2.6.3.2. Les draperies de la manufacture Dufour puis Dufour & Leroy

Alors que ces papiers proviennent dans leur grande majorité de manufactures que l’on n’a pu identifier, un ensemble notable de draperies dont le style laisse supposer une seule main, sont attribuées traditionnellement à la manufacture Dufour et, pour certaines, les albums d’échantillons conservés au Musée des arts décoratifs de Paris ont pu confirmer l’attribution (voir annexe 8).

C’est sans doute sous la houlette de son directeur artistique Xavier Mader1698, que Dufour se lance dans la production de façon régulière jusqu’en 1830 d’une série de draperies très caractéristiques tant du point de vue de leur concept que de leur traitement esthétique. Dans la largeur d’un lé1699 et sur une hauteur fixe d’environ 2 mètres se déroule, complet, un motif de draperie. Les plus anciens, vers 1810, sont les plus sobres : des laizes de satin plissé de diverses manières sont fixées à des tringles et se détachent sur des fonds en tontisse rouge ou verte1700 ; des broderies, des passementeries dorées complètent le décor d’un traitement néo-classique très rigoureux. On y distingue les marques de pliage, propres au linge des bonnes maisons (annexe 8, ill° 1-4). Des bordures (utilisables aussi en frise) complètent les motifs (annexe 8, ill° 1b). On est ici proche du style de Percier et Fontaine sans que l’on puisse trouver de modèle précis, ce qui laisse supposer un réel talent de créateur au dessinateur de la manufacture à qui on a donné les moyens de s’exprimer : le nombre de couleurs utilisé à rendre les subtiles nuances blanches du satin atteint la dizaine ou la dépasse !

Par la suite, comme dans les modèles de rideaux de La Mésangère1701 ou de d’Hallevant1702à la même époque, les plis s’épaississent, la matière se gonfle, les passementeries d’or de plus en plus complexes se combinent aux broderies de même métal, les rideaux se superposent ; le moelleux des formes s’éloigne de la sécheresse néo-classique à coup de somptueux jeux d’ombre illusionnistes. Une impression de lourde opulence tend à remplacer l’élégance des premiers modèles. La couleur devient plus présente : le satin se bleuit, les fleurs intensément colorées apparaissent en bouquets riches (annexe 8, ill° 5-11)… On s’éloigne de plus en plus des dessins au trait de Percier et Fontaine, le naturalisme le plus opulent dame le pion à la rigueur des ornements abstraits. Certains modèles nécessitent même des lés de plus de 60 cm de large.

Pour l’impression, ces draperies combinent détrempe et tontisse, très souvent repiquée avec raffinement. Il existe à la fois des variantes de coloration et des motifs qui tantôt sont rendus en polychrome, tantôt en camaïeu, ce qui permet d’abaisser de façon satisfaisante le nombre de couleurs. Une bordure à motif de draperie est coordonnée de façon précise à un motif1703.

Utilisées sur le mur, ces draperies supposent un bas de lambris : c’est le cas dans les exemplaires retrouvés en place. A Besançon, dans la maison Simon (annexe 8, n° 7)1704, les draperies sont collées au-dessus d’un bas de lambris en bois, comme sans doute au château de la Brosse à Tence en Haute-Loire. La même solution a été adoptée dans le salon de la Ruel Williams House à Portland dans le Maine (USA) annexe 8, n° 61705. Le cas de l’alcôve du Schloß Fasanerie à Eichenzell (Hesse) est plus délicat dans la mesure où il s’agit d’un remontage en provenance du Schloß Rumpenheim (annexe 8, n° 6)1706 En revanche, dans la maison de Dianous à Sérignan du Comtat (Vaucluse), l’on retrouve des draperies de Dufour1707 au-dessus d’un lambris de papier peint relevé d’or surmonté d’une bordure (annexe 8, n°. 5).

Nous possédons deux cas particulièrement intéressants d’adaptation de ces draperies à des pièces de grande hauteur. A Nice, dans le grand salon de la Villa Christine, utilisée par des membres de la famille royale suédoise comme résidence d’hiver1708, la hauteur sous plafond atteint environ 4 m. Une vue d’intérieur nous montre comment des draperies de Dufour (ill° 45c, ill° 6) y ont été adaptées1709 : sous le plafond court une corniche en faux-marbre sous laquelle se déroule une frise de papier peint ; en dessous, sur une cinquantaine de cm, l’on retrouve le fond de tontisse des draperies qui ont sans doute fait l’objet d’une commande spéciale ; les 2,20 m de la draperie tombent et jusqu’à la limite du lambris, on retrouve une trentaine de cm de tontisse unie. Enfin, la partie inférieure du mur, sur une hauteur de 80 cm, est recouverte d’un bas de lambris en marbre, vrai ou imité, soit en peinture, soit en papier. Le sentiment devant un tel décor est partagé : d’un côté, l’effet est réussi dans la mesure où il donne aux draperies une ampleur et une lisibilité exceptionnelle, mais d’un autre côté, elles semblent flotter dans l’espace dans la mesure où elles n’occupent guère que la moitié de la hauteur du mur. L’absence d’une bordure au-dessus du lambris se fait sentir, mais elle ne pouvait guère être posée pour des raisons d’équilibre de l’ensemble.

