2.6.3.1. Les draperies à motif répétitif

La formule la plus simple connaît son apothéose dans le salon bleu du Schloß Corvey en Basse-Saxe, ill° 45c. 2 (Allemagne) : on y a utilisé un des modèles les plus connus, présent dans toutes les grandes collections de papier peint. Le principe du motif en est simple : un coutil à rayures verticales sur fond blanc se présente comme une répétition de carrés superposés et drapés (le rapport est de 0,54 m de côté)  retenus par des pitons complétés de pompons de passementerie. Depuis Rioux de Maillou1671, il est daté de façon convaincante de 1808 et attribué à Dufour à Paris. Imprimé le plus souvent en bleu, on en connaît aussi des exemplaires en vert et en rose1672. L’effet de trompe-l’œil y fascine par la précision du rendu : les plis se combinent aux pliures de la façon la plus convaincante, au prix d’une quinzaine de couleurs. Les nombreux rouleaux posés dans le vaste salon bleu du Schloß Corvey ont été achetés en janvier 1824 auprès de Joseph Hegemann à Münster pour la somme énorme de 149 thalers1673, justifiée peut-être par l’importation de Paris. Il est vrai que le motif répétitif est complété par une frise coordonnée1674 reprenant en demi-cercle le motif tandis que dans la partie basse, la bordure reprend en ocre relevé de mine orange des ornements néo-classiques traités à la manière de dorures ; le tout repose sur un lambris de papier où deux figures féminines à l’antique encadrent une draperie plissée1675.

Un papier peint semblable décore l’antichambre du salon d’été (ill° 45c. 3) : toujours des carrés, mais imprimés en bleu uni, bordé de fleurs rendues en camaïeu de bleu. Une frise drapée, surmontée d’une couronne avec cinq plumes d’autruche, termine le papier dans sa partie supérieure tandis qu’une simple frange le finit en bas, au-dessus d’une bas de lambris en papier peint : il est difficile d’attribuer ce papier peint, peut-être une production viennoise, comme d’autres papiers peints de Corvey1676.

Il existe d’autres motifs, un des plus fréquents étant celui des éléments drapés croisés en losange. D’après les éléments parvenus jusqu’à nous, plusieurs manufacturiers semblent en avoir produits1677. Les plus raffinés font appel à des combinaisons entre impression en détrempe et en tontisse. Ils se combinent fréquemment à des bordures coordonnées. Plus on avance dans le temps, plus les fabricants proposent des motifs sophistiqués : les années 1820 font preuve dans ce domaine d’une imagination débridée, servie par des moyens techniques de plus en plus raffinés, l’utilisation de l’irisé en particulier. C’est par exemple le cas de documents en provenance de la collection Poteau, actuellement conservés au Deutsches Tapetenmuseum de Kassel1678. De son côté, Jean Zuber met sur le marché un « dessin à draperie et tuyau montant de tulle brodé » en 1831 (ill° 45c. 4) : cet extraordinaire motif est récompensé d’une médaille d’or par la Société d’encouragement pour l’industrie nationale en 1832 puis par le jury de l’Exposition des produits de l’industrie de 1834. Sur un fond irisé est imprimée en taille-douce (un procédé mis au point et breveté par Jean Zuber & Cie en 1826) une très fine trame régulière d’octogones, à la façon d’un tulle ; sur ce tulle viennent s’imprimer à la planche les « broderies » ; le résultat, saisissant tant sur le plan esthétique que technique, justifie les deux médailles1679. Le procédé sera repris par Zuber à plusieurs reprises, ne serait-ce que pour rentabiliser la gravure du cylindre de cuivre1680.

Une autre formule se rapproche davantage de la draperie suspendue, dans la mesure où la répétition se fait moins évidente. Dans la partie supérieure, des éléments décoratifs (tringles, pitons…) simulent un système d’attache ; en dessous se développent des plis, tantôt naturalistes et fortement marqués, tantôt traités de façon graphique, presque abstraite, en particulier des plis tuyautés. En dessous, le jeu de plis devient répétitif, de façon à s’adapter à la hauteur variable de la pièce et à pouvoir être coupés à volonté. Dans la partie inférieure, des franges plus ou moins larges, plus ou moins riches, sont collées de façon à terminer le décor, en manière de bordure. C’est le cas d’un papier démonté dans la salon d’un riche intérieur bourgeois de la rue des serruriers au centre de Strasbourg1681. Dans la partie supérieure, entre deux pitons, l’on trouve un feston et une guirlande traités en doré sur un fond de tontisse ; les pitons supportent tout d’abord une draperie bordée de pampilles qui retombe de part et d’autre ; dessous vient une draperie répétitive à lourds plis cassés ; celle-ci retombe en fonction des besoins en hauteur de la pièce ; enfin, dans la partie inférieure, une bordure découpée est collée pour finir le décor1682.

