3.4. Les techniques de fabrication dans la seconde moitié du XIXe siècle : tradition et modernité

‘La beauté du résultat est telle que la matière première, absolument cachée aux yeux, devient une chose indifférente. Dès qu’on peut avoir le parfait aspect de la soie, du satin, du velours, de la laine tissée, du cuir repoussé, de la toile peinte, dès que la sensation que procurent ces belles productions de l’industrie n’est troublée sur aucun point, n’est gâtée par aucune appréhension, par aucun scrupule du regard, il importe peu que la substance soit vraie, puisque la contrefaçon n’a pas été imaginée, cette fois, dans l’intention de rançonner l’acheteur, mais, au contraire, afin de multiplier ses plaisirs en ménageant ses ressources. Et que de peine, que de soins pour en venir là ! Que de manipulations successives ! Que de précautions délicates et par combien de mains, par combien de filières a dû passer un rouleau de papier peint, avant d’être collé ou tendu sur nos murailles.’

C’est par ces mots que Charles Blanc1895, un des rares critiques du siècle favorables au papier peint, introduit en 1881 son chapitre consacré aux techniques de fabrication du papier peint dans sa Grammaire des arts décoratifs. Il ne fait que s’inscrire dans une approche imitative du papier peint, la principale des motivations qui pousse les manufacturiers de la seconde moitié du siècle à améliorer leurs techniques, en particulier dans la production de « l’article fin ». Mais on n’aurait garde d’oublier que s’y ajoute, indépendamment de l’esthétique, une seconde motivation majeure : l’impératif économique, produire davantage à moindre prix, de façon à toucher une clientèle élargie, ce que le même Charles Blanc1896 constate et approuve :

‘Ainsi, grâce à des mécanismes auxquels l’homme semble avoir communiqué quelque chose de son intelligence et de sa sensibilité, l’art peut s’introduire dans les intérieurs les plus modestes ; il peut intéresser le plus pauvre à sa demeure en la décorant avec élégance et même avec une apparence de richesse. Et que faut-il de plus que l’apparence quand il s’agit uniquement du bonheur des yeux ?’

Les manufacturiers de la première moitié du XIXe siècle ont mis au point la mécanisation des procédés de fabrication du papier peint. Ceux de la seconde moitié les portent à leur point de perfection. Mais, alors que les techniques traditionnelles se maintenaient, ils ont rivalisé d’ingéniosité pour découvrir de nouvelles formules permettant de fabriquer des papiers peints toujours plus élaborés, en particulier du point de vue de l’imitation des matériaux qu’ils étaient susceptibles de remplacer. La lecture des brevets est, de ce point de vue, révélatrice1897 : on a tout imaginé, au-delà de l’irréel !

A lire les bibliographies, on peut avoir le sentiment que les publications techniques sont nettement plus abondantes qu’auparavant : pour la France, on constate, outre les rééditions de Le Normand1898, les divers articles des ouvrages de vulgarisation technique : Kaeppelin1899, Turgan1900, Lami1901 ; mais cette abondance est trompeuse dans la mesure où elle cache des répétitions plus ou moins bienvenues. Dans l’espace germanique, mais les ouvrages ont des sources internationales, les travaux de Schmidt1902 et surtout d’Exner1903 sont irremplaçables : en particulier dans le domaine de la chimie des colorants, alors en pleine révolution. En revanche, étrangement, le monde anglo-saxon, en pleine révolution esthétique, n’a rien produit du point de vue technique, sinon des objurgations à utiliser les techniques traditionnelles1904. Du point de vue iconographique, toute la chaîne de fabrication est reproduite dans un ouvrage tardif qui reprend l’essentiel de l’acquis du siècle précédent, la monographie de la manufacture Dumas en 19281905.

Notes
1895.

Blanc 1881, p. 70.

1896.

Blanc 1881, p. 75-76.

1897.

Cf. Nouvel-Kammerer 1991.

1898.

Déjà utilisées auparavant : Le Normand 1822, 1829, 1832 et 1856.

1899.

Kaeppelin 1867

1900.

Turgan 1864-1880.

1901.

Lami 1884-1887.

1902.

Schmidt 1856.

1903.

Exner 1869.

1904.

Voir par exemple les textes tardifs de Walter Crane et Maurice P. Verneuil, Jacqué-Bieri 1997, p. 57-64.

1905.

Clouzot 1928.