1.6.12. Les papiers peints coordonnés aux textiles

L’usage de coordonnés textile-papier peint a donné lieu récemment à deux études précises : celle d’un cas particulier découvert dans une demeure appartenant à un négociant de Bayonne et publié par son inventeur, Xavier Petitcol861 et celle, plus systématique, de Josette Brédif sur les coordonnés entre les toiles de Jouy et les papiers peints de Réveillon862 qui en donne un catalogue.

En 1774, à Besançon, le marchand d’estampes Therry, qui se lance dans les « papiers d’ameublemens » annonce :

‘que les personnes qui désireroient des papiers pour assortir les rideaux des lits et le reste de l’ameublement, pourront s’adresser à lui ou à son commis : il fournira même les toiles qu’il tient à ce sujet, et les ouvriers pour coller les papiers863 .’

Madame Vigée-Lebrun, la célèbre portraitiste, nous raconte de son côté :

‘Après mon mariage864, je logeais rue de Cléry, où M. Le Brun avait un grand appartement, fort richement meublé, dans lequel il plaçait ses tableaux de tous les grands maîtres. Quant à moi, je m’étais réduite à occuper une petite antichambre et une chambre à coucher qui me servait de salon. Cette chambre était tendue de papier pareil à la toile de Jouy des rideaux de mon lit.865

Il s’agit là de toiles de Jouy : mais le monde du textile de décoration est plus vaste et mérite que l’on s’y attarde. En 1785, un article sur la manufacture Réveillon, manifestement téléguidé par l’entrepreneur, déclare :

‘Quelque considérable que soit son assortiment de desseins, il est impossible de les réunir tous. L’assortiment d’un Papier de tenture à des meubles d’étoffes, devenoit donc embarassant et cher : M. Réveillon rassembla d’excellens Dessinateurs dans sa manufacture & toute étoffe fut imitée866. ’

Or nous savons que la forme la plus luxueuse des décors muraux au XVIIIe siècle, ce sont les damas et les lampas lyonnais. D’évidence, les manufacturiers de papier peint, Réveillon parmi d’autres, se devaient de s’y intéresser. Les Anglais avaient déjà repris ce type de motif dans leurs flockpapers (ill° 2. 1)867. Il est par ailleurs attesté que les manufacturiers s’intéressent aussi de près aux créations lyonnaises868 de façon à s’en inspirer869.

En 1999, le MPP a reçu en don d’un particulier un papier peint en tontisse de la manufacture de Réveillon (ill° 2. 2) reconnu comme le n° 5 « palme ordinaire » de la production de la manufacture, ce qui date sa création de 1770870. Or, il porte au dos le cachet de la manufacture Jacquemart & Bénard, postérieur à 1791, et il est réputé être le solde de papiers peints posés au tout début du XIXe au château d’Amou dans les Landes, ce qui montre combien un motif de ce genre peut avoir du succès dans une manufacture sur le long terme. Qui plus est, d’une part, ce motif est semblable à celui d’un flockpaper anglais des années 1730871, d’autre part, comme l’a démontré Xavier Petitcol, son motif est absolument semblable à celui d’un damas de soie « qui a pu être tissé au début du XVIIIe siècle à Lyon, Gênes ou Valence 872 ». Le motif est remarquablement rendu, le lissage du fond accentuant la ressemblance avec la soie ; le caractère pérenne du motif explique son usage tardif. Mais s’agit-il à proprement parler d’un coordonné ? Une question qui est aussi valable pour l’album Réveillon conservé au Musée des arts décoratifs de Paris regroupant toutes les imitations d’étoffes873 ou pour la collection d’échantillons d’Arthur & Bénard de 1785 intitulée « Papiers veloutés, Moëres, Lampas & Damas ». Il semble bien que Réveillon comme Arthur ait ici largement copié des motifs de soierie « classique », devenus intemporels : le MPP en possède par exemple plusieurs de Réveillon en provenance de l’ancienne collection Follot874. Un des plus célèbres est celui du magot, une soierie des années 1740, dont le motif est reproduit sous le n° 108 et dont on connaît plusieurs variantes, ce qui laisse supposer que Réveillon, comme Arthur, n’était pas le seul à user de cette pratique875.

