2.4.7. Des outils de vente : prospectus et lithographie

Une dernière tâche reste à réaliser avant la commercialisation : deux instruments indispensables, un prospectus publicitaire et une lithographie représentant le panoramique. Elle incombe au dessinateur. Il est courant qu’un panoramique soit accompagné de deux documents publicitaires : un texte explicatif et une lithographie le détaillant, parfois coloriée.

Le plus ancien exemple de prospectus1288 que nous connaissions est aussi un cas unique : les Sauvages du Pacifique, ill° 16. 1 (Dufour, 1804) sont accompagnés d’un véritable livret de 48 pages qui explique chaque lé et renvoie à l’ouvrage qui l’a inspiré : l’Abrégé d’histoire des voyages de la Harpe1289. Il insiste sur le caractère didactique de ce type de production1290. A la différence de ses confrères, Dufour ne semble pas récidiver1291 : les prospectus que l’on a conservés de lui présentent les nouveaux panoramiques de façon succincte sur une feuille vantant les nouveautés de la maison1292. En revanche, les autres publient des textes explicatifs plus réduits, 2 ou 4 pages. Ils décrivent à l’ordinaire le panoramique dans un style emphatique et y ajoutent à l’occasion quelques conseils de montage. Qui les rédigeait ? Le 20 avril 1815, Jean Zuber demande à Mongin de

‘bien apporter avec vous les matériaux nécessaires pour que nous puissions faire de notre Helvétie une description que les acheteurs réclament et qu’il est intéressant de pouvoir joindre à chaque collection1293.’

Mongin ne semble donc pas l’auteur. Dans le cas exceptionnellement bien documenté du travail de Deltil, nous le voyons se charger de la rédaction, quitte à ce que la manufacture y ajoute sa patte : « Voici la note explicative de notre paysage », écrit-il le 4 avril 1830, une fois terminé son dessin des Vues du Brésil (ill° 34) . Dans le cas des autres manufactures, sans doute en était-il de même sans que l’on puisse le démontrer puisque bien des prospectus, curieusement, restent anonymes : jamais le nom de l’auteur du texte n’apparaît, pas même souvent celui de l’entreprise. Phénomène curieux : aucun prospectus ne donne jamais le nom du dessinateur, au mieux s’agit-il de quelque “artiste célèbre”, mais sans aucune précision...Une exception a contrario : vers 1824-25, le prospectus qui annonce Paul & Virginie de Dufour comporte un P.S. à propos de Mader, douze ans leur collaborateur1294, avant qu’il ne monte sa propre manufacture en 1824 :

‘Au moment où cette lettre s’imprime, la circulaire de MM. Mader & Vennet nous tombe sous les yeux. Elle contient une assertion dont il convient de faire connaître l’inexactitude. Ces Messieurs avancent que M. Mader a été, pendant treize ans, seul dessinateur de Dufour (…) Jamais M. Mader n’a été notre seul dessinateur . M. Mader a trop de modestie et de délicatesse pour qu’il doive chercher à s’attribuer indirectement des productions qui n’auraient pas été créées par son imagination et par son pinceau1295.’

Généralement, ces prospectus se décomposent de la sorte :

- Une introduction écrite dans un style pompeux, décrivant les mérites du sujet et les qualités de la manufacture qui met tout son génie dans le traitement ingénieux d’un tel sujet, sans oublier les talents du ou des artistes qui l’ont dessiné :

‘Rien n’a été négligé pour que cette grande et riche composition méritât un accueil distingué, et jamais dans ce genre on n’a poussé aussi loin les moyens qui pouvaient rendre l’effet d’un tableau (…) enfin aucune dépense n’a été ménagée pour que ce nouvel ouvrage surpassât tout ce qui a déjà été entrepris en papier peint (la Grande Helvétie, 1813)
Nous devons (cet ouvrage) aux talents réunis de deux artistes les plus distingués de la capitale (la Dame du Lac, 1825).
Les matériaux ont été recueillis sur les lieux mêmes ; les sites et les costumes sont de la plus exacte vérité (…) il a encore fallu inventer de nouveaux appareils et procédés pour rendre d’une façon satisfaisante les effets de mer, d’incendie, d’explosion d’armes à feu, etc…(les Combats des Grecs, 1828)
Rien n’a été négligé pour donner à cet ouvrage sous le double rapport de l’art et de l’exécution, tout le mérite qu’on pouvait en attendre. (les Vues de l’Amérique du Nord, 1835)’

