2.4.11. Les Vues d’Écosse ou la Dame du Lac1512

Ce panoramique est daté selon son prospectus de 1825 mais il n’apparaît sur le marché qu’en 1827 : la manufacture de Rixheim est restée cinq ans sans nouvelle création, sans doute parce que le marché est désormais très encombré (au moins une trentaine de panoramiques sur le marché) et que Jean Zuber dispose lui-même d’un large échantillonnage.

Ce nouveau panoramique, élaboré sans Mongin, est depuis longtemps attribué à Jean-Michel Gué1513 : rappelons qu’il s’agit un homme de spectacle dont les décors mettent en pratique un style troubadour échevelé1514. Mais le prospectus précise que ce panoramique est dû

‘aux talents réunis de deux artistes les plus distingués de la capitale.’

Si Gué est l’un des deux, quel est l’autre ? On peut imaginer quelqu’un qui à la différence de Gué, serait un professionnel du papier peint de façon à transcrire en aplats son travail. Mais ce ne sont là qu’hypothèses en l’absence d’archives.

La manufacture renoue avec un type de panoramique oublié depuis 1811 et l’Arcadie : le panoramique à sujet littéraire, traité en camaïeu. Le thème n’en appartient plus au domaine classique mais à un ouvrage contemporain, profondément marqué par le romantisme naissant, quasi caricatural : the Lady of the lake, un poème de Walter Scott publié en 1810 ; ce poème rencontra un large succès et donna même lieu à sa transposition en opéra par Rossini en 1819. Comme pour l’Arcadie, il y a symbiose entre le thème traité et l’usage du camaïeu1515 : l’exemplaire en camaïeu de gris conservé à Dubrovnik (ill° 32. 2)1516 montre combien l’atmosphère écossaise façon troubadour est particulièrement bien rendue par les contrastes colorés de la grisaille (7 nuances). Comme par ailleurs les motifs sont repris des gravures monochromes de la première édition du poème, la transposition s’est faite sans difficulté.

La manufacture utilise ici pour la première fois les effets spéciaux liés à la technique de l’irisé, non seulement pour le ciel, mais pour jouer de la lumière, dans l’ambiance romantique spécifique au panoramique : dans les premiers lés, la scène du serment des guerriers se déroule alors qu’un

‘violent orage se forme et augmente l’intérêt de cette scène par des effets de lumière, entièrement nouveaux dans le genre du papier peint.’

Un peu plus loin, la vue sur les lacs est embellie

‘par le coucher du soleil derrière l’immense rocher Ben Lomond.’

Le changement stylistique important amorcé ici, la recherche non seulement d’un nouveau dessinateur, mais d’un changement dans les thèmes aussi bien que dans leur traitement s’explique par le poids de la nouvelle génération, Jean et Frédéric, qui, s’ils n’ont pas encore la direction de l’entreprise, pèsent chaque jour davantage.

Dans la production des panoramiques de Rixheim, une approche aussi franchement romantique1517 reste l’exception, en particulier sous la forme troubadour – et elle restera unique. Le brutal tournant que prend la manufacture de Rixheim est accentué par

‘un lambris et une frise dans le style gothique (…) exécutés pour servir d’encadrement à ce paysage (qui) forment ainsi un décor d’un genre approprié au paysage. ’

Jusque là, les panoramiques, depuis l’Hindoustan, sont dotés d’un lambris classique et de colonnes d’un ordre antique.

L’expérience demeure sans lendemain : le travail avec Gué cessera aussitôt après, la référence à la littérature, à Rixheim du moins, sera abandonnée. Cependant, ce panoramique semble rencontrer le succès : il se vend bien dès le départ, est régulièrement réimprimé jusqu’en 1864. Comme nombre d’autres panoramiques, il sera dégravé dans les années 18801518.

Notes
1512.

Nouvel-Kammerer n° 11, 1827, n° 2311-2342, 32 lés, camaïeu, 7 couleurs, ill° 32.

1513.

Aucune trace du nom en archives, nous ignorons quand cette attribution est apparue.

1514.

Voir supra.

1515.

Proposé en « teintes grisailles, casimir vigogne et olive ainsi qu’en demi colorié gris et bistre et olive et bistre ».

1516.

Lossky 1967, dossier MPP.

1517.

Le terme « romantique » est d’ailleurs utilisé dans le prospectus pour décrire un paysage (lé 26).

1518.

Quelques lés connaîtront une fin amusante : ils seront utilisés comme décor par un photographe de la région des Finger lakes, dans l’État de New-York à la fin du XIXe siècle… (Douglas 1996).