2.5.21. Le Jardin japonais1615

Dans le livre de gravure pour 1861-1862 apparaît la mention suivante :

‘5400 à 5409 Grand décor japonais colorié à contours, 10 lés, Potterlet,’

sans mention de prix d’achat du dessin ni de coût de gravure. Nous savons par ailleurs qu’il nécessite 417 planches et 72 couleurs.

S’agit-il à proprement parler d’un panoramique ? Son petit nombre de lés, son motif imitant les jardins chinois représentés dans les panneaux peints en Chine l’en éloignent quelque peu. De ce point de vue, le terme de décor est plus proche de la réalité ; en revanche, il ne possède pas le caractère modulable du décor et sa dimension paysagère est bien celle du panoramique.

Pour le réaliser, la manufacture fait appel à Victor Potterlet1616, une des figures majeures du papier peint de son époque : ceci explique le prix important qui lui est payé, 4200 francs alors que les 31 lés des Zones sont revenus à 5000 francs. La gravure se monte à 3037 francs1617.

Le titre a donné lieu dès l’origine à des hésitations entre chinois1618 et japonais. Le motif se réfère davantage à la Chine qu’au Japon, mais le Japon commence à fasciner l’Occident et l’appellation s’efforce de tirer profit de cette fascination1619 beaucoup plus que de la réalité de sources japonaises.

La vente n’a pas rencontré le succès espéré : mais le caractère particulier du panoramique explique cependant sa longévité particulière puisqu’il est réimprimé en 1869, 1875 et 1882, au moment où l’on dégrave d’autres panoramiques de la maison. Il a été réimprimé à plusieurs reprises au XXe siècle sous le nom de Jardin chinois.

Avec le Jardin japonais, nous avons affaire à la dernière tentative de Rixheim au XIXe siècle en matière de panoramique : mais son dessinateur, certains de ses caractères, montrent bien que nous sommes très éloignés de ce qui a fait la gloire du panoramique pendant cette période.

En conclusion à cette présentation des panoramiques de la manufacture de Rixheim, on est en droit de se demander en quoi cette manufacture a développé une approche particulière. La réponse est négative jusqu’en 1842. Jean Zuber est d’abord un suiveur, qui a compris quel serait l’intérêt pour sa manufacture de mettre sur la marché un produit qui commençait à connaître le succès. Son génie a sans doute été de trouver d’excellents créateurs dans ce domaine, Mongin, peut-être débauché chez son confrère Dufour, puis Deltil, un praticien de la chose qui a su renouveler le genre au moment où il risquait de s’enliser dans la routine. A ces deux dessinateurs, il a su offrir les moyens nécessaires pour qu’ils donnent leur pleine mesure : ainsi l’usage de l’irisé, par exemple, jamais mieux maîtrisé que dans les ateliers de Rixheim.

La seconde génération, en tirant profit du talent d’Eugène Ehrmann, a compris qu’une nouvelle voie pouvait désormais s’ouvrir : ce fut Isola bella, suivi dans la même lignée par l’Eldorado puis les Zones terrestres ; en revanche, cette nouvelle possibilité, parfaitement adaptée à la tradition de naturalisme des dessinateurs de Rixheim, reste la seule exploitée pendant que d’autres manufactures tentaient des solutions différentes pour se renouveler.

En fait, ce renouvellement va venir d’une démarche pragmatique, avec les panoramiques partiellement peints, que seule la manufacture produit : ce sera un des objets de notre étude sur la seconde moitié du XIXe siècle. Mais, nous le verrons, lorsque ce marché faiblit, lorsque le panoramique finit par être remis en question, Rixheim suit la voie nouvelle ouverte par ses confrères en 1855, celle du « tableau », avec sa propre approche, faite de haute technicité, grâce, il est vrai, à une main d’œuvre peu coûteuse, tout en restant cependant fidèle à sa tradition de naturalisme.

Notes
1615.

Ne figure pas dans Nouvel-Kammerer 1990 ; ill° 41.

1616.

1811-1889, un des dessinateurs d’ornements majeurs de l’époque ; il a travaillé pour la plupart des grandes manufactures, réalisant en particulier les décors les plus importants de la période ; Zuber a fait appel ponctuellement à lui de 1840 à 1878, en particulier pour ses décors. Voir infra son activité dans le domaine du décor. D’après E. Ehrmann, il aurait séjourné à Mulhouse-Dornach quelques années avant 1865 (archives familiales, copie au MPP).

1617.

Ces chiffres proviennent des inventaires de 1860 et 1861, MPP Z 20.

1618.

Par exemple à l’inventaire cité, MPP Z 20.

1619.

Cf. catalogue le Japonisme, Paris-Tokyo 1988.