En 1783, l’Écossais Thomas Bell brevète la technique d’impression sur calicots en continu à l’aide d’un rouleau de cuivre gravé en creux. Le procédé devient rapidement d’usage courant dans l’industrie cotonnière dès la fin du XVIIIe siècle1128. Or, dans le domaine apparemment connexe du papier peint, il faut attendre le début des années 1840 pour voir apparaître les premières techniques efficaces dans ce domaine. On peut s’étonner d’un tel décalage. Celui-ci s’explique d’abord par les spécificités propres au textile : le textile est tissé en pièces longues de 20 m qu’il est possible de coudre bout à bout, alors qu’on l’a vu, il faut attendre les années 1830 pour que s’impose le rouleau de papier en continu ; or les tensions propres à l’impression mécanique rendent difficiles l’usage du papier rabouté1129. Par ailleurs, l’impression en taille-douce s’applique mal à l’usage de la détrempe qui encrasse les creux de la gravure : l’impression Sanitary à partir de 1871, puis l’hélio mise au point par Leroy en 1934 vont d’ailleurs faire appel à des encres et aboutissent à des effets totalement différents de ceux de la détrempe.
La première tentative de mécanisation semble1130 être celle de l’Anglais William Palmer qui aurait mis au point une machine dès 1817 et déposé un brevet pour l’impression mécanique du papier peint le 22 avril 18231131 : le procédé n’est rien d’autre qu’une mécanisation du mouvement de la planche, sans élément rotatif1132 et, comme la Perrotine1133 pour le tissu imprimé, il est resté sans grand lendemain1134, en particulier parce qu’il ne permet pas d’importante accélération du processus de fabrication et donc de réduction des coûts.
Le 10 novembre 18261135, Jean Zuber & Cie dépose un brevet sous le titre « Moyen de substituer au mode actuel d’impression des papiers à la main, celui d’impression au rouleau gravé »1136. Le procédé, on l’a vu, est appliqué avec succès au textile depuis 1783 : sur des rouleaux de cuivre1137, on grave en creux le motif en jouant de la profondeur plus ou moins grande du trait ou du point pour intensifier la coloration. En fait, Jean Zuber n’en est pas à sa première tentative : le 9 août 1814, il écrit à un correspondant mulhousien de la famille Schlumberger :
‘Il y a 3 ans que j’ai fait graver chez Dollfus Mieg1138 un rouleau pour essayer de le rendre sur papier ; l’impression a parfaitement réussi mais comme au collage elle disparaît complètement, je n’ai pu trouver de moyens convenables pour la fixer, j’ai dû renoncer à cette spéculation.1139 ’Finalement, il la reprend et les carnets d’essais1140 nous permettent de suivre l’élaboration de la recherche et montrent qu’elles débordent l’impression en taille-douce.
En réalité, cette technique se heurte à un double problème. D’une part, à la différence du textile, le papier, collé dans sa masse, ne « boit » pas la couleur : pour une bonne impression en taille-douce, qui suppose peu de matière, il importe d’humidifier le papier de façon à le rendre absorbant. Or, en 1826, on ne dispose que de rouleaux raboutés qui supportent mal l’humidification1141. Par ailleurs, humidifier le rouleau de papier rend difficile l’apport d’autres couleurs, parce que l’on n’utilise pas des encres mais de la couleur en détrempe : de nombreux essais montrent que l’on essaie d’améliorer cette détrempe en modifiant les composants traditionnels, en particulier l’épaississant (la craie disparaît, remplacée par de la colle végétale) et la colle.
A court terme, le procédé reste d’un usage limité : il permet certes la production de fascinants documents où la troisième dimension, obtenue non par la juxtaposition de couleurs mais par un jeu de traits et de points, prend un tour nouveau, illustré à la perfection par le tulle brodé et drapé créé en 18311142, remarqué par la Société d’Encouragement à l’Industrie nationale en 18321143 et primé à l’Exposition des produits de l’industrie de 18341144. Ombre et lumière y sont rendus en papier peint comme ils ne l’ont jamais été auparavant. Par la suite, la taille-douce permettra essentiellement la réalisation de contrefonds, par exemple des nids d’abeille pour imiter le tulle sur lesquels viendra s’imprimer à la planche un motif de broderies. Dans la seconde moitié du siècle, l’effet est inversé : un rouleau en taille-douce permettra souvent d’imprimer sur un motif réalisé en détrempe une finition, un effet textile, comme par exemple sur les imitations de tapisserie : une trame de petits carrés qui donne l’illusion du grain spécifique au tissage.
Mais à long terme, la mécanisation est lancée, même si Jean Zuber & Cie n’utilise jusqu’en 1847 qu’un manège à chevaux comme énergie1145.
