2.4. Le monde du panoramique

Dans les années 1820-30, la jeune Caroline King vit à Salem dans le Massachusetts. Sur les murs de sa pièce où elle dort, il y a

‘des peintures turques. Une rivière coule tout autour des murs de la chambre, ses rives sont couvertes de mosquées, de minarets et de pavillons. Juste à l’opposé du lit se dresse une belle maison turque à tourelles avec des marches descendant vers l’eau au pied desquelles est amarré un bateau d’agrément avec des auvents pourpres et des coussins1165. ’

Balzac en propose à la même époque une vision moins séduisante lorsqu’il fait déjeuner mademoiselle Gamard, dans une salle à manger décorée des

‘grotesques inventions d’un papier verni représentant des paysages turcs1166. ’

De leur côté, le 20 juillet 1857, les frères Goncourt reviennent dans la ville de leur enfance, Neufchâteau, en Lorraine, pour inhumer leur oncle : ils retrouvent leur maison de famille pleine de souvenirs, en particulier

‘la salle à manger au papier animé des jardins de Constantinople et des Turcs des Mille & une nuits. ’

Ainsi, à des milliers de kilomètres de distance, un même panoramique1167 enchante une jeune Américaine et deux jeunes Français qui, bien des années plus tard, se souviennent non sans émotion des Rives du Bosphore (ill° 16. 2),un panoramique créé par la manufacture Dufour vers 1812. Il est vrai que Balzac ne le voit pas du même œil.

Ces trop rares témoignages attestent de l’attention portée à ce que nous nommons « papiers peints panoramiques » ou, plus simplement « panoramiques1168 » : peu de décors ont à ce point marqué des enfants - et des adultes - tout en leur offrant une saisissante introduction à l’histoire du monde, à la géographie, à l’anthropologie, une expérience forte qui tient à l’originalité fondamentale du panoramique, au message dont, plus que tout autre forme de décor mural, il est porteur. Mais la vision balzacienne nous montre que tout le monde n’a pas partagé la même opinion et que les panoramiques ont aussi eu leurs détracteurs.

Notes
1165.

King (Caroline) 1937, p. 119.

1166.

Le curé de Tours, 1832 ; la scène se déroule à l’automne 1826.

1167.

La bibliographie de base reste Nouvel-Kammerer 1990 ; l’édition 2000 a apporté de légères modifications.

1168.

Nous utiliserons ici ce terme, qui sera discuté par la suite.