Ces exemples proviennent de Rixheim (qui signe toujours et généralement date ses prospectus). Bien sûr, ces « artistes » ne sont pas allés sur les lieux, ils se sont contentés de travailler d’après des gravures ou des lithographies ; les confrères de Zuber ne sont pas moins hâbleurs et prétentieux ; par exemple, la manufacture Velay (qui ne signe pas son prospectus) écrit à propos des Français en Egypte  (ill° 18. 1):

‘Désirant rendre cette tenture digne du sujet qu’elle représente, rien n’y a été négligé de ce qui pouvait offrir quelque intérêt : les monumens, arbres, plantes costumes, ainsi que les numéros des régimens et uniformes des troupes qui ont assisté à cette bataille, sont de la plus grande exactitude1296.’

Une exactitude sur laquelle il vaut mieux ne pas s’attarder : le paysage est interchangeable, la végétation n’a rien de bien égyptien à l’exception des indispensables palmiers, quant aux monuments, Deltil qui a signé ce panoramique, n’a pas même feuilleté l’ouvrage de Vivant Denon et se contente de quatre pyramides côte à côte… Le même Velay, vantant sa Grande chasse au tigre dans l’Inde (ill° 16. 4), célèbre l’exactitude de ses costumes et ses

‘monumens , exécutés d’après des dessins qui ont été faits sur les lieux…’

mais à l’évidence pas par le dessinateur du panoramique : comme pour l’Hindoustan (ill° 26) de Zuber, ils sont empruntés à l’ouvrage des frères Daniell1297.

- Un descriptif par tableau groupant quelques lés : Deltil parle généralement de « division du paysage » comme ici pour les Vues du Brésil  (ill° 34) :

‘L’ensemble de ce décor forme un panorama de 50 pieds de développement ; il se divise facilement en tableaux de différentes dimensions et il se prête ainsi à toutes les localités. Les six divisions principales sont les suivantes (…) ’

Mais le texte ne suffit pas : dès l’élaboration des Vues de Suisse (ill° 25), Jean Zuber ressent la nécessité d’un support iconographique pour faciliter la vente : il écrit le 14 fructidor 11 à Spörlin1298 :

‘J’avais déjà parlé à Mr Mongin de faire le croquis dont tu parles, ce sera même indispensable par la suite puisque ce serait trop volumineux à prendre en voyage tous les lais.’

Mais l’entreprise se heurte alors à un problème technique : le prix relativement élevé d’une gravure sur cuivre fidèle : il ne semble pas que l’on ait réalisé des vues de panoramique gravées. En fait, il va falloir attendre la lithographie pour que le procédé devienne d’un usage courant dans les années 1820, quitte à ce qu’un certain nombre de ces lithographies soient rétrospectives, dans la mesure où elles reproduisent des panoramiques anciens, mais toujours imprimés. Dans les inventaires de la manufacture de Rixheim apparaissent pour la première fois en 1827 treize pierres lithographiques déposées chez Engelmann, ainsi que 200 « collections d’ esquisses » à 2 francs ». Sans doute s’agit-il d’une première série de lithographies publiées sous la forme d’un album intitulé « Collection d’Esquisses » dont un exemplaire est conservé au Metropolitan museum de New York, et où d’ailleurs apparaît le panoramique alors le plus récent : la Dame du lac (ill° 32. 1) 1299 ; les autres manufactures ont dû suivre.

Quand elles ne sont pas rétrospectives, ces lithographies sont réalisées par le dessinateur tout à la fin du travail, comme l’explique ici Deltil à propos du Paysage à chasse (ill° 35) en décembre 18311300 :

‘Je ne vous avais pas envoyé plutôt les croquis de notre paysage parce que la composition en a été tellement changée sur les panneaux qu’on aurait peine à la reconnaître et que je pense qu’il faut en faire la lit(h)ographie d’après le dessin même. ’

Ces lithographies sont des objets de promotion comportant généralement la simple reproduction de quelques lés, le titre du panoramique, la division en lés, mais pas toujours, l’indication de la manufacture (mais Dufour ne précise rien) : le MPP en possède par exemple une du Roland furieux où apparemment un revendeur a listé les panoramiques disponibles chez lui ( et pas uniquement ceux de Dufour qui a créé ce panoramique), indiqué leur nombre de lés et leur prix1301.

