2. L’affirmation de l’industrie du papier peint au cours de la première moitié du XIXe siècle : le papier peint panoramique

Dans la confusion de toutes les classes, chacun espère pouvoir paraître ce qu’il n’est pas et se livre à de grands efforts pour y parvenir. La démocratie applique ce sentiment (…) aux choses matérielles : l’hypocrisie de la vertu est de tous les temps : celle du luxe appartient plus particulièrement aux siècles démocratiques
Alexis de Tocqueville937

Le papier peint décorait au XVIIIe siècle des intérieurs aisés. L’essor industriel de cette activité au cours du XIXe siècle élargit ce marché. Il devient omniprésent dans les logements, jusque dans ceux de la petite bourgeoisie que décrit de manière pointilleuse Balzac, y compris sous sa forme la plus spectaculaire : le papier peint panoramique, que l’on rencontre aussi bien chez des rentiers comme le père Grandet ou mademoiselle Gamard, qu’à la pension Vauquer. Le papier peint est désormais partout ; a contrario, le romancier Paul de Kock, décrivant un mauvais garni en 1842, s’étonne de l’absence de papier peint sur le mur : la misère vraie…

‘Figurez-vous une pièce de 15 pieds carrés à peu près ; point de papier sur la muraille. Pour couchette, une mince paillasse, placée à terre…938.

Une génération plus tard, Émile Zola nous dépeint en 1877 dans l’Assommoir Gervaise qui s’installe en 1855 dans la rue de la Goutte d’or :

‘L’achat du papier fut surtout une grosse affaire. Gervaise voulait un papier gris à fleurs bleues, pour éclairer et égayer les murs. Boche939 lui offrit de l’emmener ; elle choisirait. Mais il avait des ordres formels du propriétaire, il ne devait pas dépasser le prix de quinze sous le rouleau. Ils restèrent une heure chez le marchand, la blanchisseuse revenant toujours à une perse très gentille de dix-huit sous, désespérée, trouvant les autres papiers affreux. Enfin le concierge céda…940

A cette date, la modeste Gervaise réussit à se faire offrir le luxe d’une perse à moins d’un franc le rouleau. Le papier peint est devenu désormais un produit de grande consommation : et dans le cas de Gervaise, la mécanisation explique plus encore ce qui pour elle est un vrai luxe, mais à si bas prix - un luxe pourtant que jamais ses ancêtres n’auraient pu s’offrir.

Si la démocratisation du papier peint est une réalité, elle ne saurait pourtant nous faire oublier qu’à côté de ces productions courantes, le siècle a vu des créations somptueuses : les panoramiques, les « décors » qui continuent, par la perfection de leur impression, la tradition du siècle précédent, mais avec une mise en œuvre entièrement différente, preuve que le papier peint est capable de se renouveler.

Ce sont ces productions qui sont ici notre principal objet, vues à travers le prisme de la manufacture de Rixheim dont les archives nous permettent de saisir le comment, sinon le pourquoi de ces créations.

Notes
937.

Tocqueville (Alexis de) De la démocratie en Amérique, 1840, édition Folio, p. 76.

938.

La grande ville, 1842, cité dans le catalogue Le Parisien chez soi au XIX e siècle (1814-1914), Paris 1976-77.

939.

Le concierge.

940.

L’Assommoir, 1877, p. 161-162 (éd° Folio 1978)