1.7. Vers des produits nouveaux

1.7.1. Origines des décors

Toutes les décorations élaborées que nous avons évoquées sont le fait de décorateurs, spécialistes qui, à partir de ce que proposent fabricants et revendeurs, au besoin en mélangeant des papiers peints de différentes origines, sont capables de réaliser quelque chose de raffiné. Mais les fabricants semblent dès la fin du XVIIIe siècle mettre sur le marché des produits qui prendront par la suite un large essor au siècle suivant sous le nom de décor : au lieu de laisser aux décorateurs ou aux poseurs la latitude de composer leur propre décoration à partir des papiers peints disponibles sur le marché, les manufactures proposent des ensembles conçus complets et cohérents dès le départ, et donc plus faciles à poser.

La plus ancienne mention en figure dans un courrier de Nicolas Dollfus & Cie à Ferrouillat & Cie à Lyon le 24 mai 1790 ; l’entreprise mulhousienne passe commande de :

‘l’assortiment d’un appartement a charmille
l’assortiment d’un appartement a treillage fond bleu claire de 12 p de hauteurs 120 (livres)
l’assortiment de 6 appartements decore en vases de fleurs collonnes
draperie & pintes (pentes?) de 180 a 200 (livres)
les esquisses en petit des decoration899

Ces décorations imitant l’extérieur dans l’intérieur s’inscrivent dans la mode de la seconde moitié du XVIIIe siècle, d’abord dans les petites maisons puis progressivement dans les hôtels particuliers900. En 1780, Nicolas Le Camus de Mézières en fait l’apologie dans son Génie de l’architecture. On en trouve plusieurs reproduites dans Krafft & Ransonnette en 1802. L’Allemagne (à Schloß Paretz, vers 1795), l’Angleterre (à Drakekow Hall, Derbyshire, en 1795) et l’Italie (par exemple, les salles « alla boschereccia » courantes sous l’Empire à Bologne, qui en conserve encore quelques unes, ill° 14. 4)) en montrent des exemples tardifs : le papier peint en propose une version moins coûteuse.

C’est ce que l’on retrouve lorsque, le 17 août 1791, Nicolas Dollfus écrit à Arthur & Robert :

‘Notre sieur J. Dollfus de retour ici en bonne santé, nous a beaucoup parlé d’une nouvelle décoration à Vases de fleurs & Colonnes, que vous avez en ouvrage actuellement. Comme nos voyageurs vont faire incessamment une nouvelle tournée, il nous feroit plaisir de l’avoir, si ce ne peut pas être en entier du moins une partie pour en voir l’execution & le dessin en petit ou Croquis de cet appartement & si elle rend à l’idée que nous nous en sommes formés, nous ne doutons point que nous ne puissions vous en placer bonne partie901. ’

Dans l’inventaire de 1800902 figurent aussi des « ornemens de la Décoration à Treillage pour 200 (livres)» sans n° d’ordre et sans mention aucune de l’origine (voir aussi annexe 3).

Les contacts pris avec le dessinateur parisien Darmancourt903, apparemment par l’intermédiaire de Malaine à partir du 7 décembre 1796, vont dans un sens différent : point de fleurs ici, mais une « décoration étrusque » dont dans un premier temps la manufacture demande un croquis. Hartmann Risler fait une analyse précise de ce croquis dans un courrier du 18 septembre 1797904, avant qu’en soient dessinés les différents composants :

‘Nous avons reçu l’esquisse de la décoration étrusque que vous nous avez fait passer et désirons qu’elle soit exécutée au plutôt possible, voici donc nos observations.
La corniche entière sera arrangée pour imprimer en rouleaux un petit bout de dessin en suffit.
La colonne aura la base et le chapiteau séparément à imprimer en feuilles et le fut sera imprimé en rouleaux, il n’en faut également que quelques pouces de dessin.
Nous croyons que pour rendre la chose plus riche vous devriez faire quatre pilastres differens ou du moins arranger deux de façon à pouvoir en former 4 si la partie du dessus est placée sur celle de dessous du second et ainsi au revers.
Il faudrait également 2 differens sujets pour le dessous de la niche, n’y aurait-il pas sujet moins commun et aussi élégant que les griffons ?
L’encadrement des pilastres n’exige qu’un petit bout de dessin, il sera arrangé par rouleaux, la même remarque va à ceux des dessus de niche, des écoinçons, du bas et des côtés de la niche et il nous paraît que les languettes qui forment le centre de la niche devraient pouvoir se mettre en rouleaux.
C’est au lambris que nous vous prions de porter tous vos soins afin de l’arranger qu’il ne présente trop de difficultés pour le placement vous le savez les colleurs ont ordinairement beaucoup de peine à rétrécir ou élargir les parties des lambris que sont remplis de sujets au milieu et c’est ce que nous voudrions éviter à cet effet vous devriez ce me semble rapetisser les milieux et ajouter aux pointes de petites chaînettes ou rosettes qui peuvent se réduire ou supprimer à volonté peut être vous avez une autre idée qui soit meilleure.
Nous nous proposons d’imprimer le piédestal de la colonne séparément, le colleur aura plus de place pour l’arrangement des parties.’

