2.5.9. Les Jardins français1498

Le 26 octobre 1819, Jean Zuber, nous venons de le voir, écrit à son fils :

‘Voyons d’abord l’esquisse dont l’ami Mongin s’occupe maintenant avant de songer au sujet de jardin paysage qu’il propose1499.’

Ce « jardin paysage », l’ami Mongin réussit finalement à le réaliser puisqu’il est mis sur le marché en avril 1822. Mais en fait, de panoramique en panoramique, depuis l’Hindoustan, Mongin propose des variations sur ce thème1500 : un jardin paysager habité de fabriques, de quelques étendues d’eau, d’arbres divers et de quelques personnages. D’année en année, le sujet devient un prétexte à la création d’un nouveau jardin dont on sent qu’il est issu du même concept. Malheureusement, ici, le panoramique reste peu documenté en l’absence de Copies de lettres, ce qui élimine toute connaissance du travail d’élaboration. Nous manquent aussi le prospectus et une lithographie complète1501.

Mongin a-t-il comme dans les cas précédents travaillé à partir de gravures ? Il ne semble pas qu’il y ait vraiment des sources précises : les nombreux recueils de fabriques de jardins de l’époque ont pu l’inspirer ; le tholos, la ruine gothique ou le pont de bois sont des classiques du genre ; quant à la tour de Malborough, issue du Petit Trianon, elle a eu une ample descendance, Mongin lui-même l’a gravée sous le Premier Empire1502 ; François Pupil1503 a identifié un ensemble de statues et de fabriques provenant du jardin des Tuileries que Mongin a lui-même peint sous la Révolution dans des aquarelles frémissantes1504. Le dessinateur a sans doute rassemblé études et souvenirs pour donner naissance à cet ensemble.

Mais si l’on regarde les œuvres anciennes de Mongin (ill° 24. 2) et ce dessin, tous les composants sont là, mais rien n’est plus pareil : l’ambiance vaporeuse, la touche émue, l’apparent abandon des lieux, tout ce qui contribuait grandement à ce bonheur quelque peu nostalgique a laissé la place à un parc paysager où le caractère artificiel des fabriques ne se nimbe plus de rêverie, mais semble directement issu de catalogues de modèles ; le parc aristocratique, empreint de douceur de vivre et intemporel, est devenu une promenade bourgeoise où les couples s’imposent des attitudes plus retenues, où les fausses ruines empêchent des baliveaux de se transformer en futaie ombreuse. Les couleurs denses de la détrempe n’ont plus rien des transparences de l’aquarelle ou des glacis de l’huile. Pourtant, le tout est loin d’être sans charme, en particulier dans les détails de la première édition, car Mongin sait de quoi il parle : le groupe de musiciens et de chanteurs restitue à merveille, et avec quel pouvoir de séduction, cette intimité familiale propre au XIXe siècle (ill° 30. 5) ; on se plaît à imaginer la même scène dans le parc de Rixheim où Mongin accompagnait pour quelque sonate le flûtiste Zuber1505. Et cela vaut pour chaque groupe. Mais plus encore, ce sont les détails accumulés, toujours bien vus et transcrits avec élégance qui font le charme du panoramique, laissant le regard divaguer de découverte en découverte : quelques pots posés sur l’herbe au pied du bassin avant qu’on y replante une annuelle, des outils de jardin abandonnés harmonieusement au pied de la statue (ill° 30. 5), tout transforme ce qui pourrait n’être qu’une composition au mieux astucieuse en un merveilleux décor où le vécu, très sentimental, justifie et fait oublier tout à la fois la composition très présente.

Une série de nouveautés caractérise aussi ce panoramique. Son ampleur tout d’abord, 25 lés, un chiffre jamais atteint, qui donnent à l’ensemble un développement de près de 19 m. Mais aussi l’usage de l’irisé dans le ciel : cette technique ajoute à la grâce de l’ensemble en jouant le contraste entre cet espace hors du temps – aurore ou crépuscule ?- et le rendu très réaliste des détails. Ce caractère est accentué par la présence de personnages contemporains en habits de bourgeois : certes la Suisse ou l’Italie nous présentaient des contemporains, mais leurs costumes traditionnels leur donnaient une dimension intemporelle ; ici au contraire, n’importe quel homme, n’importe quelle femme de l’époque pouvait se projeter dans ces personnages élégants vêtus d’habits de promenade. La manufacture prenait un risque : le panoramique pouvait se démoder rapidement1506. Ce qui ne manqua pas d’arriver : aussi, en 1836-7, après cinq réimpressions, les planches des personnages sont-elles regravées ; on en profite pour remettre au goût du jour les vêtements, pour repenser les personnages dans un esprit très différent de celui de Mongin : le couple qui, au lé 5, joue avec un enfant, se mue, non sans vulgarité, en un militaire qui tente de faire la conquête d’une bonne d’enfant, le couple qui badine sur un banc au lé 8 se transforme en deux jeunes femmes plus sages, quant à la jeune femme qui traverse le ponceau du lé 16, elle est désormais accompagnée… L’esprit s’en est métamorphosé et ce qui subsistait de la galanterie du siècle précédent a fait place à une approche petite bourgeoise qui a beaucoup perdu en élégance : le monde de Stendhal a fait place à celui de Balzac…

Ce panoramique s’est révélé de bonne vente, régulièrement réimprimé jusqu’en 1860 : mais il est clair que même avec des personnages renouvelés, il a vieilli plus vite que d’autres et sa carrière s’est achevée en 1860, la dernière édition cette année-là s’est même vendue très lentement. Il est par ailleurs évident que l’évolution des jardins au milieu du siècle en rendait très vieillotte la représentation. Aux États-Unis, ce panoramique semble avoir rencontré un succès particulier : il figure parmi les cinq les plus fréquemment rencontrés et dans cette liste, le seul de Rixheim1507.

En 1827, Mongin disparaît : s’il a continué à peindre pendant ses dernières années, il ne semble plus travailler pour Rixheim, pour des raisons que nous ignorons. Mais finalement, la réussite des Jardins français, si représentatifs de ce qu’il a créé, clôt magnifiquement sa carrière.

Notes
1498.

Nouvel-Kammerer n° 20, 1822, n° 1901-25 lés, coloré, ill° 30 et 17. 3, .

1499.

MPP Z 80.

1500.

Jacqué 1980.

1501.

Dans la première série de lithographies de Zuber, la Collection d’esquisses de 1827, une partie en apparaît avec un encadrement de colonnes (coll° MPP ).

1502.

Coll° du Musée de Versailles.

1503.

Nouvel-Kammerer 1990, p. 273.

1504.

Catalogue Jardins 1760-1820, Paris 1977, p. 28

1505.

Zuber 1895, p. 56.

1506.

Les années 1820 voient en particulier la taille des vêtements féminins descendre de la poitrine aux hanches.

1507.

Douglas 1970, p. 62.