Les comptes de la Maison du Roi donnent de nombreux exemples de motifs de damas mais ils précisent fréquemment qu’ils sont « assortis au meuble » ou, plus précisément encore comme ici en 1788, « assorti aus sièges »

‘Hôtel du contrôle général des finances 1788
Bureau de M l’abbé de Loménie
81 au de papier fond jaune à la graine d’Avignon assorti aus sièges de damas jaune et blanc à 12 48 12876

Il s’agit donc d’un véritable coordonné, le papier peint recopiant le motif de la soierie à des fins de cohérence décorative. Malheureusement, aucun exemple de décoration de ce type ne semble être parvenu jusqu’à nous.

Sur le plan matériel, l’imitation de la soie est poussée très loin : dans certains cas, sur un fond lissé, donc sinon brillant, du moins luisant, s’accumulent les couches de tontisse, de façon à rendre la matière du damas, dans d’autres, un jeu de fines rayures joue le broché. Il semble que la couleur utilisée soit particulièrement épaisse de façon à donner l’impression d’une matière sur la surface, comme dans le cas d’un tissage.

D’autres matériaux peuvent aussi être imités : Pierre Verlet avait déjà remarqué les papiers peints livrés par Arthur en 1789 et assorti à la garniture en tapisserie au petit point des fauteuils de Sené réalisée par Madame Elisabeth pour son salon de Montreuil877 : Arthur pour satisfaire cette demande a dû combiner décor imprimé et peint et réaliser des bordures exprès, puisque sans n° de référence878.

Le problème des rapports avec Jouy est plus complexe : Josette Brédif, qui s’est concentrée sur les rapports entre Réveillon puis Jacquemart & Bénard et Oberkampf à Jouy, a repéré pour la période 1770-1799 quatre vingt sept motifs semblables, une majorité de motifs floraux mais aussi quelques scènes de genre ; elle constate que les dates d’émission des papiers peints suivent toujours celles des toiles imprimées. Si nous manquons de traces concernant les relations entre Réveillon et Oberkampf, en revanche Jacquemart entretenait les meilleures relations avec lui et deux lettres laissent supposer une coopération : il semble difficile d’imaginer la manufacture de papier peint copiant sans vergogne les toiles peintes. Cependant, Madame Brédif constate l’existence de dessins inversés en papier peint qui pourraient supposer une copie, autorisée ou non ? Impossible de répondre. Arthur & Grenard, comme Réveillon, avaient une réelle surface sur le marché qui leur interdisait la copie de la production de Jouy : or, en 1785, la manufacture livre à la Maison du Roi un album d’échantillons citant nommément les « Toilles de Joui » ainsi que les « Perses des Indes »879 ce qui laisse supposer, comme pour son confrère, une collaboration

Un autre document pose question : le n° 566 de Réveillon, créé en 1786.880 C’est un simple motif de roses qui est la copie inversée d’un motif portant un chef de pièce de Darnétal, avec mention de la même date. Il correspond à un motif de Jouy dont on connaît le dessin (n° 6506, créé vers 1782). Dans ce cas, Jouy a imprimé à façon pour Darnetal et collaboré d’un autre côté avec Réveillon881.

Les comptes de la Maison du Roi documentent des intérieurs où sont utilisés des coordonnés de Jouy : ainsi Robert fournit-il en 1787 pour l’hôtel du Garde-meuble :

‘Chambre sur la cour
4 au de papier imitant la toile de joui à 10 couleurs à 12
24882

Quant à Girault, il fournit pour le Palais de Versailles en 1789 :

‘Chez M Gallois
72 au de papier imitant la toile de Jouy grand dessin dit les ruines, fond blanc et rouge fin à 12 collé 43 4
Chez M La hayer
41 au de papier assorti A une toile de Jouy à 2 rangées à 10 20 10
Chez M Bernard
84 au de papier toile de Jouy grand cadrillé à 10 42883.’

