2.6.3.4. Frises et bordures en draperie

La période 1800-1835 a vu une inflation des frises et bordures1715 en draperie : il semble s’en être imprimé des centaines, les différents manufacturiers rivalisant en originalité et en splendeur1716. On passe des dessins relativement sobres et très graphiques du début du siècle à l’emphase des années 1820. Les textiles, souvent superposés et rehaussés de passementerie, se combinent alors à des dépouilles de léopard, à des plumes d’autruche, à des perles et surtout à des fleurs dans une surenchère qui semble sans limite. Les velours tourbillonnent autour de pitons dorés, les dentelles se combinent aux velours bouillonnants, les cachemires s’enroulent… Tout devient possible dans un délire de trompe-l’œil d’un réalisme jamais atteint jusque là.

Ces bordures de draperie, dans certains cas, viennent conforter d’autres draperies verticales, comme dans les palais espagnols susdits : mais, le plus souvent, leur somptuosité vient en contraste avec des motifs plus simples. Un joli travail de découpe et de collage par un silhouetteur, Caspar Dilly, en Basse-Saxe, nous en montre un charmant exemple chez un riche paysan le 17 septembre 1818 (ill° 45c. 7)1717 : sur les murs de la Stube, décorée en 1811 ou 1812, a été posé un papier bleu-vert, rayé de blanc avec des fleurettes de même couleur ; le poseur a multiplié les bordures (il y en a cinq différentes), dans un esprit néo-classique caricatural, encadrant tout ce qui pouvait l’être ; en manière de frise, il a retenu pour imiter une draperie, un ruban torsadé, sans doute découpé mais faisant appel à des couleurs nombreuses pour signifier les effets d’ombre et de lumière. Dans l’exemple encore en place à proximité de Neuchâtel, à Châtillon (Bevaix), le contraste va bien plus loin : une fascinante frise de cachemire drapé de Jean Zuber & Cie de 18221718 se combine avec un sobre motif de damas en une couleur1719 Par ailleurs, nombre de vues d’intérieur germaniques1720 nous donnent une idée de leur usage. C’est ainsi que dans les années 1820, au Schloß Tegernsee1721, résidence d’été des Wittelsbach, d’amples motifs géométriques d’un dessin très simple se combinent avec une riche frise colorée où s’entortillent deux textiles différents, un velours et une mousseline ; leur découpe inférieure donne l’illusion que les dits tors recouvrent le motif du mur. Le même schéma se retrouve sur une vue datant de 1841 du salon du gouverneur d’Hermannstadt (l’actuelle Sibiu) en Transylvanie (ill° 45d. 6)1722 : elle montre une vaste mais simple salle dont les murs, de la plinthe à la frise sont tendus d’un papier peint imitant un motif de soierie lyonnaise jaune, traité dans la technique de l’irisé1723; au-dessus court une frise en tontisse rouge et bleue où un velours s’entortille dans une cordelette blanche. En revanche, au-dessus de la haute plinthe, aucune bordure n’a été posée, il semble qu’il n’y ait qu’un simple filet sombre. Au château de Frohsdorf (Styrie), dans une chambre à coucher1724 sans doute aménagée pour Caroline Murat1725, le mur semble couvert d’un papier uni ou granité bleu nuit au-dessus d’un bas de lambris soit en papier, soit en boiserie peinte ; dans la partie supérieure court une ample frise de draperie double, blanche avec des franges vertes et des éléments de passementerie réalisés en tontisse noire.

Sous des formes variées, les motifs de draperie semblent avoir envahi l’ensemble du monde occidental : on les retrouve d’après les ventes et les témoignages conservés en Russie1726 comme aux États-Unis1727, en France1728, en Italie1729, en Espagne… En revanche, rien n’apparaît dans les très nombreuses vues d’intérieur anglaises de l’époque : comme souvent, le goût anglais se distingue, alors même que la draperie a été utilisée dans les palais du début du XIXe siècle et chez un homme comme Thomas Hope1730. Ceci est d’autant plus étonnant que le monde victorien fera un très large usage de la draperie.

Notes
1715.

Le fabricant imprime souvent la frise et la bordure sur un même rouleau où le poseur devra les découper.

1716.

Nouvel 1981 en offre un large choix : n° 361-365 et 404 – 428 ; voir aussi Guibert 1980 dans son chapitre bordure.

1717.

Ottenjann 1984, planche VI, p. 65.

1718.

N° 1899 dans la numérotation de Rixheim.

1719.

N° 1966. La pose correspond exactement à la proposition que apparaît dans l’album du représentant de l’entreprise (coll° MPP).

1720.

Il est étonnant de retrouver autant de ces bordures et frises en pays germaniques, alors même qu’en 1824, Josef Hegemann, marchand de papier peint de Münster (Rhénanie-Westphalie) décourage le Landgrave de Hesse Rothenburg d’acheter des frises en draperie qui, selon lui, ne sont plus à la mode… Cf. Crawford 1987, p. 182.

1721.

Praz 1990, p. 268 et 270 (noir & blanc), Olligs 1970, tome 1, ill. 271-275 (couleurs).

1722.

Gere 1992, n° 16.

1723.

Sans doute une production de Spörlin & Rahn à Vienne.

1724.

Rome 1987, n° 7.

1725.

Décédée en 1839. Le duc d’Angoulême ne s’y installera avec les siens qu’en 1841.

1726.

Logvinskaïa 1978, p. 33.

1727.

Lynn 1980, p. 258-260.

1728.

Cf ventes de Jean Zuber & Cie.

1729.

Rome 1987, n° 7a.

1730.

Cf. par exemple sa chambre à coucher dans sa maison de campagne, The Deepdene (Surrey) en 1818, Banham 1991, p. 51.