3.4.2. La révolution des colorants de synthèse

On se souvient que, dans son principe, la couleur utilisée par les manufacturiers demeure la même avec son mélange de trois composants : le liant, l’épaississant et le pigment. La mécanisation entraînant une dépose rapide de la couleur sans séchage entre chaque couche impose de nouveaux liants pour remplacer la colle de peau. La production industrielle pousse les Anglais et les Américains à privilégier désormais les colles d’amidon, plus lourdes, moins efficaces, mais moins chères et plus simples à utiliser1909. De même, pour éviter le mélange des couleurs entre elles, les Français ont privilégié la gélatine, plus chère mais plus efficace que la gomme arabique1910 ; elle a aussi le mérite de donner des couleurs plus intenses et plus résistantes à la pose. De même, l’amidon de blé ou de pomme de terre s’impose pour l’impression mécanique, à cause de sa souplesse : il devient la règle dans la seconde moitié du XIXe siècle au regard des différents ouvrages techniques1911.

Dans le domaine des colorants, les manufacturiers connaissent à partir de 1856 une véritable révolution grâce aux possibilités offertes désormais par l’aniline. En 1856, Perkins découvre les vertus colorantes de l’aniline (alors résultat de la distillation des goudrons du charbon) et met au point la fuchsine, un pigment violet. Quelques années plus tard, la gamme est devenue immense puisqu’Exner cite, provenant de différents fabricants, non seulement des violets mais des rouges, des bleus, des verts, des jaunes, des bruns, des gris, des noirs, des olive et des orange !1912A cette date, les infinies nuances des roses trémières de la Grande Galerie Louis XIV des frères Hoock en 1867 (ill° 42. 7), ne peuvent s’expliquer que par ces possibilités nouvelles1913. A Rixheim, la première mention de couleurs d’aniline apparaît en 1862, à propos de tontisse teinte en « violet d’aniline ». Dans les années suivantes, les couleurs d’aniline apparaissent sous forme de laques1914, mais les colorants traditionnels sont encore loin de disparaître. Quelques années plus tard, en 1882, Seemann1915 liste sans fin les nuances des couleurs à l’aniline proposées par l’industrie chimique. Figuier constate à leur propos :

‘Depuis quelques années, on emploie beaucoup les couleurs d’aniline, qui donnent de si beaux bleus, les roses et rouges Magenta et Solférino, des violets, des verts et des jaunes magnifiques. Le peu de résistance de quelques unes de ces couleurs, qui ne les rend pas toujours propres à la coloration des étoffes qui doivent être lavées, n’est pas un obstacle dans la fabrication du papier peint, qui n’a pas à subir les variations de la température extérieure, ni les ardeurs du soleil1916.’

Cette révolution se complète par un abaissement des prix : ces colorants sont peu coûteux, plus que les colorants terreux, mais bien moins chers que les colorants minéraux. La fuchsine passe par exemple de 1000 francs le kg en 1856 à 8,15 francs en 1899…1917

Les couleurs d’aniline, pour le meilleur comme pour le pire, transforment le métier par leur infinie variété. Alors que le dessinateur et le manufacturier du XVIIIe siècle se heurtaient à de fortes contraintes dans ce domaine, les poussant à des choix rigoureux, après 1856, ils se trouvent devant d’infinies possibilités et cette absence de contraintes, si elle facilite leur travail, est loin d’aboutir, le plus souvent, à des réussites aussi évidentes que celles des décennies précédentes.

Notes
1909.

Figuier, 1878, p. 326. En 1869, déjà, Exner constate que la colle animale reste la règle chez les Français et les Allemands, alors que les Anglais préfèrent l’amidon (p. 225-226).

1910.

Figuier, 1878, p. 326, Zuber 1897, p. 11.

1911.

Exner, par exemple, ne mentionne pas la craie, sauf comme colorant.

1912.

Exner 1869, p. 125-131.

1913.

Jacqué 1991, couverture.

1914.

MPP Z 19.

1915.

Seemann 1882, p. 188-196.

1916.

Figuier 1878, p. 326.

1917.

Histoire documentaire…1902, II p. 595.