Le dessus-de-porte, présent dans les manufactures de papier peint dès le XVIIIe siècle, poursuit sa carrière jusqu’au milieu du XIXe siècle avant de disparaître. Centré sur la fleur et le motif d’ornement décoratif au XVIIIe siècle, il continue dans ce sens, mais prend progressivement une forme nouvelle. Nos sources restent les mêmes que précédemment : inventaires, documents en place, documents conservés1749 qui nous permettent de nous centrer sur la production de Rixheim, qui d’après ce qui est conservé dans les collections publiques, ne diffère pas de celle des autres manufactures (ill° 45e et 33. 3). Nous possédons enfin un ensemble de courriers de Deltil concernant la création de dessus-de-porte.
Ainsi, le 12 janvier 1829, Deltil écrit à la manufacture :
‘Je suis au moment de m’occuper des sujets camées1750 dont nous nous sommes entretenus à votre dernier voyage. Je vous envoie la composition du sujet principal du Guillaume Tell quant à l’autre nous avons décidé que je l’exécuterais d’après le beau tableau de Steuben représentant le serment des trois Suisses sauf à y faire les changemens que je croirai convenables afin de l’approprier au genre et au goût auquel nous le destinons 1751. Relativement aux autres sujets je n’ai rien voulu commencer sans savoir si vous étiez dans les mêmes dispositions que le jour où nous en avons parlé en présence de Mr Drouet1752 et où nous avons décidé que je vous ferais deux sujets de fantaisie que vous pourriez donner dans le prix de deux francs ou environ. Je compte choisir deux épisodes de chasses gais et qui conviennent bien au genre et où je n'emploierai guère que la moitié des teintes nécessaires aux autres camées. ’Les autres courriers présentent le même contenu, au sujet choisi près ; le processus de conception se rapproche de celui du panoramique : choix d’un sujet entre la manufacture et le dessinateur en fonction d’une source et de ce que l’on espère voir réussir ; les étapes suivantes, mise sur bois, gravure, impression ne diffèrent pas non plus.
De 1802 à 1863, Jean Zuber & Cie met sur le marché cent trente dessus-de-porte, soit guère plus que de 1790 à 1802 (121 ). Mais en fait, la création s’arrête pratiquement en 1838 : cinq dessus-de-porte en 1847, cinq en 1849, dont deux vases reprenant des éléments de l’Eldorado, puis en 1863 trois dessus-de-porte qui complètent la collection de « tableaux ». Cela aboutit à une moyenne d’un peu moins de trois et demi par an avant 1838. Une analyse plus fine montre une avance irrégulière : la décennie 1810-20 se révèle pauvre alors que les deux suivantes, jusqu’en 1838, dépassent toutes deux la trentaine. L’arrêt brusque de 1838 n’est pas dû au hasard : en 1837 est apparue la chromolithographie, mise au point par le Mulhousien Godefroy Engelmann et dans ces conditions, le dessus-de-porte imprimé à la planche ne se justifie pratiquement plus ; les exceptions sont à mettre en rapport avec d’autres productions1753.
Car une première différence se fait sentir avec le siècle précédent : les dessus-de-porte complètent d’autres éléments décoratifs ou en utilisent des éléments. Comme nous l’avons vu précédemment, la création d’un panoramique est l’occasion de créer des dessus-de-porte en suite : avec les Combats des Grecs ou les Vues d’Amérique, par exemple. Plus subtilement, des éléments de décor sont utilisés en dessus-de-porte : ainsi, les quatre panneaux à motif de chasse1754 du Décor Louis XV, créé à Rixheim en 1838, sont aussi proposés en « camées » et l’un d’eux est même utilisé en devant-de-cheminée dans le salon de la maison du Président américain Van Buren à Kinderhook (New-York)1755. Les deux vases Médicis remplis de fleurs de la partie européenne de l’Eldorado sont de même appelés à une longue carrière indépendamment de la balustrade qui les porte1756. Et en 1827, la manufacture a l’idée de créer des « paysages pour servir de carcasse aux figures de l’Italie » : elle réutilise deux scènes particulièrement bien venues des Vues de l’Italie, une diseuse de bonne aventure au lé 9 et un théâtre de marionnettes au lé 15 et les encadre d’un paysage adéquat1757 ; il en existe deux versions : l’une en dessus-de-porte et l’autre « rehaussée » qui tient du tableau1758. Il est clair que la démarche a pour propos d’économiser les frais de gravure : on s’étonne même qu’elle n’ait pas davantage été utilisée.
Sur les 130 dessus-de-porte repérés, nous connaissons le sujet de 97 d’entre eux. Les fleurs continuent à représenter un tiers, sous toutes les formes : pots, vases, corbeilles, couronnes… Le paysage, toujours présent, s’est transformé : le paysage en tant que tel – et l’on songe en particulier aux paysages à la Vernet qui ont fait les beaux jours de la fin du XVIIIe siècle – a disparu : il se combine à toutes sortes de scènes, tantôt exotiques (l’Écosse, l’Amérique du Nord, la Suisse, la Grèce…), tantôt plus traditionnelles, sous forme de chasse en particulier pour 16 d’entre eux. Mais désormais dominent sous toutes les formes les scènes de genre, simple transcription de gravures ou de tableaux : des jeux d’enfants, des leçons de lecture ou de danse, des enfants avec des chats ou des chiens, une partie de traîneau, des scènes de bain… Les scènes militaires sont aussi présentes, non pas sous la forme de combat, mais là aussi sous l’angle de la scène de genre : « le grenadier après la bataille» et « le chien du régiment 1759 », « le soldat laboureur » et « le capitaine ne dînera pas1760 » : pas d’héroïsme grandiloquent mais de l’anecdote à résonance sentimentale. La littérature n’apparaît qu’à travers quelques fables dans le cadre du décor du même nom en 1810-11 : seule une « navigation d’Atala1761 » sauve la mise. En 1824 apparaît une Sainte Vierge1762 « augmentée des étoiles en or fin » mais la veine n’est pas exploitée.
