2.4.5. La création du panoramique : le manufacturier et le dessinateur

En 1802, Jean Zuber décide de se lancer dans l’aventure du panoramique : l’idée est dans l’air du temps, comme le montrent nombre d’indices.L’idée le hante depuis quelques années, et c’est sans doute lui l’auteur de ce courrier au dessinateur Darmancourt, le 25 brumaire 81193 :

‘Vous devés vous rappeller que nous avions raisonné ensemble l’idée de faire des panneaux en pays.(age) il y a deux ans & c’est toujours un objet dont nous nous occupons avec plaisir ; mais les circonstances ne sont pas encore assez favorables pour exécuter un ouvrage aussi coû(eux)x – aussi sommes nous décidés de le laisser encore en suspend.’

Le manque de moyens l’empêche de mener à bien ce projet : mais une fois trouvées ses assises dans l’entreprise qu’il vient de reprendre, Jean Zuber se décide. Pour ce faire, il lui faut un personnage essentiel, l’indispensable rouage qui va concrétiser ses souhaits. Jean Zuber puis ses successeurs à la manufacture vont travailler avec quelques dessinateurs auxquels ils restent fidèles de longues années, à une exception, le ou les créateurs de la Dame du lac, ill° 32 (1827).

Le 28 septembre 1802, Jean Zuber écrit à « Mongin1194 peintre rue de Sèves » (ill° 24) à Paris :

‘Nous répondons à l’aimable lettre que vous avez adressé à n/ ami M. Payer en date du 30 fructr (…) Si les paysages camayeux que vous dîtes avoir fait ont été exécutés à Macon nous les connaissons et vous faisons nos compliments s/ leur réussite. Nous avons depuis plusieurs années l’intention d’exécuter un paysage en coloré dans la même manière que vous décrivez et nous voulions choisir des vues de Suisse afin de donner à ce décor un intérêt plus général (…)’

Ce courrier fait suite à la rencontre entre Jean Zuber et Mongin à Paris sous des auspices que nous ignorons1195. Jean Zuber précise ensuite à Mongin ce qu’il attend de lui exactement et c’est le prélude à une longue collaboration (doublée d’une réelle amitié1196) entre les deux hommes, que la mort seule du dessinateur interrompra. Sans avoir l’ampleur du rôle de Malaine sous la Révolution, Mongin forme des dessinateurs, retouche à l’occasion un dessin1197.

En 1802, Antoine-Pierre Mongin est un artiste parisien, né en 17611198, élève à l’Académie royale de peinture de 1782 à 1785 dans l’atelier de Doyen, comme nombre de paysagistes de sa génération. Au moment où il rencontre Jean Zuber, il a surtout produit des gouaches dans la lignée de Moreau l’aîné qu’il expose au Salon depuis 1791, à raison de trois à quatre par an (ill° 24. 2)1199. Un thème y revient inlassablement, celui du parc ; dans un cadre de frondaisons avec, parfois, pour arrière plan, quelque château, des fabriques : ruines, tholos, pont chinois, vases Médicis peuplent l’harmonieux désordre du jardin ; il emprunte aux parcs de la région parisienne : chevaux de Marly1200, tour de Marlborough au Petit Trianon1201, pavillon de Bagatelle1202. Mais ces éléments reconnaissables laissent entendre qu’il s’agit moins d’une peinture documentaire1203 que de travaux dans l’esprit du paysage composé cher à celui qu’il nomme, il est vrai bien plus tard, « mon intime ami », le peintre Victor Bertin1204. Dans ses gouaches, Mongin pratique une touche frémissante, des bleus vaporeux : prétexte à d’imaginaires Arcadies dans lesquelles les personnages se réduisent à d’élégantes silhouettes pour qui il aime à imaginer de galantes situations1205.

Par la suite, au vu des livrets des salons, Mongin alterne les paysages avec des scènes de genre, dans le goût troubadour, et quelques toiles militaires. S’il semble moins pratiquer la gouache, il peint à l’huile non seulement sur toile mais aussi sur papier. Son passage en Alsace l’a entraîné en Suisse (où il prépare un nouveau panoramique en 1806) ce qui laisse des traces plus tardives dans sa peinture : sans doute a-t-il travaillé jusqu’à la fin de sa vie sur ses anciens croquis ; on aimerait aussi connaître sa Vue intérieure d’une maison près Mulhouse, présentée au Salon de 1822.

Son style reste très marqué par la manière de sa jeunesse : quand il dessine un premier projet pour son panoramique l’Arcadie, (ill° 27. 3) vers 1810, ses personnages sont d’un dessin qui appartient encore au XVIIIe siècle, ce qui sera corrigé à l’impression, très néoclassique. Et Robert Rosenblum, commentant son Curieux (ill° 24. 3) de 1823, actuellement conservé au Musée de Cleveland, constate que « l’artiste possède un sens intuitif de l’ordre classique rendu grâce à la disposition naturelle et lucide des éléments architecturaux et du paysage dans un espace non défini par un sol plan 1206». Il ajoute par ailleurs que son œuvre reflète « la fraîcheur candide de (l’)observation empirique (…) mais que ces perceptions se plient encore à la discipline intuitivement abstraite d’une composition où alignements parallèles et perpendiculaires bâtissent sans ostentation une structure spatiale d’une lucidité presque davidienne, en contrepoint de charmantes descriptions superficielles, frondaisons sauvages, vieux murs pierreux, tremblant étincellement de la lumière1207». En un mot, Mongin combine avec bonheur, à défaut de génie, le charme du XVIIIe et la rigueur du XIXe siècle.

Notons par ailleurs que Mongin semble bien introduit dans le milieu artistique parisien. Il est en contact avec Fontaine qui fait des essais, mais sans succès, pour Jean Zuber à qui ses dessins, mais plus encore ses prix, ne conviennent pas1208. Ses courriers à Godefroy Engelmann laissent entendre des liens étroits avec le peintre Girodet et le célèbre théoricien du néoclassicisme Quatremère de Quincy, en plus du peintre Bertin.

En dehors de la peinture, Mongin est aussi musicien, ce qui lui permet de jouer avec Jean Zuber1209. Il a du goût pour le théâtre et brosse des décors pour des comédies de salon à la Commanderie de Rixheim1210 ; de même, il trousse avec élégance quelques vers de circonstances1211, ce qui en fait un fort agréable compagnon qui apporte à Rixheim tout à la fois la tradition des Lumières et l’air de Paris.

