Gengenbach, au Gut Schmitt à Guntersblum où ont été récupérés des médaillons de panneaux, à Barbentane, à Basingstoke… Mais le dessus-de-porte de loin le plus complexe est encore en place dans l’hôtel particulier situé Princessegracht 30 à la Haye842 : il fait appel à des éléments découpés de trois papiers peints différents dont on retrouve des exemplaires au Musée municipal de la ville et au Rijksmuseum d’Amsterdam843.

Dernière remarque : un dessus-de-porte est rarement conçu seul, mais comme élément d’une série : à Mulhouse, il y en a généralement deux ou quatre, de façon à s’harmoniser dans une pièce844 ; A Rixheim, par exemple, les « Sujets de chasse » n° 423-426 forment une série de quatre, les « Sujets à oiseaux » n° 508-509; une série de deux. Comme la plupart du temps, les appartements en suite sont de règle, il y a au moins deux portes et il est souhaitable que les dessus-de-porte soient aussi proches que possible, dans leur dessin comme dans leur iconographie.

Quand on retrouve un exemplaire en place, la plupart du temps, le dessus-de-porte est monté sur châssis et contrecollé sur toile ; une bordure, soit un tors de fleurs plus ou moins large, soit un motif architectural, l’entoure et lui donne l’aspect d’un tableau, en conformité avec l’usage des dessus-de-porte peints. La bordure permet par ailleurs d’ajuster le dessus-de-porte au cas où il se révèle trop petit : le 27 octobre 1791, Nicolas Dollfus & Cie envoie à un sieur Le Roy à Thann un dessus-de-porte avec

‘2 éventails à mettre dans les coins du dessus-de-porte et (un rouleau de bordure) pour faire la grandeur du dessus-de-portes 845.’

Il arrive cependant que cette bordure de papier soit remplacée par une bordure moulurée en bois peint ou vernis. Du papier d’une couleur semblable à celle du fond permet aussi d’élargir le panneau : le MPP en conserve un exemple en provenance du château de Tabar, à proximité de Toulouse ; on y voit nettement comment le panneau a été élargi à droite et à gauche846. Dans la mesure du possible, les clients essaient d’harmoniser les différents dessus-de-porte et achètent une série : au Schloß Dautenstein à Seelbach dans le Bade-Wurtemberg, trois des quatre Sujets de chasse surmontent les trois portes du salon847, au Schloß Pommersfelden (Bavière), les deux dessus-de-porte à oiseaux n° 508 et 509 d’Hartmann Risler sont utilisés dans la même pièce de façon complémentaire848. En revanche, à St Sever849, le dessus-de-porte à oiseaux n° 509 est complété par un autre dessus-de-porte de la même manufacture sur un fond semblable, le n° 510, sans oiseaux, sans doute parce que le revendeur n’en disposait plus en stock ; les deux dessus-de-porte, dessinés d’une même main et imprimés dans des couleurs proches s’harmonisent cependant de façon heureuse.

Aux États-Unis, comme le plus souvent en Grande-Bretagne, l’usage du dessus-de-porte est inconnu : la maison géorgienne fait généralement appel à une composition de moulures en forme de fronton au-dessus de la porte et de la cheminée. Conséquence, Outre-Atlantique, le dessus-de-porte connaît un usage différent qui existe aussi, mais plus rarement, semble-t-il, au XVIIIe siècle de ce côté-ci de l’océan : le devant de cheminée. Un panneau ferme l’ouverture de la cheminée quand elle n’est pas utilisée, de façon à éviter les courants d’air. D’ailleurs, le terme se retrouve en 1789 dans l’inventaire d’Arthur & Grenard850. La plupart des motifs imprimés par les fabricants s’adaptent sans difficulté à cet usage sauf peut-être les paysages. Jusqu’à nouvel ordre, aucun de ces devants de cheminée n’a été retrouvé in situ pour le XVIIIe siècle, ce qui rend difficile toute appréciation.