Finalement, c’est l’anecdote qui domine : en cela, la production diffère profondément de celle du siècle précédent, en rapport avec un public sans doute plus large, moins élitiste qu’auparavant. Les prix varient d’un franc pour une grisaille à 3,50 francs au maximum, le plus souvent plus ou moins 2 francs. Seuls les « sujets en hauteur » (des dessus-de-porte « rehaussés ») arrivent à 5 francs. Tout cela fait des prix abordables, ce qui explique le grand nombre de ces dessus-de-porte parvenus jusqu’à nous : le prix-courant de la manufacture en 18501763 donne des prix qui varient entre 1 franc pour les camaïeux et 2 – 2,50 francs pour les exemplaires en couleurs.
Quand on les retrouve, au hasard des brocantes, ils sont généralement montés sur châssis. Si nombre d’entre eux sont utilisés en dessus-de-porte, beaucoup plus encore ont servi de devant-de-cheminée : auquel cas, on les retrouve souvent recouverts d’un papier à motif répétitif, placé tardivement quand le sujet est passé de mode. Aux États-Unis, les dessus-de-porte n’existent pas et ce sont comme chimney-boards qu’ils ont connu un grand succès : on les retrouve par exemple présentés montés dans deux vitrines de la boutique de John Ward à Philadelphie en 1847, une scène de genre et un vase de fleurs1764. Il ne fait pas de doute qu’un certain nombre de dessus-de-porte ont aussi été utilisés comme des gravures et encadrés : il arrive qu’on en retrouve sous cette forme. L’essor de la lithographie, en couleurs en particulier, n’a pu que faire disparaître cet usage. Mais celle-ci dans un premier temps a réussi à se combiner au papier peint : une lithographie en couleurs est collée sur un fond uni et un cadre est imprimé à la planche tout autour1765.
Le dernier exemple de dessus-de-porte imprimé à Rixheim marque clairement la fin d’une époque : pour accompagner sa collection de tableaux à sujet suisse, la manufacture demande en 1860 à Eberle de réaliser des dessus-de-porte coordonnés : le berger et les chèvres. Le dessus-de-porte de papier peint change de registre et retourne à ses origines, mais il perd par là même la spécificité qui avait été la sienne depuis la fin du siècle précédent.
Petit tableau, le dessus-de-porte ne répand plus dans les intérieurs une forme d’art, comme c’était souvent le cas au siècle précédent. Il se rapproche désormais davantage par ses thèmes de l’imagerie, souvent inspirée d’œuvres populaires, plus ou moins adaptées, de façon à plaire à un large public, celui qui est désormais celui du papier peint. Un dernier exemple montre clairement cette évolution. Le peintre écossais Sir David Wilkie (1783-1841) peint un tableau actuellement conservé aux Galeries nationales d’Édimbourg1766 sur le thème assez sévère de la Lettre d’introduction : un jeune homme présente à un vieillard austère une lettre ; transposée en dessus-de-porte, la scène est profondément transformée ; sur la partie gauche, un ajout a été fait, ce qui permet d’introduire une donnée sentimentale : une jeune fille entrouvre la porte pour suivre la scène, et la lettre d’introduction se métamorphose en une demande en mariage1767…
Nous ne reprendrons pas ici les développements concernant les dessus-de-porte au XVIIIe siècle, dans la mesure où les mêmes éléments restent valables au siècle suivant.
Le terme camée est couramment utilisé au XIXe siècle pour désigner ce produit.
C’est nous qui soulignons.
Voyageur de la manufacture.
P. Mabrun constate dans l’article « Papiers pour tentures » du Dictionnaire de commerce de 1839 : « la lithographie a beaucoup diminué la vente (des devants de cheminée et des dessus-de-porte ».
N° 3292-98.
Doc° MPP.
N° 4228-30.
N° 2345-6, 1827.
Une de cette dernière, conservée dans une collection privée belge, a été présentée à l’exposition Murmures des murs à Bruxelles en 199
N° 2082 et 2138, 1824.
N° 2205, 1824 et 2219, 1825.
N° 2145, 1824.
N° 2137.
Reproduit dans Jacqué 1984, p. 59.
Lynn 1980, p. 230.
Quelques exemples conservés dans les collections publiques, mais aucun reproduit.
Catalogue des Galeries nationales d’Édimbourg, 1989, p. 88.
Dessus-de-porte vers 1840, conservé au MPP, 986 PP 20-1. Le dessus-de-porte s’inspire d’une gravure de Jazet qui avait déjà influencé une toile imprimée (D’Allemagne , p. 732).