2.5.7. Les Vues de l’Italie1476

Le 25 août 1819 s’ouvre au Louvre l’Exposition des Produits de l’Industrie, la première depuis 1806. Les manufactures de papier peint ont à cœur d’y présenter le meilleur de leur production, les panoramiques en particulier, qui sont en très grand nombre1477. La manufacture de Rixheim ne fait pas exception et Jean Zuber y expose la grande Helvétie et les Vues de l’Italie, dignes de soutenir la concurrence avec la production de ses confrères1478.. Mais Louis XVIII n’a décidé formellement la tenue de cette exposition qu’en janvier : il est évident que le projet de panoramique est plus ancien. Il est malheureusement mal documenté en l’absence des Copies de lettres pendant le période d’élaboration. Qui plus est, rarissimes en sont les exemplaires complets conservés.

La plus ancienne mention apparaît le 1er décembre 1818 :

‘Nous sommes occupés de la confection d’un nouveau paysage colorié représentant des costumes et fabriques de l’Italie, il est de 20 lés sur 26 pouces à fr. 100 la collection pour le printemps1479. ’

A la même date, la gravure des 10e et 11e lés est en cours. Mais Jean Zuber se plaint à Feer :

‘Le nombre de planches que ce paysage exige est prodigieux & nous avons été loin du compte en croyant qu’il coûterait moins que l’Helvétie. Le 12e léz a paru très léger, mais il n’a pas fallu moins de 130 planches pour le rendre. Tout calcul fait, ce paysage ne pourra être livré qu’en may ou au commencement de juin, quelque célérité que nous y mettions1480.’

Mais en juin, un incident révélateur du pragmatisme des méthodes de conception retarde la fabrication, ainsi que Jean Zuber en fait part à son fils :

‘J’ai monté notre Italie dans le sallon où pour la première fois nous avons bien pu juger de l’ensemble ; nous avons été frappés alors du mauvais effet que fait le grouppe des figures devant le Collisée où les détails de l’architecture se confondent avec le brillant coloris des figures, au point que un objet embrouille l’autre ; j’ai proposé alors de continuer la masse de verdure qui se trouve dans le 13e lez & de le faire passer derrière le groupe de figures. J’en ai fait peindre le géométral1481 par Jahn & comme nous croyons ce changement indispensable, nous avons adressé ces 2 lez par la diligence pour que tu engages M. Mongin de le faire lui-même, de la manière qu’il jugera la plus concordante avec ce qui existe. Je pense qu’il faudra faire ce massif dans une teinte moyenne, entre les verts foncés et gris qui sont employés sur le monument même, à peu près telle qu’il l’a peint & moi j’avais pensé que le Collisée serait mieux renvoyé à sa place en n’en employant toutefois que le vert clair (…) Je m’en remets toutefois au jugement éclairé de l’ami Mongin & le prie de s’en occuper de suite1482.’

Ce que fait Mongin, comme le montre ce courrier du 5 juillet suivant :

‘Je vois avec plaisir par votre lettre du 27 passé que vous allez faire le changement dans le lez du Collisée à peu près comme je l’ai proposé (…) Je vous engage seulement à ne pas perdre un moment pour nous l’envoyer afin que nous ne soyons pas arrêté dans la fabrication1483.’

Le lé corrigé arrive le 8 juillet au moment où Jean Zuber envisage une baisse du prix de 100 à 90 francs

‘si nous voulons vendre avant l ‘apparition de cette foule de nouveaux paysages qui sont sur le chantier1484.’

Finalement la livraison commence peu après.

Le titre retenu sur le prospectus daté de 1818 parle de Vues de l’Italie, paysage tableau en papier peint :

‘Le paysage, représentant quelques uns des sites et des monuments les plus remarquables de l’Italie, ainsi que les scènes prises dans les habitudes et les mœurs des peuples qui habitent aujourd’hui les différentes provinces de cette belle contrée (…) ’

Le descriptif insiste sur la vie quotidienne. De fait, les sites et les monuments sont quasi absents : il n’y a guère que le Colisée qui soit aisé à reconnaître ; quant à la baie de Naples, elle se devine à peine sur un seul lé. Beaucoup plus qu’un panoramique consacré à l’Italie, ce dessin de Mongin fait penser à un parc orné de ruines à l’antique où se retrouvent des personnages un tant soit peu pittoresques. De ce point de vue, en particulier si l’on tient compte de la grande abondance de la végétation, on n’est guère éloigné des futurs Jardins français. Pour obtenir ce résultat, Mongin a utilisé les ouvrages qui apparaissent dans la liste des ouvrages conservés dans la bibliothèque des dessinateurs en 18241485 :

‘Vues pitt. de l’Italie par Dies, Reinhardt & Meihan’ ‘Gutemolin & Thurner C. de mon. de Rome’ ‘Raccolta di 50 Costumi pitt. da Bart. Pinelli. 1809 Romano.’