Ce schéma de base connaît bien des variantes. Ainsi dans une demeure de Bagnols1683 (Rhône), des draperies dont la coloration très acide laisse supposer une date proche de 18001684 se détachent sur un mur uni bordé en haut par une large frise et en bas par une bordure, au-dessus d’un lambris de boiserie. Le mur uni apparaît essentiel et joue le rôle d’un fond sur lequel les draperies font un effet de relief très marqué. A la Résidence d’Eichstatt (Bavière), réaménagée par le prince Eugène de Beauharnais devenu duc de Leuchtenberg et prince d’Eichstatt après 1815, un des salons est tendu d’une draperie : ici, elle est fixée à des pitons directement sous une frise, sans qu’apparaisse un fond, et son caractère répétitif est très marqué1685. Cette formule, dans une version plutôt abstraite, se retrouve au château de Blonay dans le canton de Vaud (Suisse)1686, au château de Barjols (Var)1687, dans un salon de la Bastide X à Aix-en Provence1688 tandis qu’un traitement naturaliste à coup d’ombres puissantes caractérise ce qui est conservé au château de Sablé (Indre & Loire)1689 et au château de Mazères à Baran (Gers)1690.

La Maison de Mirabel à Saint-Simon (Cantal) présentait un extraordinaire ensemble, tout à fait particulier par son caractère, qui est aujourd’hui conservé au Musée des arts décoratifs de Paris1691. Une draperie très naturaliste, aux lourds plis répétitifs, tombe d’un support que l’on ne voit pas : derrière, apparaît au-dessus de la draperie une somptueuse colonnade corinthienne qui encadre un vase Médicis traité en manière de tôle découpée. L’effet est aussi exceptionnel que rare, puisqu’il s’agit du seul exemplaire de ce type conservé. La même draperie pouvait être utilisée de façon différente, en changeant la partie supérieure et en la remplaçant par une frise : on lit très clairement la limite supérieure de la draperie. Pour la finir en bas a été placée une bordure florale combinée à de riches franges1692.

Le château de Schwetzingen, près de Heidelberg (Rhénanie-Palatinat), attribué par le recès de 1803 au margrave de Bade, est dès lors légèrement remanié : le deuxième étage est redécoré à l’intention de l’épouse morganatique du prince, la Reichsgräfin Luise von Hochberg. En 1804, les murs sont tendus non de soie mais de papier peint, peut-être à cause du statut de la Reichsgräfin1693. Dans la salle d’audience, qui ouvre les appartements, les murs sont tendus d’une draperie très sobre, au-dessus d’un lambris de papier peint assorti. En revanche, la chambre et le cabinet de toilette font l’objet d’un décor étonnant. Les murs de la chambre sont tendus d’un papier bleu-vert imitant un store à l’italienne tombant entre des colonnes et bordé d’une riche passementerie, multipliant les drapés à l’horizontale, et complété d’un rideau à l’italienne en textile. Le lambris est aussi conçu en papier, en harmonie avec le motif. Le propos est sans doute d’accentuer l’impression d’intimité dans une pièce qui a perdu tout caractère officiel à cette époque : d’ailleurs, le lit à la polonaise n’est pas un lit de parade. L’effet est confirmé par le décor du cabinet de toilette : un motif répétitif de lourdes draperies horizontales, dans des nuances de beige, bordées de tontisse noire transforment la pièce en un lieu très intime au décor somptueux1694.

Enfin, le MPP conserve une draperie1695 de la manufacture Dufour intéressante dans la mesure où elle combine des éléments étrangers au vocabulaire du genre. En dessous d’une frise architecturale supportant une frise en draperie naturaliste combinée à une guirlande de fleurs se développe une draperie dont les plis sont indiqués de façon succincte par quelques traits très graphiques sur le bord. Sur cette draperie, à plat, des scènes de bergerie superposées comme sur nombre de papiers peints de l’époque1696 ; dans la partie inférieure vient à nouveau une draperie en feston avec une nature morte de fruits.

Ces différents exemples appellent deux remarques : tout d’abord, les draperies de papier peint, à la différence des draperies réelles, sont placées au-dessus d’un lambris de boiserie ou de papier peint alors que leurs homologues textiles descendent jusqu’au sol1697. Elles sont posées dans des salons – à l’exception des draperies de Schwetzingen, au caractère particulier, alors que chez Percier et Fontaine, on les trouve surtout autour des lits dans des chambres.