Quelques jours plus tard, un nouveau courrier complète le précédent :

‘V/ avez vu que n/ ne voullons pas seulement les 2 panx ou pilastres mais que n/ en désirions 4. V/ ferez A ce sujet ce que v/ jugerez le plus convenable ainsi que pour les moulures grisailles. N/ saisirons la première occasion p v/ envoyer quelques rouleaux de fonds unis.
Voici L 600 sur Van der Villeminot & Schwarz de v/ ville que veuillez encaisser à compte de v/ avoir chez n/.’

Ces courriers sont fondamentaux dans la mesure où ce sont les seuls que nous possédions entre un fabricant et son dessinateur, lui précisant les problèmes spécifiques du décor. Hartmann Risler décrit ce qui nécessite un dessin complet et ce qui n’exige qu’une simple esquisse, ensuite répétée ; il distingue aussi clairement ce qu’il pourra réaliser « en feuilles » et ce qu’il pourra imprimer en rouleaux : la colonne en est un bon exemple, base et chapiteau en feuille, fût en rouleau, ce qui suppose un fût de largeur régulière, certes, mais qui permet une facile adaptation à des hauteurs différentes. Les difficultés de dessin et de pose des lambris apparaissent aussi clairement : ceux-ci doivent être placés en fonction de l’axe de symétrie de la pièce, ce qui suppose d’en raccourcir ou d’en rallonger les panneaux, ce qu’un motif trop large rend difficile. Tout au long du XIXe siècle, les mêmes problèmes vont continuer à se poser.

Aucun exemplaire de ce décor n’est parvenu jusqu’à nous, cependant, l’inventaire de 1800 de la manufacture permet d’en lire les composants et donc de l’imaginer :

‘397 r. Lambri lila 80
(sous)
398 r. Bordure lila 30
399 Dessus-de-porte citron & étrusque 10
verd & bleu fin 15
400 r. Mosaïque verd 30
401 Feuilles cintre bois rouge 50
402 r. Chambranle bois rouge 50
403 r. plinthe etrusque 40
404 r. fut de colonne 50
404 feuille Base & Chapiteau 6
405 Encadrement lila 40
406B Arabesque etrusque 30
407A Arabesque étrusque 30
CD id étrusque 30
EF id citron 30
Id verd & bleu fin 40
408 rx Corniche étrusque 50
id verd & bleu fin 70905.’

Le système de montage apparaît classique au vu de la production plus tardive : au-dessus d’un lambris, des colonnes entre lesquelles viennent s’inscrire des panneaux encadrés décorés d’une arabesque, qui semble être disposée dans une niche. Une bordure, une corniche et un dessus-de-porte complètent l’ensemble : le décor de papier peint vient d’être inventé et, comme le panoramique, il semble d’emblée parfait, grâce aux longs tâtonnements qui ont préludé à sa naissance.

Dans le même inventaire figure une Décoration à pierre apparemment moins complexe :

‘443 ’ ‘r. Cailloux’ ‘20’
‘444 ’ ‘Bordure pierre s/ cailloux’ ‘30’
‘id ’ ‘bronze s/ id’ ‘30’
‘445 ’ ‘Brique rouge & gris’ ‘20’
‘446 ’ ‘Corniche gris’ ‘40’
‘id ’ ‘pierre’ ‘40’
‘id’ ‘bronze’ ‘30’
‘447 ’ ‘Cimaise pierre’ ‘25’
‘448 ’ ‘Plinthe pierre’ ‘25’
‘449 ’ ‘Feuilles amform (?) pierre’ ‘2’
‘id’ ‘bronze’ ‘2’
‘450 ’ ‘rosette pierre’ ‘2’
‘’ ‘rosette bronze’ ‘2.’

Par ailleurs, l’inventaire de 1800 est le premier à distinguer les « Objets de décor », désormais séparés des « camées, dessus-de-porte, objets en feuille », comptabilisés à part. Ces « objets de décor » sont des éléments structuraux qui permettent de construire un décor sur une surface verticale : des frises, des pilastres, des colonnes, des piédestaux, des chutes ainsi que des draperies, des cantonnières, une guirlande. L’ancien système du décor en feuille, très souple, est en train de céder la place à une formule plus élaborée de la part du fabricant mais qui laisse moins de place à l’imagination du poseur. L’étape est d’importance. Le papier peint qui a tâtonné pour aboutir à des résultats non sans élégance arrive à maturité en offrant désormais un « prêt-à-porter » qui n’a sans doute pas le chic de la haute couture, mais qui a le mérite de s’adapter à une vaste clientèle qui ne dispose pas obligatoirement d’un décorateur auquel se substitue l’entreprise. Dans ces conditions, le fabricant se fait donc décorateur. Une part de charme va se perdre mais l’efficacité va y gagner : le produit s’est rationalisé, le papier en feuille va désormais disparaître au profit du décor, appelé à un grand succès. On ne retrouve d’ailleurs plus les papiers en feuille dans les inventaires.

Notes
899.

MPP Z 194.

900.

On en trouvera une typologie dans la thèse de Müller, Göttingen, 1957. Voir aussi : Mabille in Nouvel-Kammerer (Odile) 1990, p. 38-50, pour la France.

901.

Le 7 octobre, la demande est confirmée : Nicolas Dollfus & Cie réclament « le plutot possible la décoration pour le moins en croquis » en vue du voyage de leur repésentant.

902.

MPP Z 8

903.

Darmancourt a des liens avec l’entreprise de 1791 à 1801 ; les rapports s’intensifient à partir de 1798 mais il refuse de quitter Paris pour rejoindre Rixheim.

904.

MPP Z 97.

905.

MPP Z 8.