A combien reviennent ces mois de travail pour aboutir à un panoramique? Des mentions éparses dans les livre de gravure, les livres de compte et un petit dossier concernant les Zones (ill° 40) en 18551310 nous permettent de répondre pour Rixheim. Tout d’abord, combien sont payés les dessinateurs ? Avec Mongin, Jean Zuber travaille avec quelqu’un avec lequel on semble ne pas discuter ce genre de question et avec lequel il se lie rapidement d’amitié, ce qui ne simplifie pas ce type de rapports: et pourtant Dieu sait si Zuber peut être âpre au gain dans ce domaine, les copies de courrter nous en donnent souvent la preuve. A la suite de l’envoi de la première esquisse des Vues de Suiss, Jean Zuber écrit sans tergiverser le 14 pluviôse 11 :
‘Nous chargeons Mr. Imhoff & Raflin1311(…) de vous payer L. 120 que vous estimez cet ouvrage.’Lorsque les deux hommes se connaîtront mieux, et après semble-t-il une brouille sans lendemain, Jean Zuber écrit au dessinateur le 24 brumaire 12 :
‘Nous ne devons point craindre ni l’un ni l’autre de ne pouvoir nous entendre pour raison d’intérêt ; je vous laisserai le maître de fixer le prix de vos ouvrages, persuadé que vous ne demanderez rien d’injuste.’Les livres de compte montrent que Mongin est payé au mois de travail (auquel s’ajoutent ses frais de déplacement) et touche 400 francs dès 1804 puis en 1811 et par la suite 500 francs. Le 22 mai 1814, il reçoit 3000 francs pour son « nouveau paysage suisse » auquel s’ajoute un pourcentage sur les ventes de 6 francs par exemplaire vendu.
Avec Deltil, les rapports sont bien moins élégants et les échanges de courrier ne sont de la part du dessinateur qu’une longue récrimination sur ses talents mal rétribués : sans doute a-t-il affaire à forte partie... Nous ignorons ce qu’il en est des Combats des Grecs, en revanche, pour les Vues du Brésil, suite à une offre de Zuber, Deltil répond :
‘Quant au prix que vous me proposez et la diminution que vous me faîtes subir je vous avoue que je ne l’accepterais pas si c’était la 1ère fois que je travaille pour votre maison et malgré mon regret, pour en finir, je préfère 5,000 f comptant à la seconde proposition et j’espère que vous ne me refuserez pas de me bonifier de 1,000 f sur les 1000 1eres collections vendues (…) il faut que chacun y mette du sien.’Le 20 janvier 1831, à propos du Paysage à chasses, Deltil répond à Zuber :
‘(…) cela peut-il compenser la grande différence dans le prix que vous m’offrez ? Vous êtes trop juste appréciateur de l’importance d’un pareil travail pour ne rien changer à votre proposition et je suis persuadé que vous ne me refuserez pas 3,000 f pour l’entreprendre.’En réponse, Zuber propose 2700, tandis que Deltil tient pour ses 3000. Le 24 juillet 1833, Deltil réclame 4000 francs pour dessiner les Vues d’Amérique du Nord en ajoutant :
‘A une autre époque je ne l’aurais pas entrepris à moins de 6000 f ’qui est le prix qu’il réclamerait à une fabrique de Paris.
‘Un projet de contrat dont nous ignorons s’il fut signé prévoit 2000 francs pour quatre mois de travail du dessinateur pour Rixheim chaque année : il faut préciser qu’à ses panoramiques s’ajoutent de nombreux « camées ».’Le dessin d’Isola bella, tel qu’il apparaît dans une note du livre de gravure, se monte à 1260 francs, mais pour 18 lés, au lieu des 32 lés habituels de Deltil ; il est possible qu’Ehrmann, le dessinateur, par ailleurs employé à plein temps de la manufacture, soit en même temps salarié. Ajoutons qu’Ehrmann n’a dessiné que des fleurs, alors que les panoramiques précédents étaient historiés, un genre toujours mieux payé que la fleur. Les 24 lés de l’Eldorado sont payés 4800 francs au grand spécialiste de la fleur Joseph Fuchs : mais les fleurs, ici, sont complétées par des éléments de paysage ; Georges Zipélius reçoit de son côté 1200 francs pour son encadrement.
En 1855, le coût des Zones se décompose ainsi1312 :
‘Dessin du paysage 31 lés par M. Ehrmann :’ | ‘3 473,60 f’ |
‘Concours de M. Schuler pour les vaches et pour les gazelles (y compris la pension chez Pauly)’ | ‘526,40 f’ |
‘Idem pour les biches’ | ‘200,00 f’ |
‘Admis le tout, y compris les esquisses, etc. pour’ | ‘5000,00 f’ |
‘Dessin de la frise et du lambris par Wagner ’ | ‘1400,00 f’ |
‘Dessin de l’encadrement bananier par le même : ’ | ‘800,00 f’ |
En 1861, le dessin du Jardin japonais est payé 4200 francs pour 10 lés seulement à Victor Potterlet, il est vrai un des plus célèbres dessinateurs ornemanistes de son temps.
On pourra comparer plus loin ces prix aux sommes dépensées pour les tableaux, proportionnellement bien plus coûteux : mais on s’adresse alors non à des dessinateurs, mais à des artistes. Il n’empêche que telles quelles, les sommes sont loin d’être négligeables pour la manufacture : dans une note de 18191313, analysant les « frais généraux, année commune », Jean Zuber note que les dessins représentent 5000 francs : or Mongin vient de recevoir 3000 francs pour son panoramique ; il est vrai que la manufacture n’édite pas un panoramique chaque année et que ce coût peut être amorti sur plusieurs années.