Jusqu’en 1990, un ensemble comparable était en place dans les Landes à proximité de Dax884 : dans une chambre, les rideaux et le lit étaient réalisés dans une toile de Jouy à motif d’indienne tandis que sur le mur de l’alcôve, le même motif se retrouvait en papier peint : deux rouleaux du papier peint nous sont même parvenus intacts885.

En matière de tissu imprimé, il est aussi fait mention de perses : en 1784, Robert fournit par exemple pour l’appartement de Thierry de Ville d’Avray au Palais de Versailles :

‘43 au. 1/2 fond blanc dessein de perse rayée assorti exprès A son étoffe (…) dans la chambre a coucher et alcove à 25 54.17886

Il devient difficile de tirer des conclusions claires : on observe tout à la fois des coordonnés conçus comme tels et, semble-t-il, des copies, en particulier pour des motifs classiques de soieries. Quoi qu’il en soit, le textile est une source d’inspiration majeure des papiers peints, A condition de reproduire les seuls motifs d’ameublement : les « bonnes herbes », un des grands succès en matière de motifs à la fin du siècle, est par exemple absent, dans la mesure où il n’est utilisé qu’en vêtement887.

Notes
861.

Petitcol 1993. Xavier Petitcol analyse aussi deux autres cas.

862.

Brédif 1998, p. 143-154.

863.

Petitjean 1984.

864.

1776.

865.

Vigée Lebrun 1989 (Élisabeth) Mémoires d’une portraitiste, Paris.

866.

Journal de Paris, 4 octobre 1785, p. 1143.

867.

Aucune étude synthétique : le V & A Museum de Londres en possède un ensemble, voir Oman & Hamilton 1982, n° 60 pour un des motifs les plus répandus.

868.

Nous savons que le voyageur Raflin travaillant pour Hartmann Risler en frimaire an 6, de passage à Lyon, y achète des lampas qu’il envoie à la manufacture (MPP Z 108A).

869.

En Angleterre, John Sigrist propose dans les années 1770 sur sa « trade card » des papiers peints qui « matches Silks, Chintzs, Cotton, Linnens &c. », Rosaman 1992, fig. 10, p. 9.

870.

Cf. Jacqué 2001, p. 3 ; l’auteur attribue de façon erronée le n° 4 au document.

871.

Oman-Hamilton 1982, n° 60-63.

872.
Vente Olivier Coutau-Bégarie, Drouot, Paris, 18 juin 2001, n° 339-340, illustré p. 5.
873.

Vente Sotheby Parke Bernett Monte Carlo, 7-8 février 1982, n° 262.

874.

992 PP 8-22, 23, 24 correspondant respectivement aux n° 543, 442 et 768 de la manufacture.

875.

Voir par exemple l’exemplaire de St Blaise, près de Neuchâtel (Suisse) : Piguet1998, p. 75, fig. 24. : autre variante dans la collection Le Manach à Tours. Voir aussi deux motifs de damas en arabesques recopiant précisément des soieries in Jacqué 1995, IIIA6 et 7.

876.

A.N. O1 3646 2.

877.

Verlet (Pierre) La maison du XVIII e siècle en France, Fribourg, 1966, fig. 87.

878.

A.N. O1 3650.2.

879.

A.N. O1 3636 2

880.

MPP, inv.992PP8-62. Voir Jacqué 2002, n° 64 A-B, p. 161.

881.

Communication écrite de Madame Josette Brédif.

882.

A.N. O1 3646 2

883.

O1 3650,1

884.

Petitcol 1993.

885.

L’ensemble a été vendu aux enchères au Musée de l’Ile de France à Sceaux : voir le catalogue de vente Drouot, Paris, Néret-Minet & Coutau-Bégarie, 22 septembre 1990, n° 138 et 138bis.

886.

O1 3428

887.

Brédif 1989, p. 105.