De ce point de vue, la représentation de l’Italie que propose Jean Zuber diffère profondément de celle de ses confrères tentés par le thème dans les années précédentes1486 : la vision retenue jusqu’alors rappelait beaucoup l’approche de Joseph Vernet et de ses imitateurs, soit quelques ruines, l’un ou l’autre palais, un port, des personnages d’Italiens de comédie danss une végétation rare ; les couleurs y étaient par ailleurs discrètes, de la grisaille à peine relevée de quelques couleurs : tout ce dont Mongin prend le contre-pied avec sa vision de parc opulent et densément coloré.

Cette vision de parc est renforcée par la présence d’une fabrique dont, dans ce contexte, la présence nous échappe : au 7e lé,

‘pour servir d’opposition et de contraste, un monument funèbre est placé dans l’ombre. Sur ce tombeau de granit, une statue de bronze ainsi qu’une inscription latine, indiquent que ce mausolée fut érigé à une jeune fille. L’inscription qu’on lit sur un cartouche soutenu par deux génies signifie : Objet de mes regrets, elle est tombée comme une fleur, avant la fin du jour.’

Ce type de tombeau ou de mausolée appartient typiquement au jardin paysager de l’époque mais n’a pas grand sens ici, d’autant qu’il ne possède aucune référence italienne. Pour comprendre cette présence, il faut revenir aux mémoires de Jean Zuber. En mai 1818, après un séjour à Paris, le manufacturier est de retour à Rixheim :

‘Une grande douleur m’y attendait. Notre Lise, encore très éprouvée par la mort de son enfant1487, était très affaiblie (…) Le 15 mai, nous dûmes nous séparer de cette fille chérie (…) dont le départ nous plongea dans le deuil le plus profond.
Nous fîmes mettre une plaque de pierre à côté du banc sous le marronnier que celle que nous pleurions avait planté vingt années auparavant (…)
L’ami Mongin écrivit les vers suivants, expression de sa sympathie :’ ‘Nous ne la verrons plus, celle à qui ton feuillage
Devait longtemps prêter un ombrage riant ;
Elle fût moissonnée au printemps de son âge, ne vit plus maintenant.
Assis sous tes rameaux, quand notre rêverie
Elèvera nos cœurs vers un Etre immortel,
Nous ne plaindrons plus Lise, arrachée à la vie ;
Elle repose en paix au sein de l’Eternel !’

A l’évidence, « l’ami Mongin » a rappelé là ces moments dramatiques, en une manière d’hommage émouvant à la fille du manufacturier, lui construisant sur le papier le monument que ses parents n’ont pu lui édifier.

Le titre comprend aussi l’expression Paysage tableau, déjà utilisée pour la grande Helvétie. Comme nous l’avons déjà vu, ce n’est donc pas un hasard si nous trouvons au lé 18, au milieu de rochers et de plantes méditerranéennes, l’inscription Mongin fecit in Rixheim 1818, une signature de peintre, encore que Mongin ait préféré le terme fecit à pinxit 1488. L’existence d’un encadrement à colonnes, utilisé à l’Expsoition de 1819, conforte le titre.

De 1819 à 1823, les Vues de l’Italie partent à 390 exemplaires dont près de la moitié (187) la première année. Elles se vendent régulièrement mais sans enthousiasme particulier jusqu’aux années 1850 et semblent réimprimées modestement pour la dernière fois en 1870. Elles sont dégravées par la suite. Ce médiocre succès s’explique sans doute par l’arrivée sur le marché vers 1820-25 du panoramique de Dufour sur le même thème1489 ; réalisé en camaïeu, il multiplie aussi les personnages de façon très vivante, et surtout les place dans de magnifiques paysages amples et ouverts qui donnent au panoramique, non pas l’aspect d’un parc, mais celui de véritables vues d’Italie, de celles qu’un voyageur souhaiterait rapporter en souvenir chez lui : le dessinateur a d’ailleurs pris soin de représenter certes des scènes de genre inspirées de Vernet et du peintre Casanova, mais par une habile gestuelle, il a étroitement mis en rapport les personnages avec les sites et les monuments. Le grand nombre d’exemplaires conservés attestent de son succès tant en Europe qu’aux États-Unis, un succès qui a sans doute taillé des croupières dans les marchés de Rixheim.

Notes
1476.

Nouvel-Kammerer n° 62, 1819, n° 1660-1679, 20 lés, colorié, ill° 29.

1477.

C’est sans doute à cette Exposition qu’ils ont été les plus nombreux, catalogue L’âge d’or des arts décoratifs, Paris 1991, p. 24.

1478.

ADHR 9M6.

1479.

MPP Z 80.

1480.

Idem.

1481.

Les grandes lignes qui forment la structure de la gravure.

1482.

Idem.

1483.

Idem.

1484.

Idem.

1485.

 MPP 997PP4.

1486.

Voir Nouvel-Kammerer-Kammerer 1990, n° 59, 60, 61.

1487.

Elle a épousé le 17 juin 1816 Frédéric Feer, le voyageur de l’entreprise.

1488.

Le Jury de l’Exposition de 1819 pose d’ailleurs la question du rapport du panoramique avec la peinture : « (l’art des manufacturiers) ne (leur) permet de rivaliser avec la peinture que dans les imitations qui présentent peu de difficultés », cf. catalogue Paris 1991, p. 24.

1489.

Nouvel-Kammerer-Kammerer 1990, n° 63.