Il s’agit de comptabiliser ensuite la gravure : il est possible d’être précis car le travail de gravure, codé, est systématiquement comptabilisé dans les « livres de gravure », encore que ne soit pas toujours précisé le prix de la mise sur bois. Précisons d’emblée que, dans son estimation de 1819, Jean Zuber estime que la planche de paysage d’un pied carré revient à 1.30 franc auquel s’ajoute 1.20 franc de mise sur bois et 1.20 de gravure, soit un total de 5 francs en moyenne.
Nous arrivons aux chiffres suivants pour la seule gravure :
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Le bas coût du Paysage à chasses peut s’expliquer par le caractère relativement fruste du dessin, à des fins d’économie, attestée par les courriers de Deltil. En revanche, le caractère « pictural » des deux derniers exemples implique une gravure plus fine et donc plus coûteuse1314.
A la gravure s’ajoutent le prix des planches et surtout les frais de mise sur bois : ainsi, pour les Zones 1315, on arrive aux chiffres suivants :
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soit 8930 f, ce qui représente près des 2/3 de l’investissement total, 14 600 f (dans lequel outre les frais de dessin et de lithographie – 5000 f – la manufacture inclut 670 f « d’intérêts des sommes immobilisées »).
Vient ensuite l’impression : la même source nous donne des chiffres pour les deux premières impressions des Zones :une première de 100 collections, du 25 octobre 1855 au 14 janvier 1856 puis une seconde de 150, du 4 mars au 27 mai 18561316
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Les faux-frais représentent la part des frais de l’entreprise prise en charge par l’atelier. Quant à la couleur, si elle est comptée deux fois, c’est qu’il s’agit de la couleur nécessaire au fonçage puis à l’impression.
A l’évidence, les longues séries s’avèrent nettement plus rentables que les courtes : les frais de matière première y sont plus lourds alors que les faux-frais sont quasi constants ; dans les deux cas, le coût de la main-d’œuvre, au demeurant peu élevé pour une activité qui, avec le recul du temps, nous apparaît comme faisant appel à un savoir-faire de haut niveau, reste quasi semblable, 21 % dans le premier cas, 23 % dans le second. Mais on remarque que dans les deux cas, la durée d’impression est pratiquement la même : l’imprimeur est alors payé 3 francs la journée1317, ce qui nous donne dans le premier cas 552 journées, 533 dans le second ; au vu du nombre de jours, quasi semblable (66 et 69 jours ouvrables), cela suppose une équipe de huit imprimeurs (les tireurs étant à la charge de l’imprimeur)1318. Cependant, il importe de faire la part de l’inexpérience dans la première impression, sans doute plus complexe, puisque les repérages sont loin d’être évidents pour l’impression des panoramiques.
Nous savons qu’au moment de la première impression, les Zones (ill° 40) se vendent à 120 francs pièce aux négociants : ce qui signifie qu’au cas où le prix de revient se monte à 75 francs pour prendre le cas le plus coûteux, il suffit de 325 collections pour que la manufacture rentre dans ses « frais d’installation ». Or, en réalité, c’est moins, au vu du coût de la seconde impression. L’étude des inventaires démontre que, dès 1860 au plus tard, quatre ans après la mise sur le marché, cet objectif est largement atteint : et avant 1878, plus de 300 collections sont réimprimées alors que sont amortis les « frais d’installation ».
Ce qui était vrai pour pratiquement le dernier des panoramiques, l’était déjà pour le premier, encore que nous ne disposions pas de chiffres aussi précis. Le 23 mars 18041319, Jean Zuber fait part au détaillant Orgeat de Turin d’un « prix de revient du paysage » de 24 000 L. pour les Vues de Suisse (ill° 25): à cette date, le première édition est imprimée à 170 exemplaires, ce qui monte les frais à 141 livres l’exemplaire ; vendu 80 livres au revendeur ; il suppose donc une perte de 12 070 livres ; les 250 exemplaires suivants permettent apparemment d’amortir l’investissement..
Nous possédons à titre de comparaison une « évaluation de la coll° pays(age) chinois1320 » de la main de Frédéric Zuber : il s’agit d’un décor à la limite du panoramique reprenant en impression un papier peint chinois à motif d’arbres fleuris ; il a été créé en deux temps, six lés en 1832, quatre lés complémentaires en 1836 par Ehrmann et Zipélius.
‘frais d’établissement, 3 mois peinture 1200 francsCes données démontrent que la création de panoramique est une opération à long terme, un véritable pari sur l’avenir, puisque seules plusieurs impressions pouvent rentabiliser l’investissement initial. A condition que l’appareil commercial suive…
Cette partie reprend en l’élargissant le chapitre 2, contribution de l’auteur à l’ouvrage de Nouvel-Kammerer sur les panoramiques.
Z 177.
Qui représentent alors les intérêts de Zuber à Paris.
MPP Z 177.
MPP Z179.
Dès le 15 décembre 1818, Jean Zuber s’inquiétait des prix de la gravure à Paris, apparemment bien plus faibles parce qu’extériorisés : « je voudrois bien savoir combien coûte à Paris la mise sur bois et la gravure comparativement à chez nous (…). Tu sais que les fabriques donnent tout à graver en ville à des graveurs entrepreneurs. » (MPP Z 80)
MPP Z 177.
Au passage, remarquons la célérité de cette impression.
Hist doc
Remarquons qu’imprimer 150 collections en 533 journées suppose l’impression d’un peu moins de 4 planches par ouvrier par jour, un peu moins de 600 manipulations dans la journée, moins de 50 par heure pour une journée de douze heures.
MPP Z 100.
Sous forme de photocopie, l’original a disparu, doc° MPP.