Comment l’artiste conjugue-t-il son activité d’artiste et de dessinateur de fabrique ? Un courrier adressé à l’administration des Beaux-Arts en 1816 oppose l’obtention d’ « une de ces récompenses si flatteuses pour un artiste qui préfère la gloire au bénéfice qu’il peut retirer de ses travaux », en l’occurrence une médaille au Salon (et les achats comme les commandes qu’elle suppose) au fait qu’il est forcé de se « livrer à des occupations dont les succès sont nuls pour ma réputation », en l’occurrence à cette date, l’élaboration de deux panoramiques1212. Les activités apparaissent donc clairement appartenir à deux domaines opposés, l’un artistique, qui apporte la « gloire »1213 et l’autre, plus terre à terre, mais source de revenus. De ce point de vue, il est intéressant de comparer ce que les commandes d’État lui rapportent, 15001214 ou 20001215 francs le tableau, à ses revenus provenant de Rixheim : au même moment, il touche 3000 francs d’honoraires pour la Grande Helvétie auxquels s’ajoutent 6 francs par exemplaire vendu.

Le statut d’artiste que revendique cependant Mongin se lit dans un comportement typique d’un peintre : il signe à deux reprises (mais deux fois seulement) un panoramique. Le premier exemple reste discret : Mongin signe l’Arcadie (1811), on peut lire sur le pont du 12e lé l’inscription : peint par Mongin, mais en caractères grecs. En revanche il signe comme un artiste les Vues d’Italie où au lé 18 figure clairement l’inscription Mongin fecit in Rixheim 1818. Cechoix ne tient sûrement pas du hasard, puisque ce panoramique est appelé à être présenté l’année suivante à l’Exposition de produits de l’industrie, la première depuis 1806 : mais ce n’est certainement pas un hasard non plus s’il a préféré fecit au traditionnel pinxit.

En résumé, Mongin apparaît comme un petit maître charmant et doué qui complète son activité artistique par des travaux de fabrique.

Nous ignorons tout de l’engagement de Julien-Michel Gué (1789-1843) qui réalise un seul panoramique pour la manufacture de Rixheim : aucun document d’archives ne nous est parvenu à son propos. En revanche, le choix s’explique facilement : puisque Gué est un des principaux créateurs de décor de théâtre, d’opéra et de ces formules intermédiaires entre le théâtre et le panorama qui fleurissent dans les années 18201216. Dans un contrat de 18291217 consacré à la création d’un « Hydrorama » en collaboration avec l’architecte Antoine-Marie Peyre, Gué est dit « peintre & décorateur du théâtre de l’opéra-comique et de plusieurs théâtres royaux », alors que dans les années qui précédent, on le rencontre sur les scènes de boulevard, comme le théâtre de la Gaîté ou au Panorama dramatique où il travaille avec Daguerre et Cicéri dans un style troubadour quasi-caricatural1218. Une lithographie d’Engelmann (autre lien avec Rixheim) montre par exemple le décor réalisé pour la pièce le Meurtrier, créée à la Gaîté le 26 mars 1822 ; même si ce décor s’inspire du porche Nord de la cathédrale de Chartres, il a tout d’une ruine troubadour : par des ouvertures en ogive, l’artiste multiplie les plans successifs qui se heurtent à un fond montagneux1219. Lorsqu’il dessine pour Rixheim la Dame du lac, d’après Walter Scott, Gué joue des mêmes moyens en s’inspirant des gravures qui illustrent la première édition de l’œuvre. Gué ne réalise qu’un panoramique pour Jean Zuber : sa forte spécialisation lui rend sans doute difficile le renouvellement de son inspiration : ce qui n’est pas le cas de son successeur, Deltil, capable de traiter avec le même allant des sujets aussi divers que la guerre d’indépendance grecque ou des scènes de chasse.

Présenter Deltil se heurte à de nombreuses difficultés car, si nous possédons une abondante documentation sur Mongin dans sa double activité, voire sur l’œuvre de Gué , il n’en est pas de même pour Jean-Julien Deltil, créateur pourtant de six panoramiques et de quelques dessus-de-porte à Rixheim de 1828 à 1837. Cependant, les lettres qu’il a adressées à la manufacture sont parvenues jusqu’à nous, à défaut de leurs réponses1220. Nous ignorons en revanche tout de sa carrière de peintre, si tant est qu’il en ait eu véritablement une.

Deltil est né le 29 avril 1791 à Paris, est entré à l’École des Beaux-Arts, où il est réputé être l’élève de Jean-Baptiste Debret1221, le 26 novembre 1813, expose aux Salons de 1814 et 1824 des portraits ; le Musée de Compiègne conserve son autoportrait1222 et un paysage qu’il n’a pas été possible de retrouver. Cet autoportrait, non daté, nous le représente comme peintre, vêtu d’une blouse, palette et pinceau à la main, même si cela ne semble pas avoir été son activité principale. Si Jean Zuber fait appel à lui, c’est qu’il s’agit d’un homme d’expérience. Dès 1818, il crée une « tenture de paysages », la bataille d’Héliopolis ou les Français en Égypte (ill° 18. 1) pour la manufacture parisienne Velay qui obtient à l’Exposition des produits de l’industrie de 1819 une mention honorable : Deltil l’a discrètement signée sur l’obélisque du lé 7 qui rappelle que nous sommes en Égypte1223. Il consacre de 1828 à 1837 une notable partie de son temps à la manufacture de Rixheim mais il doit sans doute fournir des maquettes à d’autres confrères1224. Lorsqu’en 1835, il négocie avec Zuber un contrat sous seing privé1225, dont nous ignorons s’il a été signé, il prévoit de travailler quatre mois par an pour l’entreprise à raison de 500 francs par mois mais « s’engage à n’accepter aucuns travaux ou dessins quelconques pour papier peint de toute autre maison que de MM. Zuber & Cie » : ce qui peut permettre de supposer que ce n’était pas obligatoirement le cas auparavant. Ce projet laisse aussi entendre que Deltil dispose de 8 mois par an pour son œuvre personnelle, qu’elle soit virtuelle ou qu’elle reste à découvrir, peut-être dans un autre domaine de l’art décoratif.

