À la fin du XVIIIe siècle, le papier peint reste un phénomène récent, au moins sur le continent. Or, les exemples de pose documentés tant par les archives que par ce qui est encore conservé démontrent que le papier peint a dès lors atteint un très haut niveau décoratif qui dénote à la fois chez ceux qui le créent et ceux qui le posent une parfaite maîtrise. Il est susceptible de s’adapter avec beaucoup de souplesse à des situations diverses, du point de vue des lieux comme du point de vue du coût. Et qui plus est, même si la dimension d’imitation est loin d’être absente (rappelons nous l’intitulé des albums d’échantillons), le résultat n’a que fort peu ce caractère d’imitation : un large emploi de la couleur, une grande liberté de pose, où les ciseaux jouent leur rôle, ont fait du papier peint un mode de décoration autonome, absolument sans rien de semblable par ailleurs, du haut en bas de l’échelle : le salon de musique de Guntersblum ou la modeste chambre de domestique de Mézières n’ont aucun équivalent. Rarissimes sont aussi les ratés de pose : certes, certains intérieurs sont plus heureux que d’autres, certains décorateurs plus talentueux, mais même loin de France, le résultat reste le plus souvent, sinon toujours parfait, du moins plein d’un charme propre au matériau.
Or, étrangement, la littérature de l’époque insiste sur la dépendance du papier peint par rapport aux autres modes de décor intérieur : ainsi, le Journal du Lycée des arts reconnaît en 1795 les qualités du papier peint, en matière de pose en particulier, mais c’est pour mieux insister, inconsciemment, sur son manque de personnalité, sa dimension de copie d’autres formes de décor.
‘L’on est parvenu à rendre jusqu’au tissu apparent des plus belles étoffes (…). L’architecture et la sculpture la plus parfaite ont eu leurs imitations portées jusqu’à la plus étonnante illusion…’Mais de façon plus profonde, le papier peint est l’objet de mépris de la part de ceux qui ont un rôle décisionnaire dans le domaine du décor intérieur : de ce point de vue, un texte anonyme de 1790 intitulé « Réponse au mémoire intitulé Dépense du Garde Meuble de la Couronne » est des plus révélateur. Au cours de son administration, l’intendant du Garde-Meuble, Thierry de Ville d’Avray avait beaucoup usé du papier peint dans les différents bâtiments princiers dont il avait la responsabilité934. Or, prenant un prétexte financier, son contempteur se révèle un adversaire forcené du papier peint, un rôle appelé à durer jusqu’à nos jours :
‘Cet administrateur se vantera-t-il aussi d’économie, quand on lui reprochera qu’aux étoffes qu’employoit l’ancienne Administration pour des ameublemens, il a substitué du papier ? Il n’y a pas jusqu’aux appartemens de la famille Royale qu’il n’ait infecté 935 de ces sortes de tentures. De pareils ameublemens ne conviennent tout au plus, dans les Maisons Royales, que pour le logement des gens de suite. Ne faut-il pas le renouveler plus souvent ? Le moindre changement que l’on fasse dans un appartement, ne faut-il pas y remettre un nouveau papier ? Et la dépense qu’occasionnent les renouvellements multipliés de cette espèce de tapisserie, n’équivaut-elle pas au moins, & peut-être davantage, à ce que coûtent des étoffes que l’on déplace quand on veut, que l’on fait servir dans differens appartemens, & dont on tire encore parti, quand absolument le goût en est passé, ou qu’elles ne peuvent plus servir ? Si l’ancienne Administration avoit employé du papier, je demande à M. Thiery s’il auroit pu faire, comme il a fait il y a quatre ans, une vente de vieilles étoffes qui a rapporté de 60 à 70 000 liv. ?936 ’Ce ton polémique, voire persifleur, laisse deviner, au-delà du prétexte financier, un mépris injustifié pour le papier peint, qui est loin d’avoir la noblesse des autres revêtements muraux.
Mais alors même que ces autres revêtements peinent à se renouveler, le papier peint, en essor rapide, est à même de créer des formules nouvelles, le décor, le panoramique, appelés à un grand avenir durant le siècle naissant.
En particulier dans ses propres appartements, dans chaque résidence royale où il aime à faire poser des arabesques.
Nous soulignons.