Notes
1671.

Rioux de Maillou 1883, p. 352, repris par Havard 1887, IV 82.

1672.

Exemplaires au MPP, au Musée des arts décoratifs et à la Bibliothèque Forney. Le MPP possède aussi en dépôt un paravent couvert d’une imitation contemporaine de ce papier peint, provenant d’un château alsacien.

1673.

558,75 francs ! Il semble que l’on ait utilisé 13 rouleaux de motif, et 9 rouleaux de lambris et frises, soit 22 rouleaux, ce qui amène le prix du rouleau à 25 francs 36, un prix qui n’est pas anormal pour un papier peint de cette qualité, faisant appel à 15 couleurs et importé de Paris… et de toute façon moins cher que son équivalent réel.

1674.

Que l’on retrouve dans une autre gamme dans Jacqué 1987, pl. 6.

1675.

On en retrouve un exemplaire dans la collection du MPP, inv. 987PP22-18.

1676.

Le même concept est repris dans un autre papier peint, manifestement aussi de Dufour : des carrés de 0,54 m de côté, un motif drapé de rayures combinées ici avec des palmettes, cf. Nouvel 1981, n° 548. Voir aussi les n° 583, 588, 590, 591, 593, 599 dans Guibert 1980.

1677.

On en trouvera un large choix dans Guibert 1980 p. 88-91.

1678.

Thümmler 2000, p. 80-81, n° 80, 81 et 82.

1679.

Ce papier peint a été dessiné et gravé par l’atelier Koechlin-Ziegler de Mulhouse ; il porte le n° 30 dans la numérotation des taille-douce de la manufacture (Thomé-Sano 1978, III n° 246, Teynac 1981, p. 136, Nouvel 1981, n° 203, BSIM 1984/2, pl. IX, Jacqué 1987, pl. 24, Hoskins 1994, p. 70 ; la meilleure reproduction est celle de 1978). Le Bulletin de la société d’encouragement pour l’industrie nationale y fait allusion dans sa livraison de 1832, p. 95. L’Inventaire de 1832 évalue le rouleau à 2 francs (MPP Z 10).

1680.

Jacqué 1987, pl. 26, par exemple.

1681.

Jacqué 1990; le document est reproduit dans Jacqué 1991, p. 18. L’identité d’un élément de la frise avec un ornement d’un autre papier peint de Dufour (Guibert 1980, n° 584).permet de l’attribuer avec quasi certitude à cette dernière manufacture.

1682.

Le feston est attribué à Dufour en 1812, ce qui donne l’ensemble du document à la manufacture. Le jeu des plis est très proche de celui du document provenant de Mirabel à St Simon dans le Cantal analysé ci- après.

1683.

Dossier documentation MPP.

1684.

Dans la même pièce sont disposés des dessus-de-porte d’Hartmann Risler : ces draperies pourraient provenir de Rixheim, mais sans preuve définitive.

1685.

C’est aussi le cas à Jarrié en Haute-Loire (documentation MPP), mais le mauvais état de conservation rend difficile à lire son caractère « abstrait ».

1686.

Documentation MPP.

1687.

Idem

1688.

Fustier-Dautier 1977, p. 105.

1689.

Documentation MPP.

1690.

Idem.

1691.

Documentation MPP et page de garde de l’ouvrage de Bruignac 1995.

1692.

La formule combinant une draperie à une colonnade se retrouve dans une maquette conservée au Musées des arts décoratifs de Paris (inv. HH 1907), voir Nouvel 1981, n° 551.

1693.

Fuchs 1991a & b. Les difficultés financières de la noblesse allemande, au lendemain du recès, peuvent aussi être une explication.

1694.

40 ans plus tard, la princesse russe Alexandra Nikolaïewna fait installer un décor de papier peint très proche dans son boudoir au Schloß Fasanerie : Schenk 1972, p. 72.

1695.

Jacqué 1987, pl. 33. MPP 985PP3-5. L’attribution à Dufour est liée à un détail de papier peint de Dufour (Guibert 1980 n° 342, frise) que l’on retrouve ici dans la frise.

1696.

Ces papiers peints sont dits « à la Jocko » : voir par ex. Lynn 1980, p. 278-281.

1697.

Une exception au Schloß Tegernsee, Olligs I, ill. 271 (mais est-ce du papier peint ?)