Deltil fournit des maquettes à Zuber, mais à la différence de Mongin, c’est un simple fournisseur, avec lequel les courriers laissent supposer des rapports financiers de marchands de tapis ; par ailleurs, Deltil ne semble pas avoir autant séjourné à Rixheim que son prédécesseur ni donné son avis sur la production, voire retouché tel ou tel dessin. Seul compte pour la manufacture le technicien du panoramique1226.

En matière de style, à la différence de Mongin, défenseur d’une vision arcadienne typique de sa génération, Deltil apparaît comme un novateur et cela dès 1818, lors de la création de la Bataille d’Héliopolis : au moment où Mongin dessine une Italie traditionnelle et sereine1227, à l’image de ce que réalisent d’ailleurs ses confrères, Deltil se lance dans une vision autrement dynamique, sans équivalent à l’époque : les chevaux galopent, en soulevant de la poussière, des soldats français affrontent violemment des indigènes, un canon tonne, les uniformes chatoient… Ce style, marqué de tendances romantiques, Deltil le théorise en mai 1829 quand il écrit à Jean Zuber à propos des Vues du Brésil (ill° 34) en cours d’élaboration :

‘Il ne suffit plus au temps où nous sommes de représenter des vues de paysages ou de monuments, il faut parler à l’imagination, il faut de l’action, du mouvement et que tout l’intérêt se porte sur les figures qui sont toujours le sujet principal malgré le titre de l’ouvrage qui n’annonce que du paysage.’

En fait, ce programme, Deltil l’a déjà mis en pratique l’année précédente dans sa première réalisation pour Rixheim, les Combats des Grecs (ill° 33), très proches de l’esprit de la bataille d’Héliopolis, et il reste fidèle à cette esthétique jusqu’à la fin de sa collaboration avec les Zuber, en 1837.

Nous ignorons la raison de la rupture, puisque les derniers courriers font allusion à un projet pour lequel existe une esquisse : les Scènes maritimes 1228. Mais à cette date, le marché est saturé et la manufacture de Rixheim attend cinq ans, plus du double du délai habituel avec Deltil, pour lancer un nouveau panoramique, mais sans lui.

Car en 1842, la manufacture se lance avec Isola bella (ill° 38) dans un changement radical qu’a souligné en son temps Odile Nouvel-Kammerer1229 : le nouveau panoramique, centré sur la seule nature, élimine avec les personnages la dimension historiée qui était jusqu’alors de règle1230. Et pour mettre au point cette nouveauté, point n’est besoin de faire appel à un « technicien » du panoramique, comme l’étaient tant Mongin que Deltil : un dessinateur de fabrique talentueux, spécialisé dans la fleur peut répondre avec satisfaction à la demande. Ce dessinateur, c’est François-Eugène Ehrmann qui, seul ou en collaboration, réalise, outre Isola bella, l’Eldorado, ill 39 (1849) et les Zones terrestres, ill ° 40 (1855).

Eugène Ehrmann1231 (7 décembre 1804 - 3 février 1896) est, nous l’avons vu, un ami d’enfance de Fritz Zuber, fils de Jean : ils se sont connus au collège à Colmar1232. Après des études de chimie à Gießen et à Paris, il entre comme coloriste en 1826 à la manufacture : mais très vite, il affirme ses talents de dessinateur et prend rapidement la direction de l’atelier de dessin de la manufacture, jusqu’en 1876 ; il continue à fournir des motifs à l’entreprise jusqu’en 1890 ; c’est un spécialiste de la fleur au naturel, du genre « Pompadour »1233. Ses mérites sont reconnus par le Jury de l’Exposition universelle de Paris de 1867 qui lui décerne une médaille d’argent de collaborateur1234.

A ses côtés travaillent des dessinateurs de papiers peints de haut niveau, Georges Zipélius, (1808-1890), Joseph Fuchs (1814-1888) qui, soit à Rixheim, soit à la tête d’ateliers de dessin, fournissent les manufactures : nous les retrouverons dessinant par exemple des décors à Rixheim comme à Paris. Et quand en 1861, l’entreprise fait dessiner son dernier panoramique, le Jardin japonais (ill° 41), elle fait aussi appel à un des plus fameux dessinateurs de motifs de papier peint du XIXe siècle, spécialisé dans le dessin d’ornement, Victor Potterlet (1811-1899) que nous retrouverons dans le monde des décors.

Au fur et à mesure des années, le dessin de panoramique à Rixheim s’est donc spécialisé de plus en plus : au départ des créateurs qui ont reçu une formation de Beaux-Arts, puis des spécialistes du motif de papier peint. Ce qui permet de dire que, même si, à l’occasion, les prospectus de vente parlent d’ « artiste », sans jamais d’ailleurs les nommer, le propos n’a d’autre ambition que vénale : la rupture est désormais claire entre le monde de l’art et celui de l’industrie, alors même que le panoramique d’une certaine manière, fait le lien entre ces deux mondes.

Lors de la première prise de contact avec Mongin, nous avons vu que Jean Zuber sait ce qu’il veut :

‘Nous avons depuis plusieurs années l’intention d’exécuter un paysage en colorié dans la même manière que vous décrivez et nous voulions choisir des vues de Suisse afin de donner à ce décor un intérêt plus général. Si vous voullez faire un essai vous voudrez bien choisir un sujet qui vous conviendra pour le peindre s/ un lais de 25 pouces de largeur et d’une hauteur proportionné (sic). Cet échantillon fini, vous voudrez bien nous l’envoyé par la diligence de Mulhouse et nous vous dirons si ce genre de travail convient à notre exécution et nous entrerons en ce cas dans les détails nécessaires par la suite1235.’

En clair, Jean Zuber a choisi son thème qui ne semble pas encore exister sur le marché. Et, dès le 4 février 1803, Jean Zuber peut écrire à son beau-frère Michel Spörlin, en voyage pour la manufacture à Hambourg son enthousiasme et ses inquiétudes devant le coût de l’opération.

Le même jour, Jean Zuber répond à l’envoi de Mongin :

‘Nous sommes bien décidés à exécuter un décor composé de 12 à 16 lais Vues de Suisse à choisir dans celles qui font le plus d ‘effet et qui présentent le moins de difficultés et exigent le moins de frais à l’exécution (…) Nous devons donc avant tout vous inviter de ménager autant que possible le nombre de teintes dans l’ouvrage en question et de vous attacher à n’employer que les tons absolument nécessaires pour produire l’effet désiré.’