La famille royale espagnole, dans les années 1820, a fait appel à plusieurs reprises aux draperies dans ses résidences. Nous retiendrons ici un motif (annexe 8, n° 8)1710 utilisé dans le cabinet de l’infante Isabelle au Palais royal de Madrid et dans la salle d’audience du palais de la Quinta (El Pardo). Dans les deux cas, nous sommes dans des salles très hautes, d’environ 4 m sous corniche, un peu plus au Palais royal. Le mur a été traité de même dans les deux résidences, mais dans des gammes colorées différentes. On n’y a employé que du papier peint pour couvrir le mur, mais au Palais royal, un lambris de boiserie d’une cinquantaine de cm a été laissé en place, ce qui n’est pas le cas au palais de la Quinta.

Au-dessous de la corniche, traitée en faux-marbre au palais de la Quinta et en faux-bois au Palais royal, court une première frise étroite (environ 1/2 lé) associant une palme à un rinceau. Dessous se développe une somptueuse et ample frise de draperie d’environ 1 m de rapport et de la largeur d’un lé ; un effet d’ombre la fait se détacher sur un fond de tontisse unie. Une troisième frise étroite (environ 1/2 lé) se coordonne parfaitement à la draperie qu’elle domine, tant du point de vue du rapport du motif, équivalent au rapport en largeur de la draperie, que du fond, une tontisse de même nuance que celle du fond de draperie. Le bord inférieur de cette frise se présente sous la forme d’un motif de perle : il sert de cimaise aux différents tableaux et miroirs de la salle. La draperie se développe ensuite. Et en dessous d’elle, l’on retrouve le même motif qu’au-dessus mais sur un fond plus clair. Enfin, le lambris, très néo-classique combine une coupe à deux putti soutenant une guirlande1711. Dans les deux cas, le résultat témoigne d’une parfaite réussite, en particulier grâce à la parfaite homogénéité des motifs comme de leurs dimensions et du subtil équilibre qui s’établit entre les différentes composantes du décor. Si par ailleurs, l’on songe aux quantités posées, à la présence d’ombres portées, un tel ensemble ne peut être que le résultat d’une commande spéciale, complétée sans doute par une esquisse de la manufacture facilitant la pose.

Notes
1698.

Sur Xavier Mader et, de façon générale, sur la manufacture Dufour, les études ne font que commencer. Un centre d’études vient d’être créé dans son lieu de naissance, Tramayes en Saône & Loire (2002).

1699.

Soit plus ou moins 53 cm, mais il est une exception à 67 cm.

1700.

Voir Nouvel 1981, n° 543, 544, 545. Mêmes modèles conservés au MPP, en provenance de la collection Follot, Paris.

1701.

La Mésangère1802-1835.

1702.

Hallevant (d’) Recueil des draperies, s.d.

1703.

Nouvel 1981, n° 339, coordonnée à Nouvel 1981, n° 544 : mais on la retrouve aussi utilisée dans un château belge avec la draperie Nouvel 1981 n° 543, voir Bruxelles 1997, p. 48.

1704.

Doc° MPP.

1705.

Nylander 1986, p. 116, ill° 25-a.

1706.

 Schenk 1972, p. 69. Ce château appartenait à la famille des landgraves de Hesse-Kassel. Il se dresse encore à Offenbach (Hesse).

1707.

La Garenne-Lemot 1997, n° 93.

1708.

Une vue d’intérieur en est conservée dans les Collections royales de Suède, rien n’a été conservé de ce décor dans le bâtiment .qui existe encore à Nice. Voir Hoskins 1994, p. 68 et 69, ill.

1709.

Nouvel 1981, n° 542, variante avec ombre.

1710.

Motif peu fréquent : un exemplaire dans les collections de la Whitworth Art Gallery de Manchester.

1711.

Il se retrouve dans les collections de la bibliothèque Forney, Guibert 1980, n° 344, exemplaire semblable au MPP.