A cette date, l’impression mécanique en détrempe commence à s’imposer. Jean Zuber, dans son brevet de 1826, a conçu et réalisé une impression à partir d’ « un rouleau en bois en relief » et envoyé comme preuve un fragment de papier peint à motif de rayure imprimé à l’aide de ce procédé1146 : mais étrangement, il n’a pas poussé sa recherche, pour des raisons que nous ignorons1147. En fait, il faut attendre encore plus d’une dizaine d’années la première machine efficace : elle est due à la firme C.H. & E. Potter1148 de Darwen (Lancashire). Les Potter disposent d’une importante expérience dans le domaine de l’impression textile dans le cadre de la manufacture Potter & Ross. Ils tentent d’imprimer en 1839 du papier peint avec des machines textiles mais échouent. C’est dans le cadre de cette entreprise que l’associé Preston met au point le principe connu sous le nom de « surface-printing » (ill° 12. 8) : les rouleaux, au lieu d’être gravés en creux, le sont en relief, comme des planches à imprimer ; des feutres, comme pour les planches, fournissent la couleur. Le problème du séchage, essentiel au vu de la vitesse à laquelle tourne la machine, avait déjà été résolu en 1838 grâce à des radiateurs à vapeur. Le tout est breveté en 1846, même si la production a commencé auparavant. En 1851, leurs produits font forte impression ; le Jury de l’Exposition de Londres déclare :
‘Il n’y a guère que depuis environ dix ans que ce qui est désormais compris comme une impression machine a été pleinement introduit et cela a été réalisé par M. Potter de Darwen qui, au moyen de l’énergie de la vapeur, d’un séchage artificiel, d’un papier en continu, se sont révélés capables d’imprimer en plusieurs couleurs avec un bon résultat grâce à des rouleaux gravés en relief, conformément aux principes de l’impression textile… Ces machines sont maintenant capables d’imprimer 1000 à 1500 pièces par jour1149, et le produit, quoique non équivalent à un produit imprimé à la main, peut à bas prix supplanter largement les genres les moins chers produits manuellement1150.’En 1867, en réponse à une demande de De Kaeppelin qui travaille sur la fabrication du papier peint1151, Ivan Zuber donne comme premier constructeur de ces machines la firme James Houteau de Manchester1152 ;de leur côté, les Américains produisent déjà des machines depuis peut-être 18431153.
Comment fonctionnent ces machines (ill° 12.7 et 8)? Reprenons la description de Louis Figuier qui a vu fonctionner ce type de machine chez Gillou fils & Thorailler à Paris.
‘C’est la vapeur qui communique le mouvement. (La machine) se compose d’un gros cylindre creux renforcé par des bras intérieurs. Des rouleaux gravés en relief sont fournis de couleur par un drap sans fin que passe le papier, pour recevoir l’impression en couleurs de ces derniers. Quand il a passé devant le dernier rouleau, le papier est reçu sur des baguettes et porté mécaniquement sur un étendoir mobile1154.’En France, le mécanicien parisien Bissonet met au point une machine brevetée en 1843 permettant d’imprimer au cylindre en relief, mais entraînée à la main (ill° 12. 6) : c’est cette machine que Leroy utilisait dans ses ateliers et qui permettait d’imprimer en deux couleurs1155.
La première limite de l’impression à la machine est le nombre de couleurs : lorsqu’on imprime à la planche, il n’y a théoriquement aucune limite au nombre de planches et donc au nombre de couleurs, les panoramiques sont là, si nécessaire, pour le prouver. Les machines n’impriment qu’un nombre limité de couleurs, dans la mesure où, concrètement, il est impossible de construire des machines trop importantes, qui supposeraient un tambour central colossal : avec une vingtaine de couleurs, ce tambour atteint déjà environ 2,50 m de diamètre (ill° 12. 7). La machine la plus importante connue est réputée atteindre 26 couleurs, chez Isidore Leroy1156. En usine, cela suppose des fosses pour pouvoir travailler à bonne hauteur. Pour des fabrications de prestige, il est possible d’augmenter le nombre de couleurs en divisant les bacs, mais cela rend complexe l’impression.
Seconde limite : la circonférence des cylindres d’impression correspond à la dimension maximum du rapport du motif en hauteur, ce qui interdit les motifs de grande hauteur, toujours possibles à la planche. Pour les Expositions universelles, les fabricants ont tenté des grands motifs, en augmentant le diamètre des cylindres, mais dans ce cas, il devient impossible d’utiliser un nombre de couleurs important et les réglages deviennent complexes.