A l’évidence, Zuber a une idée précise de son projet et les échanges de courrier qui suivent tout au long de l’élaboration de l’entreprise, démontrent que toute l’initiative lui appartient. Par la suite, les liens d’amitié qui s’établissent entre les deux hommes ont sans doute abouti à des échanges fructueux aboutissant à telle ou telle réalisation : il est évident par exemple que Mongin avait une connaissance poussée de l’Oriental Scenery des frères Daniell dans l’édition de 18011236 et qu’il a pu recommander à Zuber de travailler sur ce thème. Malheureusement, à l’exception des Vues de Suisse (ill° 26), aucun document d’archives ne nous permet d’approfondir la question chez Mongin.

Les lettres envoyées par Jean-Julien Deltil à son commanditaire nous éclairent davantage. La manufacture semble bien imposer ses sujets. Ainsi, pour les Combats des Grecs (ill° 33), l’intérêt de Jean Zuber-Karth, président du comité philhellène mulhousien, explique ce choix1237, d’une certaine manière malheureux parce que fait trop tard, au moment où les Grecs ne suscitent plus la même sollicitude : ce panoramique se révèle en effet un échec. Pour les Vues du Brésil (ill° 34), les liens de Deltil avec le peintre Debret qui a émigré en 1816 à Rio de Janeiro à la demande de la cour brésilienne pour y développer les Beaux-Arts explique peut-être l’intérêt du dessinateur1238. De son côté, Jean Zuber est en contact étroit avec le lithographe Godefroy Engelmann qui est en train d’éditer les dessins du Bavarois Rugendas. Jean Zuber-Karth et son frère Frédéric1239 ont dû sentir tout l’intérêt que présentait ce sujet alors complètement vierge et l’imposer au dessinateur. Le 8 avril, Frédéric écrit à son frère :

‘J’ai parlé de n/ idée de paysage à Deltil & il entre dans nos vues et paraît disposé, mais je n’ai pas encore voulu parler du prix avant qu’il aye réfléchi à la chose & qu’il établisse un projet bien déterminé1240.’

Le lendemain, une seconde lettre fait mention « d’une longue discussion avec Deltil » et une première description des scènes envisagées, assez éloignée du projet adopté et Frédéric de conclure :

‘Voici donc la base arrêtée selon ma manière de voir (…) en attendant, Deltil fera un croquis provisoire d’un des tableaux et s’occupera ensuite d’une esquisse arrêtée aux petits détails près1241.’

Finalement, Deltil, le 28 mai 1829, écrit à la manufacture :

‘J’en crois le choix (…) extrêmement heureux (…) il n’est pas un de ces sujets de fantaisie, lesquels passent ordinairement comme les modes, et il est indépendant des événemens politiques en ce qu’il ne blesse personne et qu’il peut être intéressant pour tous1242.’

Deltil définit ici quelques uns des principes du choix sur lequel nous reviendrons. Dans les années qui suivent, c’est Zuber qui impose le Paysage à chasses (ill° 35).Deltil lui écrit le 20 janvier 1831 :

‘Vous m’annoncez un nouveau projet de paysage dont le sujet serait une chasse’

ce qu’approuve d’emblée le dessinateur, toujours soucieux de bien faire. Le 24 juillet 1833, il écrit ainsi à son commanditaire :

‘Je vous envoie le résultat de divers projets de composition pour votre paysage des vües de l’Amérique du Nord. J’ai suivi ponctuellement les indications de votre lettre qui se sont rencontrées être à peu près ce que j’aurais fait si j’eusse été livré à mes seules lumières.’

Nous verrons que près de six mois plus tard, des désaccords continuent à subsister.

Jean Zuber ou ses successeurs ne décident cependant pas seuls sur des coups de cœur : leur choix est le fruit d’une réflexion mais aussi des avis de ceux qui jouent un rôle dans la maison. Ainsi, au cours de l’été 1812, la décision est prise de lancer de nouvelles Vues de Suisse, (le panoramique que nous connaissons sous le nom de Grande Helvétie, ill° 28). Jean Zuber écrit le 22 août 1812 à Frédéric Feer, qui voyage pour la maison de revenir pour tenir «grand conseil sur le nouveau décor à paysage que nous nous proposons de faire » avant que le manufacturier rejoigne Paris pour en discuter avec Mongin.Nous n’avons malheureusement aucune idée des participants à ce « grand conseil » : en tout cas, pas Mongin.

En fait, au manufacturier l’initiative mais comme il est fidèle de longues années à un même dessinateur, il doit tenir compte de ses compétences, voire de ses goûts, d’autant plus que le dessinateur en question est un spécialiste et qu’il suit de près le marché dans son domaine. La documentation nous fait malheureusement faux bond lorsqu’en 1842 la manufacture se lance dans une aventure toute nouvelle avec Isola bella, même si les risques sont limités avec un panoramique relativement réduit de 18 lés seulement. L’entrepreneur fait ici preuve de flair, comme il l’a toujours fait à vrai dire et on a le sentiment que bien loin d’un marketing élaboré, il se fie à son goût et à sa connaissance des marchés pour imposer tel ou tel choix et convaincre d’abord son dessinateur, ensuite la clientèle.

Cependant, un certain nombre de critères limite ce choix. Ainsi, comme le relevait précédemment Deltil, les sujets politiques sont mal venus, certains sujets pouvant blesser telle fraction du public : il a fallu sans doute toute la passion de Jean Zuber-Karth pour la cause grecque pour imposer ses vues, si amère qu’ait été l’expérience. Par ailleurs, il s’agit d ‘éviter les doublons avec la concurrence, le marché n’étant pas extensible. C’est ainsi que le 22 septembre 1812, Jean Zuber écrit à Jacquemart :

‘Le hasard vient de nous apprendre que vous avez l’intention, Monsieur, de faire composer par Monsieur Vernet un paysage représentant une grande chasse au cerf1243

et prétend travailler sur le même sujet. Un arrangement est-il alors possible ? La réponse vient rapidement puisque le 6 octobre 1812, Jean Zuber écrit à son dessinateur :

‘Je viens de recevoir la réponse de Jacquemart qui nous dit de la façon la plus obligeante du monde qu’il n’a pas les moyens de rompre les engagemens qu’il a contractés pour faire une chasse, nous renonçons à ce sujet1244.’

