2.4.6. Les ateliers à l’œuvre

Ces lés sont confiés au metteur sur bois, qui dirige l’atelier de gravure : la technique ancienne consiste à délimiter chaque couleur en trouant le long du contour la ligne à espace régulier, selon la méthode traditionnelle du poncif, utilisée aussi en céramique, par exemple. Dès 1812, Jean Zuber souhaite passer à la technique du papier huilé, proche du calque, qui abîme moins l’original, mais il se heurte à l’opposition de Bochter, le metteur sur bois, qui

‘répugne à ce travail dont il n’a pas l’habitude et je ne voudrais pas exposer l’ouvrage à être mal gravé pour la facilité que donnerait l’original bien conservé. ’

Le Renaud & Armide (ill° 15. 3) de Dufour en 1831 a été réalisé à l’aide du procédé du papier enduit de noir de fumée : le metteur sur bois trace un trait avec une pointe sur le contour, ce qui entraîne un trait noir sur le bois en dessous grâce au papier enduit de noir de fumée (comme un papier carbone) situé entre les deux. La chronologie des différentes techniques est mal connue.

Le travail du metteur sur bois est ici fondamental : en 1819, une note sur les « frais généraux, année commune » précise que le metteur sur bois, revient à 2500 francs par an tandis que les graveurs coûtent 3000 francs1279. L’on comprend d’autant mieux l’inquiétude de Jean Zuber lorsqu’en octobre 1803, Bochter est arrêté quatre jours, accusé qu’il est « d’avoir pris part à des désordres que des jeunes gens de Mulhouse ont dernièrement causé ici1280 ». Son activité diffère de celle concernant les planches à graver pour un papier répétitif : le nombre de tons est souvent plus important1281 et donc le nombre de planches sans comparaison. La moyenne du nombre de planches par lé chez Zuber est étonnamment stable, de l’ordre d’un peu plus de 60, 64 pour les Vues de Suisse (ill° 25)en 1804, 66 pour les Zones (ill° 40) en 18551282 pour prendre les deux extrêmes d’un point de vue chronologique (en faisant abstraction des panoramiques imprimés en camaïeu, moins coûteux en gravure). L’impératif d’économie est ici essentiel, vu le prix du bois fruitier : pas question de multiplier les planches carrées d’une cinquantaine de cm de côté pour quelques touches de couleurs, on doit se contenter de planches de plus petite taille, ce qui pose le problème du repérage puisque ces petites planches ne peuvent être repérées en lisière. Il s’agit donc de mettre en place à la surface du motif des repères qui ne gênent pas la lisibilité du motif. En conséquence, une première planche dite « fausse planche » va mettre en place ces repères que les impressions successives vont recouvrir1283. Mongin devait attacher beaucoup d’importance à ce travail puisqu’il venait régulièrement à Rixheim pour en surveiller l’élaboration. A partir de cette première étape, la gravure commence : un travail long dont témoignent à partir de 1824 les livres de gravure de la manufacture1284, de 6 mois à plus d’un an, selon les cas.

La gravure se fait progressivement, au fur et à mesure de la réception des maquettes, de façon à passer à l’impression, ne serait-ce que pour avoir un ou deux lés à présenter aux clients éventuels, alors même que le travail est loin d’être terminé. A Rixheim, le travail de gravure prend plusieurs mois.

L’impression d’un panoramique ne diffère pas fondamentalement de celle d’un papier normal imprimé à la planche : pourtant, pour les raisons exposées du point de vue de la gravure, le repérage est plus complexe et le nombre de couleurs ne facilite pas la tâche. A ce propos, Jean Zuber raconte :

‘Notre mélangeur Dollfus, qui avait commencé l’impression du tableau l’Hindoustan avait été si troublé et si surexcité par ce nouveau travail qu’il devint fou en quelques jours ; je fus obligé de le remplacer avec beaucoup de peines et de fatigues ; j’y arrivai avec l’aide de Mongin et pendant une année je fus attelé à cette pénible besogne, car il nous fut impossible de former ou de trouver un autre mélangeur1285.’

Le mélangeur élabore au fur et à mesure les couleurs indispensables à l’impression : en pratique, il dirige l’atelier d’impression puisqu’il en planifie le travail, ce qui est des plus astreignants, même pour une force de la nature comme Jean Zuber. La tâche n’est pas évidente puisque le 4 avril 1812, dans une lettre à son voyageur Feer, Jean Zuber se plaint amèrement du travail du mélangeur pour la première livraison de l’Arcadie  (ill° 27) :

‘Notre Arcadie est livré aujourd’hui mais c’est avec chagrin que je vois partir ce premier envoy de ce paysage. Erismann a commis dans le mélange des teintes des fautes si grossières que cette exécution se trouve barbouillée d’une manière pitoyable (… nous) allons de suite faire une seconde exécution qui réussira sans faute.’

Lors de l’impression, il importe par ailleurs de suivre une « marche des couleurs » : nous possédons une note de Deltil1286 à propos de celle des Vues du Brésil (ill° 34), mais l’impression à la planche, qui suppose une couleur opaque, n’impose pas un ordre rigoureux.

Cette impression porte sur un nombre d’exemplaires important : lorsque Jean Zuber se lance dans l’aventure, il édite ses Vues de Suisse (ill° 25) à 170 exemplaires1287. Par la suite, ce ne sont jamais moins de 100 exemplaires qui sont produits et souvent plutôt 150, d’après les inventaires des stocks.

Ce travail d’impression prend plusieurs mois : l’impression de 150 exemplaires avec 1500 planches suppose quelque 225 000 manutentions… Tout dépend naturellement de l’ampleur de l’équipe d’imprimeurs réservée pour cette activité et de l’urgence des commandes.

En clair, il s’écoule entre 18 mois et deux ans du premier jet à l’achèvement de l’impression.

Notes
1279.

MPP Z 179.

1280.

MPP Z ? ? ? , 29 octobre 1803.

1281.

56 pour le Brésil, on l’a vu : aucun papier peint à motif répétitif n’atteint un tel chiffre.

1282.

Exception notable : le Paysage à chasses, de 1832, réalisé à l’économie, 39 planches, et 41 pour Isola bella, 10 ans plus tard.

1283.

Nous sommes là typiquement devant un apprentissage qui passe par la transmission directe : nous n’avons retrouvé aucune référence à ce propos dans les manuels.

1284.

MPP Z 178-183.

1285.

Zuber 1895, p. 58.

1286.

MPP Z 123.

1287.

MPP Z ? ? ?, 10 ventôse 12 : « il y a jusqu’à présent 90 collections de paysages de commandées – et je ne crains plus actuellement que les 80 autres qui sont en ouvrage ne le soient aussi avant que le tout soit imprimé ».