‘Ces lithographies reproduisent le panoramique soit par moitié, dans les exemples conservés de Dufour, soit par série de lés groupés de façon à former un tableau de quelques lés1302. Le panoramique apparaît alors brut, mais dans certains cas, il peut aussi être complété par un décor: des colonnes, un lambris, un entablement et une corniche dans les années 1820, comme pour la Collection d’esquisses de Zuber1303, encore très néoclassiques (ill° 27. 4, 29. 3). Par la suite, des formules plus élaborées avec tout ce que l’imagination des ornemanistes a pu créer se font de plus en plus courantes : Isola Bella (J. Zuber & Cie, 1842) est ainsi proposée avec le décor Alhambra (ill° 38. 3)et les Zones terrestres (J. Zuber & Cie, 1855) avec le décor Bananier (ill° 40. 3)1304. Délicourt présente de même ses Grandes chasses de 1855. Certaines de ces lithographies étaient coloriées à la main1305, mais en revanche, il ne semble pas que l’on ait réalisé des chromolithographies après 1838, même à Rixheim, pourtant lié à G. Engelmann, son inventeur. ’

Lorsqu’un manufacturier rachète les planches d’un panoramique d’un confrère, comme c’est le cas à la fermeture de Dufour & Leroy en 1835, il y rajoute ses références, comme Clerc & Margeridon pour les Paysages pittoresques (Dufour & Leroy, 1834-5).

Si ces lithographies n’ont qu’un objet utilitaire, il est cependant une exception : la manufacture Jacquemart édite son Parc français sous la forme d’un véritable album avec page de titre1306 et cinq lithographies de grande taille1307, signées d’Hippolyte Lecomte, qui, vu leur format, sont susceptibles d’être encadrées : mais l’expérience semble sans lendemain et son propos nous échappe.

Ces lithographies étaient soumises au dépôt légal au Cabinet des estampes de la Bibliothèque nationale, à Paris où elles se retrouvent groupées par imprimeur1308.

Notes
1288.

Cinq prospectus de Jean Zuber sont transcrits par P. R. Zuber 1947. Wisse 2001, p. 27-33, donne les descriptions de deux panoramiques de Vely : la Bataille d’Héliopolis et la Grande chasse au tigre de l’Inde.

1289.

Serge Chassagne (communication écrite) rapproche avec raison un tel prospectus des pratiques théâtrales, plus que des nécessités de la commercialisation.

1290.

Il a été publié en traduction anglaise par McClelland en annexe de son ouvrage de 1924.

1291.

Il semblerait cependant que Dufour ait édité un livret explicatif par Albert Lanse, mentionné par Clouzot 1930, mais non retrouvé.

1292.

Voir Clouzot 1930, planche 1, à propos de Renaud & Armide et de Paul & Virginie.

1293.

MPP Z 102.

1294.

Nouvel-Kammerer, 1990, p. 320.

1295.

Publié par Clouzot 1930, planche I. Les membres de phrase sont soulignés par la manufacture.

1296.

Wisse 2001, p. 29..

1297.

Daniell 1801, planche II.

1298.

2 septembre 1803, MPP Z 75

1299.

Quelques reproductions dans Lynn 1980, p. 187-189.

1300.

Un dessin à a mine de plomb, probablement de la main de Deltil, représente le premier tableau des Combats des Grecs : « une vue générale de la plaine d’Athènes » et a dû servir à l’élaboration de la lithographie correspndante : c’est le seul dessin de ce type conservé (Coll° MPP).

1301.

MPP, inv. 001PP9.

1302.

Nombreux exemples dans Nouvel-Kammerer 1990, passim.

1303.

La Grande Helvétie et les Jardins français sont l’objet de cette présentation (coll° MPP)

1304.

Nouvel-Kammerer 1990, p. 133.

1305.

Idem, nombreux exemples, passim.

1306.

Reproduit dans Lynn 1980, p. 213.

1307.

MPP, don Follot.

1308.

Malheureusement, elles n’ont jamais fait l’objet d’un inventaire.