Sans doute s’agit-il de la Chasse de Compiègne (ill° 19. 1)qui sera sur le marché avant 1814.

On peut se poser la même question à propos du projet de Paysage égyptien de Mongin dont une partie de la maquette originale est parvenue jusqu’à nous1245 : Mongin la signe et la date de 1819. Mais sans doute la manufacture a-t-elle eu vent des Français en Égypte (ill° 18. 1) de Deltil pour Velay qui viennent juste d’être édités : il n’y a pas la place au même moment pour deux panoramiques à thème égyptien sur le marché, et le projet est abandonné, même si les deux projets s’avèrent très différents, celui de Mongin beaucoup plus « archéologique » que celui de son confrère, dont le décor se réduit à une Égypte de fantaisie.

La date est par ailleurs importante : en 1819 a lieu la première Exposition des Produits de l’Industrie depuis 1806 et les manufacturiers rivalisent en multipliant les créations. Le panoramique est un produit phare de ces expositions et cela restera vrai jusqu’à l’Exposition universelle de Paris de 18551246 : la lutte est rude entre les manufactures parisiennes et la manufacture de Rixheim, la première en 1834 à recevoir une médaille d’or, accepte mal ses demi-échecs de 1851 à 1862. Il s’agit donc de présenter à chacune de ces occasions une œuvre exceptionnelle.

Une fois accepté le principe de la réalisation de tel panoramique par le dessinateur, ce dernier rassemble avec le manufacturier sa documentation1247 : son rôle n’est point de créer au sens où un artiste crée, en fait son véritable travail consiste à composer un ensemble cohérent à partir de motifs existants : Deltil exprime bien la chose lorsqu’il écrit à Rixheim le 29 mai 1819 :

‘Je crois avoir par la disposition des masses et des grandes lignes de paysage vaincu une très grande difficulté qui était de rassembler sans invraisemblance dans un même tableau des sujets très opposés et de pouvoir introduire par ce moyen un grand nombre de figures et d’animaux (…) Une seule difficulté existait et je vous avance qu’elle m’a longtemps embarrassé et que je ne m’en suis pas tiré sans peine, c’était comme je vous l’ai dit de réunir un grand nombre de figures et de costumes variés, des animaux féroces et des animaux domestiques, des anthropophages et des Européens, des vaisseaux à la voile et des forêts vierges, des combats, des chasses et des plantations où l’on verra des négresses et des nègres occupés à des travaux paisibles.’

Passons sur les anthropophages, mais reconnaissons que Deltil précise clairement le problème : encore a-t-il une source unique, les dessins et les lithographies du Bavarois Johann Moritz Rugendas1248, déjà ou en voie d’être réalisées par la firme Engelmann où Jean Zuber a des intérêts1249 ; Deltil peut écrire le 12 septembre 1829 :

‘J’ai été chez Engelmann qui avec toute la complaisance possible a mis à ma disposition, c’est-à-dire m’a permis d’examiner les matériaux qui serviront à l’achèvement du voyage de Rugendas1250.’

Quant à ce qui a déjà été publié, Deltil l’a entre les mains :

‘J’ai choisi aussi avec soin pour composer la végétation des plantes qui caractérisent le pays dans le précieux ouvrage que vous m’avez confié abonde1251.’

La consultation des lithographies s’avère parlante1252 : en dehors des planches de botanique, une dizaine de lithographies a été très précisément utilisée (ill° 34. 3 et 4) , en fonction de critères sur lesquels nous reviendrons.

Mais les choses ne se présentent pas toujours aussi simplement : l’élaboration des Vues de Suisse(ill° 25) par Mongin nous le démontre très précisément. Si d’emblée Jean Zuber est littéralement emballé par le travail de Mongin, il doit vite reconnaître que celui-ci n’a pas la moindre idée de la Suisse. A la suite de l’envoi des premiers projets du dessinateur, Jean Zuber se voit dans l’obligation de lui écrire :

‘Nous vous remarquerons que nous ne trouvons pas que la grande roche soyent rendus d’après les formes caractéristiques de la belle nature suisse1253peut être que vous n’avez connaissance des bonnes estampes colorées que nous avons des vües de Suisse, si cela est nous pouvons vous en envoyer une collection dans laquelle vous choisirez les sujets les plus convenables à notre objet1254.’

Et un mois plus tard, Jean Zuber lui envoie une sélection d’estampes :

‘Avant de vous envoyer des estampes des vües de Suisse nous avons voulu connaître plusieurs collections nouvelles qui étaient sortis l’année dernière (…) nous avons fait le choix des sujets qui nous ont paru les plus propres à notre objet & nous envoyons
N° 1 6 f° de Hess en bistre
N° 2 14 “ de Weibel colorié
N° 3 1 “pic de la vierge Marie par Alberli coloré
N° 4 1“ chute du Staubach coloré par Koenig
N° 6 1 » glacier de la fourche par Loutersbourg
Vous trouverez dans le n° 1 & 2 une variété de sites les plus intéressants et parmi les plus eux il vous sera facile d’assembler en tableaux délicieux les autres feuilles présentant des beautés diverses, mais fidèles au caractère de ce beau pays1255.’

Mais Jean Zuber ajoute :

‘Nous vous laissons entièrement maître de faire une composition générale à votre goût1256.’

Les rôles sont clairs : la manufacture, ici, pourvoit à la documentation sans doute moins évidente à trouver à Paris qu’à Bâle où Jean Zuber se fournit à l’ordinaire mais laisse à Mongin son rôle qui consiste à la mettre en forme. De Mongin à Deltil, en 30 ans, rien de ce point de vue n’a changé.