Quoi qu’il en soit, le dessus-de-porte en papier peint au tournant du siècle reste pour l’essentiel dans un registre décoratif, finalement peu différent de son homologue peint ou sculpté : seule différence notable, le prix. Dans l’inventaire d’Arthur & Grenard de 1789, le dessus-de-porte est estimé 3 ou 4 livres, jamais plus, parfois moins. A Mulhouse et à Rixheim, les prix d’inventaire sont inférieurs : les grisailles valent 1 livre ou 1 livre 5 sous (c’est le cas des dessus-de-porte à paysages d’après Vernet dessinés par Darmancourt) voire 10 sous, les dessus-de-porte coloriés comme les dessus-de-porte à sujets de chasse montent à 2 livres 10 sous. En cas de fond vert ou bleu fin, on arrive à 3 livres851 et c’est le prix le plus élevé. Il n’y a pas de différence notable entre les dessus-de-porte peints et imprimés : une seule exception, quatre dessus-de-porte de Besancenot inventoriés en 1794 pour 90 sous pièce, soit 4 livres & demie.

Le dessus-de-porte en papier peint connaît un réel succès au XVIIIe siècle ; par sa référence forte au paysage – souvent traité en frise, il ouvre des portes sur l’avenir en train dès lors de se construire.

Notes
822.

Havard (Henry) 1887-90, tome II, colivres 98-100.

823.

Cité par Havard, op. cit..

824.

Cf. par exemple les intérieurs de Bellevue, réaménagés pour Mesdames en 1784, A.N. O 3162 1.

825.

« Nous aurions besoin des oiseaux grandeur naturelle sur des fonds de cel, grandeur comme le paon le faisan (…) vous pourriez nous en faire 5 ou 6 pour essai » (MPP Z 96, 11 février 1796) ; un lot de 59 oiseaux est payé 431 livres le 3 février 1797, soit plus de 7 livres pièce.

826.

Nicolas Dollfus est en contact étroit avec lui en 1794-7 (MPP Z 96 et 97, passim)

827.

MPP Z 8.

828.

Il existe un mémoire de troisième cycle de l’École du Louvre sur le sujet, plus intéressant pour sa documentation que pour sa réflexion : Javoy-Emerson 1999.

829.

Havard 1887 tome I, colivres 193.

830.

Les albums de référence de Dufour conservés au Musée des arts décoratifs parlent dans les années 1820 d’attique grisaille et d’attique colorié.

831.

« 4 paysages gris d’ap. Vernet » commandés à Darmancourt, MPP Z 108, 10 nivôse 8.

832.

Remarquons qu’un décorateur à la main heureuse est à même d’utiliser certains décors de bas de lambris en dessus-de-porte : le document reproduit dans Jacqué 1995, p. 31, des putti jouant, encadrés, pouvait aussi bien être utilisé en dessus-de-porte ; seule difficulté, la nécessité d’adapter au ciseau les bordures.

833.

Non publiée, exemplaire manuscrit au MPP.

834.

On est tenté d’assimiler à ces petits pots un pot de pélargonium qui figure sur un écran de cheminée dans le bureau de Goethe à Weimar et dont le Musée de l’archevêché à Lausanne conserve aussi un exemplaire (cf. Beyer 1993, p. 54 et documentation MPP).

835.

Pardailhé-galabrun 1988 montre la part croissante des paysages dans l’iconographie des images inventoriées à paris dans la seconde moitié du XVIIIe siècle, en particulier dans les intérieurs raffinés (p. 388). Joseph Vernet (1714-1789) est le principal paysagiste français de cette période ; nous possédons de nombreuses reproductions gravées de son œuvre, mais pas de catalogue raisonné.

836.

Ce dernier cas apparaît dans un intérieur de St Sever (Landes), cf. Blanc-Subes 1992, p. 78.

837.

BSIM n°793, 2/1984, p. III ; Teynac (Françoise) & alivres 1981, p. 100).

838.

Le n° 461, « Scène de pêche avec habitation en bord de mer » est reproduit dans Clouzot-Follot 1935, p. 183.

839.

BSIM n° 793 2/1984, p. III.

840.

Vente à plusieurs exemplaires à Carlsruhe (Z 75, 4 décembre 1801).

841.

Pour tous ces cas, voir Jacqué 1995, p. 83-89.

842.

Et qui abrite le Meermanno-Westreenianum Museum van het Boek (Musée du livre) ; Jacqué 1995, p. 87.

843.

Jacqué 1997, p. 27-42.

844.

Hartmann Risler parle de « dessus-de-porte à combiner » (5 juin 1802, MPP Z 99).

845.

MPP Z 95.

846.

MPP, inv. 998PP24-50.

847.

Landerer, 1986, p. 16-24.

848.

Olligs 1970, tome 2, p. 299.

849.

Blanc Subes 1992.

850.

Inventaire Arthur 1789.

851.

D’après l’inventaire de 1800, MPP Z 8.