Mais la principale limite de l’impression mécanique, tous les observateurs le reconnaissent, c’est la médiocrité du produit fini, liée au système de séchage. A la planche, chaque couleur est séchée avant l’impression d’une autre : ce n’est pas le cas ici où les couleurs humides s’impriment les unes sur les autres, ce qui entraîne une mollesse d’impression d’un rendu peu agréable, très éloignée de la précision de l’impression à la presse : les ouvriers à l’Exposition de 1867 parlent de « lavis qui fait perdre toute forme au dessin et généralement aux ornements les plus simples1157 ». A cela s’ajoute le défaut du « glissement » de la surface lisse du relief du rouleau à grande vitesse : on a réussi à l’éviter en « chapeaudant » les surfaces, c’est-à-dire en bordant les saillies d’une lame de laiton et en remplissant l’espace avec du feutre qui absorbe la couleur et la dépose ensuite sur le papier avec toute la netteté désirable. Tout cela augmente le prix de revient du cylindre et pousse à des séries longues pour les rentabiliser. Enfin, à la main, le seul réglage est celui que l’imprimeur obtient par l’expérience : ici, avant l’impression, il s’agit de régler la machine avec la plus grande exactitude, de sorte que les couleurs s’impriment exactement là où on le souhaite, d’où tâtonnements, essais plus ou moins infructueux, coûteux en temps, fréquemment de l’ordre d’une heure en moyenne par cylindre ; en revanche, les réglages achevés, la machine peut tourner des heures et imprimer des kilomètres de papier au même motif. On retrouve ici l’intérêt qu’il y a à travailler en longues séries pour abaisser les coûts de production.
Daumas, 1968, p. 715. Introduit en France par Oberkampf, Chassagne 1980, p. 159-160.
La machine de Palmer (voir infra) de 1823 est restée sans lendemain.
Le mécanicien anglais Edward Cooper a lui aussi mis au point une machine pour l’impression des papiers peints dont nous ne savons quasiment rien (Sugden & Edmonson 1925 p. 129-130).
Sugden & Edmonson 1925, p. 128-131.
On trouve une description de la machine dans le London Journal of Arts, n° XXXIV, 1823. Elle apparaît dans le London Post Directory, 1829 sous la forme d’une gravure sur bois, reproduite par Heesters 1988, p. 73 et d’après Heesters dans Jacqué 1992, p. 33.
Perrot va d’ailleurs multiplier les brevets de machines à imprimer à la planche dans la période 1830-40, cf. Fabry 1992, p. 43-48.
Pourtant, à l’heure actuelle, le fabricant anglais Farrow & Ball souhaitant renouer avec la planche et sa qualité particulière d’impression mais sans le coût en main-d’œuvre qu’il suppose a modernisé le procédé de Palmer, en faisant appel en particulier à l’électronique (contacts de l’auteur).
Lors de l’Exposition régionale de Toulouse de 1827, le Jury fait allusion au fait que « dans les grandes manufactures, notamment dans celles de la Capitale, on a imaginé de graver sur la surface convexe d’un cylindre que l’on se propose de porter sur le papier » (Rapport du Jury , Exposition des produits des beaux-arts et de l’industrie dans les galeries du capitole à Toulouse pendant les mois de mai et juin de l’année 1827, Toulouse 1827, p. 99.
La question a été étudiée par Nouvel-Kammerer 1984, p. 108-110.
Voir le chapitre consacré à la gravure des rouleaux dans l’Histoire documentaire 1902, p. 644-658.
L’indienneur Dollfus Mieg & cie, le plus important indienneur mulhousien à cette époque.
MPP Z 102.
MPP Z 186.
Ce qui entraîne un approfondissement de la réflexion de Zuber sur le papier continu.
N° 32 des taille-douce.
Mérimée 1832.
Jacqué 1987, planche 24. L’essor de l’industrialisation de la fabrication du tulle à partir de 1816, son développement à partir de 1825 explique sans doute l’intérêt de la manufacture pour ce type d’imitation, cf. Kraatz 1995.
Archives MPP, Z 10, 11 et 12.
Document conservé à l’INPI, voir Kammerer-Nouvel 1984, p. 110.
Le brevet avait sans doute, comme souvent, pour but de bloquer d’autres tentatives, même si le procédé n’était pas encore au point.
Les mêmes Potter lancent la même année une manufacture de papiers peints à la mécanique appelée à être une des plus importantes du pays sur le plan quantitatif (Sugden & Edmonson, p. 221-226).
Exner en 1869 parle de 2500 à 3000 rouleaux par journée de 12 heures, p . 272.
Wolowskt 1854, p. 10.
Kaepelin 1867.
MPP Z 105, 7 avril 1867. En fait Houtson.
Lynn 1980, p. 312.
Figuier 1878, p. 331.
Cette machine est décrite et reproduite dans Schmidt 1856, p. 264-5. Brevet du 24 mars 1843 : « machine à imprimer le papier de tenture par frottement ou par relief » (Fabry 1991, p. 44).
Cette machine, démontée, est actuellement partiellement conservée à La Villette, à la Cité des sciences et de l’industrie. Il existe un projet de la ramener dans son lieu d’origine, proche de Melun.
Son 1867, p. 12.