L’étape suivante consiste à concrétiser cette « composition générale ». Il importe donc au dessinateur de sélectionner soit des ensembles cohérents, soit des détails évocateurs avant de les recomposer de façon séduisante dans un cadre paysager selon un rythme spécifique. Mais, par delà cet impératif stylistique, tout bon dessinateur sait aussi qu’il est des règles implicites. Tout ce qui risquerait de choquer la pudeur est éliminé ; les nus sont rhabillés, comme les Polynésiennes des Sauvages du Pacifique  (ill° 16. 1) ; les « danses très-voluptueuses et même lascives » des bayadères annoncées par le prospectus de la Grande chasse au Tigre (ill ° 16. 4) de Velay pourraient être posées sans risque dans la cellule d’un moine, et si dans les Vues du Brésil (ill° 34), on souhaite opposer vie sauvage et vie civilisée dont la nudité est un des enjeux, l’on prend soin de cacher ce qu’on ne saurait voir; les nus ne deviennent un tant soit peu suggestifs que lorsqu’on se rapproche des Beaux-arts : dans Psyché & Cupidon (ill° 15. 3)ou, surtout, dans les tableaux provocateurs de Jules Desfossé (ill° 42. 4) . La décence élimine aussi la représentation de la mort : les batailles sont étonnamment “propres” et le dessinateur a su éluder la vision du cadavre de Virginie sur la plage; l’élimination des Indiens brésiliens (ill° 34. 5) est noyée dans la fumée de fusils apparemment très sensibles à l’humidité amazonienne... Quant au surnaturel, qu’il appartienne à la mythologie ou au christianisme, il disparaît.

En bon professionnel, le dessinateur a su utiliser les procédés courants en matière de panoramique : en premier plan, une terrasse à partir de laquelle se crée la profondeur; des étendues d’eau, des percées forestières, des arrière-plans montagneux sont les fondements de la perspective. Le découpage en scènes, indispensable à une bonne installation, est obtenu par des buttes, des rochers, des massifs d’arbres, d’apparence artificielle, un peu comme dans un décor de théâtre : si Monginjoue de transitions subtiles en créant d’élégants bosquets, Deltil pour sa part dessine lourdement des rochers qui cadrent le tableau. Le dessinateur joue aussi largement du ciel qui occupe une place majeure, quantitativement et qualitativement, pour donner de l’ampleur à la représentation ; il alterne les visions étouffantes, refermées, avec les visions plus ouvertes qui donnent son rythme et sa respiration à l’ensemble.

La documentation maîtrisée, les règles appliquées, le dessinateur fait parvenir à la manufacture une « esquisse » de l’ensemble du panoramique, sous une forme réduite : trois nous sont parvenues, celle de l’Arcadie (ill° 27. 2 et 3 droite) de Mongin en 1809, au crayon relevé de lavis de bistre1257, celle, une pochade peinte à l’huile sur papier, des Vues du Brésil (ill° 34. 2) de 18291258 et, sous la forme de deux dessins gouachés, le Brésil de Jules Desfossé, dessiné par Joseph Fuchs en 18621259. Une dernière, conservée à Rixheim, correspond à un panoramique de Deltil non réalisé en 1839, pour des raisons inconnues, les Scènes maritimes 1260. Dans tous les cas, il s’agit de simples ébauches dont cependant le format respecte l’échelle du panoramique1261. Ces esquisses, entre les mains du manufacturier, sont une base de discussion : au reçu de celle de la Grande Helvétie (ill° 28), le 7 novembre 1812, Jean Zuber écrit à Mongin :

‘(…) votre esquisse m’a été rendue hier et nous la trouvons tous d’une composition charmante et telle que nous ne doutons point de la réussite de l’ouvrage aux yeux de l’acheteur, je ne désire que d’y voir un peu moins de figures. Je vous noterai à cet égard mes observations détaillées jointes à toutes celles que je croirai devoir vous faire pour que notre ouvrage arrive au plus haut niveau de perfection possible1262.’

Nous conservons par exemple les notes que Fritz Zuber a écrites en recevant l’esquisse des Vues d’Amérique (ill° 36) 1263 (1835) et des Courses de chevaux, ill° 37(1837)1264.

A propos des premières, il écrit, dans une note datée de décembre 1834, alors que le travail de gravure est déjà bien avancé :

‘observations : s/ le panneau du port de Boston, manque de mouvt, d’intérêt, de barques, de peuple, vaisseaux incorrects, faire des bâtimens de guerre et md saluant le port, qque peu de voiles ouvertes, pavoisés ou en fête, s/ le port garni de peuple ou soldats
s/ le Niagara. L’horizon de la mer à garder ( ?) parallèle à la chute – il faut remonter aller ( ?) de 6 à 8 pouces, donner plus d’étendue à la chute & la faire perdre derrière le rocher à gauche (v. lyth. du Musée) l’effet de la ponnière ( ?) trop dur et non naturel ; faire de la mousse des vagues au bas, poussière blanche et transparente & haut à effet d’arc en ciel
la montagne d’Hudson est gigantesque, p/ la couleur qui l’éloigne trop & les détails si elle est si loin – il faut changer la couleur ou la dimension1265.’

Une partie au moins de ces changements a été réalisée si l’on considère par exemple, le port de Boston.

L’année suivante, des notes1266 au crayon sur un papier non daté concernant un déplacement à Paris portent des indications concernant les Courses de chevaux, ill° 37 (1837) : une partie, fort abrégée est illisible, mais l’on peut lire à la suite

‘Mettre plus d’équipages, des épisodes ( ?), scènes habituelles, changer la course françse en course de particulr dite du clocher (steeple chase) ; scène de carnaval plus prononcée à la suite de la cse romaine au sd plan de la Caratella.’

Finalement, le manufacturier a toujours le même souci : des personnages et du mouvement, à condition que cela ne suppose pas davantage de couleurs et de gravure, ce qui coûte. Tout au long des courriers, cela revient comme un leitmotiv : dès les premiers courriers à Mongin, par exemple :

‘Nous devons donc avant tout vous inviter de ménager autant que possible le nombre des teintes dans l’ouvrage en question et de n’employer que les tons absolument nécessaires pour produire l’effet désiré. Il nous semble que la vüe que vous nous avez envoyé pourra s’exécuter en 18 à 20 tons sans compter les figures1267.’

Vingt sept ans plus tard, Deltil répond à la manufacture à propos des Vues du Brésil, ill 34 (mais la même idée revient dans tous ses courriers ) :

‘Conformément à vos intentions, j’apporterai dans l’exécution de ce paysage toute l’économie que mon expérience pourra m’indiquer.’

Mais ajoute le dessinateur :

‘Néanmoins, il ne faudra pas aller trop loin car il ne faut pas comme on dit se lier les mains et on ne peut rien faire avec rien, du reste fiez-vous à moi et je vous réponds qu’il n’y aura pas une teinte inutile1268.’

