2.5.6. La petite Helvétie¹⁴⁷⁰

Le 26 mai 1812, Jean Zuber fait part à Feer d’une idée qui lui est venue à propos des panoramiques :

‘Nous allons faire un décor pour lequel j’ai une idée originale ; en voici un léger trait.’ ‘ a est une frise à paysage imprimée sur deux rouleaux de largeur ordinaire, elle sera exécutée dans des teintes de lointain comme les lez 965 et 966¹⁴⁷¹. Les figures et les colonnes seront imprimées par dessus en or, le fut en couleurs vives, la draperie den velouté et généralement les ornemens en or, mais ce décor étant destiné pour des appartemens bas, sa plus grande hauteur sera quatre largeurs de 20 pouces, soit 6 pieds 8 (pouces)¹⁴⁷² et nous l’imprimerons en quatre frises, les n° 1 & 2 contiendront la paysage, le n° 3 qu’on pourra diminuer en hauteur suivant le besoin de la chambre n’aura pas du ciel avec des futs et colonnes imprimés en travers, le n° 4 enfin sera la bordure du haut, le moyen donne beaucoup de latitude au dessinateur et je ne vois pas d’inconvéniens pour le marchand ni le colleur¹⁴⁷³.’

L’idée de Jean Zuber tire son inspiration d’une production déjà ancienne : la frise à paysage, que la manufacture, comme on l’a vu, pratique depuis la fin du XVIIIe siècle ; ici, l’idée consiste à juxtaposer à l’horizontale deux lés de frise à paysage se complétant l’un l’autre, de façon à avoir un motif plus haut : mais pas trop haut. Jean Zuber, qui connaît le monde germanique, sait fort bien que les Stube, traditionnellement, ne dépassent guère les 2 m de haut dans les intérieurs bourgeois¹⁴⁷⁴, ce qui rend difficile la pose d’un panoramique ; il est en particulier malaisé d’y respecter la hauteur d’appui, d’environ 0,80 m, ce qui abaisse la ligne d’horizon de façon désagréable. Les pays latins disposent généralement d’une hauteur sous plafond nettement plus élevée.

Pour mettre en pratique ce projet, Jean Zuber met à profit la grande Helvétie dont il crée une variante (ill° 28b. 6), plutôt que de se lancer dans une nouvelle production. En fait, les fonds paysagers sont différents, mais nombre de personnages sont semblables : ce qui a supposé de redessiner l’ensemble. Il est en revanche impossible de dire si les mêmes planches sont utilisées : elles ont dans les deux cas disparu.

Le dessin et la gravure se font au cours des années 1815-16, après l’achèvement de la grande Helvétie : le 5 janvier 1816, Jean Zuber fait part à Feer de l’avance du travail du metteur sur bois et du retard de Mongin :

‘Notre petite Helvétie est entre les mains de Bochter, nous l’imprimerons en 4 parties. Mongin n’y a rien fait depuis plusieurs semaines, s’étant occupé à dessiner sur pierre (…)¹⁴⁷⁵ ’

Apparemment, l’opération prit du temps puisque la première vente n’a lieu que le 2 mars 1818 : sans doute, par delà les impératifs matériels de la production, la manufacture a voulu éviter une concurrence trop directe avec la grande Helvétie, puisque son prix n’est que de 40 francs, au lieu de 100 francs. Jusqu’à la fin 1823, il ne s’en vend que 252, avec une réimpression en 1821. La réimpression et la vente vont durer jusqu’en 1871 : mais les réimpressions restent rares, quatre en tout. Quelles que soient ses qualités esthétiques, proches de celles de la grande Helvétie, ce panoramique souffre de sa particularité : des lés horizontaux. Certes, ce type de lé est courant pour les lambris et les frises, souvent de la largeur d’un rouleau, mais sous la forme d’un panoramique, il a dû déboussoler les poseurs et l’existence de la grande Helvétie représentait toujours une option certes plus coûteuse mais possible. De fait, nul n’imitera cette technique et la manufacture en restera là en matière d’expérience.