Dans son principe, la couleur ill° 11. 4) utilisée par les manufacturiers demeure la même qu’auparavant, avec son mélange de trois composants : le liant, l’épaississant et le pigment. La colle de peau reste le liant préféré des manufacturiers français car, en dépit des désagréments qu’il y a à la manier et de son prix relativement élevé, elle donne une couleur plus fine, plus subtile.
Si l’épaississant traditionnel reste la craie, il est de plus en plus concurrencé par l’amidon de blé ou de pomme de terre en particulier pour l’impression mécanique, à cause de sa souplesse : déjà, dans son brevet de 1826, pour la toute première impression mécanique, Jean Zuber prévoit une couleur simplement épaissie à l’amidon, sans doute pour ne pas encrasser les creux du rouleau de cuivre. Inconnu au siècle précédent, il devient la règle dans la seconde moitié du XIXe siècle au regard des différents ouvrages techniques1089.
Mais c’est bien sûr dans le domaine des colorants que la transformation est la plus importante grâce aux progrès de la chimie minérale.
Prenons le cas du bleu outremer (Ultramarin), la plus marquante et la plus appréciée des couleurs de cette période. Exner écrit à son propos que c’est « la plus belle, la plus flamboyante et la plus durable de toutes les couleurs »1090 : il ne fait que reprendre l’opinion commune d’alors, surtout si l’on songe que nombre d’intérieurs manquent de lumière, qu’elle soit naturelle ou artificielle. Lorsque l’on retrouve un papier peint des années 1840-1850 sous des couches superposées, il s’agit pratiquement toujours d’un papier faisant appel en quantité plus ou moins importante à ce bleu, que ce soit un papier peint luxueux ou un papier peint modeste1091. Le vrai outremer provient du lapis-lazuli, ce qui le rend évidemment hors de prix1092. Or, en 1828, pratiquement en même temps, Gmelin à Tübingen et Guimet à Toulouse1093, réussissent à le produire artificiellement. A partir de là, les prix baissent singulièrement alors même que les procédés de fabrication s’améliorent rapidement : la manufacture de Rixheim lance par exemple sa fabrication sur place en 1849, en faisant appel au procédé Leverkus. Mais, alors que l’outremer se payait 15 francs le kg, en 1855, il était tombé à 3 francs le kg, et comme le prix baisse encore dans les années qui suivent, la manufacture finit par abandonner cette fabrication aux grandes entreprises chimiques, plus concurrentielles, l’usage de cette couleur se maintenant jusque fort avant dans le XXe siècle1094.
En revanche, les extraordinaires verts acides des années 20, tant dans les panoramiques que dans les irisés, n’ont eu qu’une courte carrière . Le XVIIIe siècle produisait ses verts à base de cuivre pour les plus beaux, de cendres vertes et d’un mélange de bleu et de jaune pour les plus communs et les moins coûteux. Or, le vert de Scheele (arsénite de cuivre) et surtout, commercialisé à partir de 1814 par Sattler & Russ, le vert de Schweinfurth (acéto-arsénite de cuivre), plus clair, donne des couleurs d’une intensité inconnue jusqu’alors (ill° 28a. 3 ou 29. 2)1095. Liebig sous le nom de vert de Vienne, améliore le produit et le rend moins coûteux. Mais aussi beaux soient-ils, ces verts se révèlent doublement dangereux : pour ceux qui les fabriquent, puisqu’ils peuvent les inhaler ; pour ceux qui vivent avec des papiers peints imprimés avec ces couleurs et qui courent le même risque, pour peu qu’ils soient posés dans une ambiance humide. Il existe ainsi une abondante littérature au sujet de l’empoisonnement, semble-t-il fort peu probable, de Napoléon par les papiers peints de son intérieur à Ste Hélène1096. La prise de conscience commence dès les années 18301097. Mais un courrier d’Ivan Zuber au Dr F. Goppelsrœder de Bâle, le 20 août 18701098 montre qu’une manufacture de l’importance de celle de Rixheim ne l’a pas encore totalement abandonné : Ivan Zuber condamne l’usage du vert uni, mais estime que son usage en petite quantité « par exemple pour donner le dernier brillant du vert dans des papiers à fleurs » est « entièrement inoffensif ». Quoi qu’il en soit, ce vert d’arsenic finit par être interdit…
Il faut enfin noter le renouveau des blancs qui vont gagner une intensité inconnue au siècle précédent : si la craie continue à être utilisée, en particulier pour le fonçage, on tend à lui préférer, quand le blanc vient en contraste avec une couleur foncée, les blancs de plomb qui se répandent dans les années 1820-301099. Le blanc de zinc va s’imposer par la suite à cause de son bas prix1100.
Les couleurs deviennent au XIXe siècle plus variées et plus nuancées qu’auparavant, moins coûteuses, beaucoup plus intenses parce que plus couvrantes. Elles modifient non seulement l’économie du papier peint, facilitant l’élargissement de son marché, mais aussi son esthétique par leur puissance inconnue jusqu’alors : qui regarde des papiers peints des années 1830-40 découvre une violence de couleurs non seulement inconnue jusqu’alors mais que l’on ne retrouvera plus avant l’Art Déco. Il faut cependant attendre l’arrivée des couleurs d’aniline, après 1856, pour voir se modifier en profondeur ce domaine.
Exner, par exemple, ne mentionne pas la craie, sauf comme colorant.
Exner 1869, p. 96.
Pour les plus luxueux, on peut songer au Décor « Chasse & pêche » créé par Lapeyre en 1839 et réédité par Jules Desfossé en 1859, voir Paris 1991, n° 184, p. 345, encore qu’aucune reproduction ne soit à même de rendre l’intensité colorée de son bleu. Pour les plus modestes, les premières impressions mécaniques font un large appel à ce bleu.
Son utilisation figurait à ce titre dans les contrats de commande avec les peintres.
Avant qu’il n’en lance la production à Lyon en 1834.
L’Art Déco, friand de couleurs intenses, en a fait un large usage.
Tous deux sont à base d’acide arsénieux.
New Scientist (14 Oct. 1982). Des fragments de ces papiers sont passés en vente à Londres chez Phillips, le 9 novembre 2001, n° 470. Voir sur le peu de fondement de cette thèse, les articles du journal Le Monde du 30 octobre 2002, p. 24.
Entwisle 1960, p. 81, 1832.
MPP Z 105. Goppelsrœder devient membre de la SIM en 1872 (Ott 2000).
Ils figurent dans Le Normand 1832, p. 21.
Seemann 1882, p. 176.