Dans un document non daté, intitulé « Note pour la marche des teintes à ( ?) l’impression du paysage ou voyage au Brésil »1269, Deltil détaille l’usage de ses couleurs et arrive à un total de « 26 teintes pour le paysage » et « 30 teintes pour les figures » ; dans le premier, il distingue différentes nuances pour les « fabriques du fond », l’horizon », le « verd lointain », le « terrain lointain », le « terrain de 1er plan », « le verd de 1er plan », « le verd pistache », pour les secondes, il liste 4 bleus, 4 violets, 4 rouges, 6 gris, 4 jaunes, 6 chair (Européens et sauvages) et 3 pour les nègres.

Savoir maîtriser et donc économiser les tons est une chose, mais savoir dessiner de façon à s’adapter à la gravure du papier peint en décomposant les tons en aplats en est une autre : seuls les professionnels le savent, ce qui interdit à un artiste pratiquant normalement les couleurs dégradées à l’huile cette pratique : Mongin comme Deltil puis leurs successeurs le savent et ont acquis cette technique, alors que, nous le verrons, ce n’est pas le cas de ceux qui créent des « tableaux » dans les années 1850-60 auquel doit être adjoint quelqu’un qui adapte leur travail à la technique de l’impression. D’un point de vue matériel, Jean Zuber conseille à Mongin de

‘bien coller vos teintes, sans quoi en mettant le tableau sur bois, elles s’écaillent facilement, ce qui devient très désagréable. Votre tableau s’est écaillé en plusieurs endroits, seulement pour avoir été roulé1270.’

Cet usage des teintes plates ne saurait faire oublier l’usage des teintes fondues ou irisées. Leur utilisation pour créer les ciels qui donnent aux panoramiques une grande part de leur magie en est la première application : dès 1816, Michael Spörlin a fait « exécuter des papiers pour ciels de paysage dégradés dans le sens de la largeur1271 », comme le prouvent son Jardin persan (ill° 31. 3) de 18221272 et son décor d’acacia, dès 18191273 Le procédé, utilisé par Mongin dès 1822, est repris ensuite par Gué puis Mongin pour rendre les eaux plus vivantes. Les autres manufactures emboîtent le pas, en l’absence de brevet en France, mais avec une moindre maîtrise1274.

Le dessinateur fournit un lé peint à l’échelle réelle, qui passe ensuite entre les mains du metteur sur bois : sa fragilité après cette étape explique qu’il n’ait pas été conservé à une exception près1275, la maquette originale complète du panoramique Renaud & Armide (ill° 15. 3) de Dufour & Leroy (1831)1276. En fait, ces lés ne sont pas réalisés un à un puis livrés à la manufacture : le dessinateur les peint par scène, c’est-à-dire par ensemble homogène de quelques lés, de façon à leur donner une composition cohérente et à respecter l’unité de coloration ; le 29 juillet 1829, par exemple, Deltil fait parvenir à la manufacture

‘les cinq premiers lés de notre paysage (ces cinq lés représentent une vue de Rio (de) Janeiro prise de l’église de Notre Dame de la Gloire et les premiers plans une Chasse aux taureaux sauvages)1277.’

et lorsque le dessinateur arrive à la fin, il a besoin des lés du début pour retrouver l’harmonie indispensable à un paysage qui se déroule fermé sur lui-même : toujours pour les Vues du Brésil (ill° 34), le 9 septembre 1829, il réclame à la manufacture qu’on lui fasse parvenir :

‘si cela est possible les cinq premiers lés du paysage qui doivent être gravés pour m’occuper de la composition des 5 derniers lés(…) Je vous prie donc de me faire cet envoi le plus tôt possible afin de ne pas éprouver de retard car ces lés me deviennent indispensables pour lier les deux derniers panneaux au reste de la composition1278.’
Notes
1193.

18 octobre 1799, MPP Z 108.

1194.

Une liste non exhaustive mais très ample de ses œuvres figure dans Bellier de la Chavignerie et Auvray 1882. La bibliographie récente est peu abondante : en dehors d’allusions passim dans Nouvel-Kammerer 1990, les seuls catalogues à donner une notice à son propos sont les catalogues De David à Delacroix, Paris 1974, p. 546-547 et Jardins en France, 1760-1820, Paris 1977, p. 68. Un échange de lettres entre le lithographe Engelmann et Mongin a été publié par Lang 1977, p. 33-45. Voir un début de synthèse dans Jacqué 1980. Le catalogue inédit des peintures du XIXe siècle du Musée de Cleveland analysant la peinture Le curieux de 1824 et signé LdA fait de Mongin un voyeur… Mongin a une double adresse à Paris, rive gauche, à peu de distance : il loge 29 rue de Sèves (Sèvres) et son atelier est installé « 22 rue du bacq au coin de la rue Babilone » (MPP Z 78, 8 octobre 1812).

1195.

Zuber 1895, p. 55. Zuber traite souvent dans son courrier Mongin de « mon cher frère ».

1196.

Jean Zuber ira jusqu’à lui confier des fonds importants à mettre à l’abri lors de l’invasion en 1814.

1197.

Le 4 fructidor 11, Zuber écrit à Spœrlin : « Je fais retoucher les 3 muses par Mongin », MPP Z 75).

1198.

Il est né en février 1761, d’après son acte de décès conservé aux archives de la Ville de Versailles  et non 1762, comme il est souvent écrit.

1199.

Elles semblent avoir donné lieu pour certaines à gravure, mais elles ne sont pas cataloguées systématiquement : certaines apparaissent au hasard du marché, des catalogues ou sur le site des musées nationaux. Le Staatliches Museum Schwerin possède une importante collection de gouaches de Mongin. Une paire, datée de 1794, était en vente à la Biennale des antiquaires de Paris en septembre 2002.

1200.

Catalogue Jardins 1760-1820, 1977, p. 28.

1201.

Gravure en couleurs, coll° du château de Versailles.

1202.

Gravure en couleurs, Catalogue Bagatelle 1997, p. 36.

1203.

Il est des exceptions : le musée de la Malmaison possède des gravures d’après des gouaches de Mongin représentant Malmaison des deux côtés, de façon précise.

1204.

1767-1842. Cité à plusieurs reprises dans ses lettres à Engelmann, Lang 1977, p. 33-45 ; l’expression apparaît dans un courrier du 5 mai 1816, p. 39. Si Bertin est surtout connu de nos jours comme maître de Corot, on ne saurait oublier qu’il a joui auprès de ses contemporains d’une grande notoriété.

1205.

On a vu que certains en font même un voyeur…

1206.

Catalogue De David à Delacroix, 1974, p. 547.

1207.

Idem, p. 247.

1208.

Ce dont témoigne une série de courriers de Zuber à ses proches au cours des années 1802-1803 (MPP Z. 100).

1209.

Zuber 1895, p. 56-57 : « Mongin (était) très musicien (…). L’amabilité de Mongin et de sa femme avec lesquels nous nous étions intimement liés faisait de Rixheim un véritable paradis, où la prose des affaires n’empêchait pas la poésie. »

1210.

Zuber (P.R.) 1933, p. 5.

1211.

Zuber 1895, p. 65.

1212.

A.N. O3 1391.

1213.

Idem : « Je crains de ne point obtenir une de ces récompenses si flatteuses pour un artiste qui préfère la gloire au bénéfice qu’il peut retirer de ses travaux ».

1214.

« Une tourmente sur le Mont St Gothard » en 1817 (A.N. O3 1895).

1215.

« Jeanne d’Arc faisant prendre l’épée de Charles Martel dans la forêt de Fier-Bois » en 1818 (A.N. O3 1401).

1216.

Comment 1993, ch. 4, p. 30-37..

1217.

Archives de Paris, D31 113, carton 41 : je remercie Véronique de la Hougue de m’avoir signalé ce document.

1218.

Pressouyre 1979, p. 128-129.

1219.

Allevy 1938, pl. IX.

1220.

MPP, Z 123.

1221.

Ce qui éclaire d’un jour nouveau l’intérêt de Deltil pour le Brésil puisque Debret émigre là-bas de 1816 à 1831, cf. catalogue Brasiliana, Fribourg, 2000.

1222.

Déposé à la sous-préfecture.

1223.

Voir le catalogue Egyptomania, Paris, Vienne et Ottawa, 1994-1995, n° 186, p. 318.

1224.

On cite ici ou là le nom de la manufacture Dauptain à Paris, mais sans preuve.

1225.

MPP, Z 123. Deux versions sont conservées.

1226.

Il n’y a qu’une mention de séjour dans un courrier du 2 novembre 1835 (MPP Z 243).

1227.

Les Vues d’Italie de 1818.

1228.

Coll° MPP.

1229.

Nouvel-Kammerer 1990, p. 128-129.

1230.

Si l’on ne tient pas compte des Lointains, plus réduits, sans parler des tentatives de décor, plus que de panoramiques de Spörlin & Rahn à Vienne, cf. Witt-Döring 1995.

1231.

Notice nécrologique, Bull in de la S Industrielle de Mulhouse, n°66, 1896, p. 27-28

1232.

Zuber 1895, p. 59.

1233.

Bouquets de fleurs naturelles utilisées en semis.

1234.

Zuber 1867.

1235.

MPP Z 99.

1236.

Celle du cabinet des estampes de la Bibliothèque nationale : peut-être Mongin l’a-t-il consultée.

1237.

Amandry (Angélique) « Deux sujets grecs chez Jean Zuber & Cie », BSIM 2/1984, p. 153-156.

1238.

Catalogue Brasiliana, Fribourg 2000.

1239.

Qui rend compte à son père de son contact avec Deltil le 9 avril 1829 (MPP Z 123).

1240.

MPP Z 123.

1241.

MPP Z 123.

1242.

MPP Z 123.

1243.

MPP Z 101.

1244.

MPP Z 101.

1245.

Catalogue Egyptomania, Paris1994, n° 187, p. 320.

1246.

Mais continuera par la suite par le biais des tableaux, des décors, des tapisseries jusqu’en 1900.

1247.

La façon dont les dessinateurs copient leur documentation a été étudiée de façon quasi exhaustive par Pupil (François) 1990 : notre propos n’est point ici de refaire cette étude, au demeurant excellente, mais de montrer comment concrètement les choses se passent.

1248.

Richert (Gertrud) 1952 et 1959.

1249.

Lang (Léon) 1977.

1250.

MPP Z 123.

1251.

MPP Z 123, 7 septembre 1829, allusion aux planches de botanique de l’ouvrage de Rugendas.

1252.

Trois exemples sont publiés dans le catalogue Brasiliana, Fribourg 2000, p. 78-79.

1253.

Dont l’auteur de la lettre est un excellent connaisseur pour l’avoir souvent traversée depuis le 1er novembre 1791.

1254.

MPP Z 99, 14 pluviôse 11. Pour l’iconographie de ce panoramique, on consultera Baumer-Müller 1991 : c’est la meilleure partie de son ouvrage.

1255.

Idem.

1256.

Idem.

1257.

Coll° MPP, Nouvel-Kammerer 1990, p. 84-85.

1258.

Coll° MPP, Catalogue Brasiliana, Fribourg, 2000, p. 78-79.

1259.

Musée des arts décoratifs, Paris, Nouvel-Kammerer 1990, p. 101.

1260.

Autour de 1839, d’après les courriers.

1261.

H. 0,335 m, L. 1,78 m pour les Vues du Brésil.

1262.

MPP Z 101, 7 novembre 1812.

1263.

MPP Z 243 et Jacqué-Fabry 1985.

1264.

MPP Z 243.

1265.

MPP Z 243, au dos d’un courrier du 24 mai 1833.

1266.

MPP Z 243.

1267.

MPP Z 100 4 pluviôse 11.

1268.

MPP Z 143, 29 mai 1829.

1269.

Dans le dossier de lettres MPP Z 123.

1270.

14 pluviôse 11(4 février 1803).

1271.

Mieg 1857, p. 281.

1272.

Witt-Döring 1995, p. 170-171.

1273.

Idem, p. 169 (le modèle est repris à Rixheim en 1826, n° 2293).

1274.

Ce que l’on peut observer par exemple dans le Renaud & Armide de Dufour de 1831.

1275.

Conservée dans la collection Follot, jusqu’à son acquisition par le MPP.

1276.

Le lé 2 est reproduit dans Hoskins 1994, p. 100.

1277.

MPP Z 123.

1278.

MPP Z 123.