3.4.4. Le maintien de l’impression à la planche

Alors même qu’elle est concurrencée par l’impression mécanique, médiocre, l’impression manuelle résiste, devient de plus en plus précise, de plus en plus fine, presque sèche dans les meilleures productions du Second Empire, par exemple, tout en continuant à utiliser les tables traditionnelles.

En revanche, en 1860, une gravure américaine1924 démontre que l’impression à la planche continue à évoluer, un nouveau système de levier y apparaît : l’imprimeur appuie sur la planche avec un levier vertical doté d’un contrepoids et manié à l’aide d’une pédale, ce qui laisse libres les mains : ce système est décrit dans les manufactures new-yorkaises dès 1844 (ill° 13. 3)1925. Par ailleurs, les vues de la fin du XIXe siècle des ateliers de Rixheim1926 nous montrent des tables où le levier est désormais fixé au bâti et que l’on peut faire glisser le long d’axes horizontaux métalliques1927, ce qui rend bien plus précise l’impression (ill° 12. 4). Ce modèle est décrit par Exner en 1869 comme très récent ; d’après lui, il permet une régulation rationnelle de l’impression et le remplacement du tireur qui saute sur le levier par une simple pression de la main de l’imprimeur, ce qui représente une économie de main d’œuvre1928. En revanche, en Angleterre, il semble qu’on ait utilisé un système dans lequel la planche n’est pas portée par l’imprimeur, mais est fixée au plafond1929.

Les Français ont été les seuls à imprimer dans la seconde moitié du XIXe siècle des panneaux de papier peint d’un seul tenant de grandes dimensions, formés d’une ou de deux feuilles de papier : on peut citer les fabrications de Mabrun à Paris en 18511930, qui produit des panneaux pédagogiques et des tableaux religieux qui atteignent 2,30 m sur 1,95 m, les créations de Délicourt et Jules Desfossé pour l’Exposition de Paris de 1855, celles de Desfossé et Zuber pour l’exposition de 18621931, les panneaux de Bezault et Hoock frères et le plafond l’Aurore de Balin pour l’exposition de 1867. Si les produits de Mabrun, assez simples, sont à bas prix (15-20 francs), les autres sont des productions de prestige, certes destinées à la vente, mais d’abord conçues pour porter la réputation des maisons qui les ont créées aux grandes Expositions universelles ; aussi le coût a-t-il moins d’importance. La dimension maximale atteinte dans la plus petite dimension semble être 2,60 m avec la Jeunesse de Délicourt en 1855 (ill° 42. 3). Or on imprimait jusqu’alors au maximum sur des rouleaux de 25 pouces (0,676 m), à l’exception de quelques dessus-de-porte un peu plus larges. Mais, sans le moindre doute, l’impression de papiers de cette dimension a dû poser des problèmes particuliers tant pour l’impression que pour le séchage après chaque couleur. Cependant, il est curieux de constater qu’aucun traité technique n’y fasse allusion, pas même les divers traités allemands contemporains ; les jurys n’insistent pas non plus sur cet aspect des choses, même s’ils laissent entendre qu’il s’agit de prouesse, à leurs yeux davantage sur le plan esthétique que sur le plan technique. Ivan Zuber, dans les minutes de courriers qu’il nous a laissées lors de l’exposition de Londres en 1863 souligne qu’

‘Il y a eu bien des difficultés de fabrication à vaincre pour aborder des formats allant jusqu’à 6 m2 de surface, mais nous avons réussi au-delà de notre attente et obtenons maintenant avec la plus gr(ande) facilité et tr.(ès) économiquement des effets de paysage certainement bien supérieurs à tout ce qui a été produit jusqu’ici. ’

On aimerait en savoir davantage sur ces « difficultés » : une presse à levier n’est pas imaginable, tout système supposant un enroulement exclut un séchage vertical. Si l’on regarde du côté de l’impression textile, l’usage de tables destinés à imprimer en 1,40 voire 1,60 de large est courant, mais l’impression textile ne fait appel qu’au maillet. Or la précision de l’impression, sa netteté, la minceur des couleurs que l’on peut en particulier observer dans le panneau central de la Galerie Louis XIV de Hoock frères, ill° 42. 7 (1867) ne permettent pas d’imaginer l’usage de cette technique ; quant au nombre de couleurs (et donc de séchage entre chacune d’entre elles), quand on pense à la difficulté à manipuler un tel papier1932, il pose aussi problème. La question reste entière et fait sans doute partie des secrets de fabrique bien gardés, quoique utilisés par plusieurs entreprises… Nous voyons bien apparaître dans l’inventaire de Rixheim en 1862 « 2 Gr(andes). tables d’impression p. tableau (à) 200 (francs)1933 », mais malheureusement sans aucune précision.

Ces impressions sur de grandes surfaces montrent que la planche, en concurrence avec l’impression mécanique, est de plus en plus utilisée pour des impressions sophistiquées que la machine ne permet pas. Cependant, de plus en plus coûteuse, elle ne survit pas à la Première guerre mondiale : désormais, la machine règne en maître, la planche ne se maintenant que pour des réimpressions comme celle des panoramiques et les créations faisant appel à ce moyen d’impression deviennent dès lors, comme nous le verrons, rarissimes.

Notes
1924.

Tomlinson 1860, reproduite par Lynn 1980, p. 48. Nylander 1986 décrit ces presses comme les plus courantes en Amérique.

1925.

On retrouve ce système modernisé sur une photo non documentée, mais des années 1950, dans Jacqué 1992a, p. 26.

1926.

Histoire documentaire 1902, p. 561.

1927.

Voir aussi Jacqué 1992a, p. 26 ; ce procédé reste actuellement utilisé chez Zuber pour l’impression des panoramiques ; les tables sont classées à l’inventaire des Monuments historiques. Une table de ce type est présentée au MPP de Rixheim.

1928.

Exner 1869, p. 264-5. Remarquons qu’à cette date, il devient plus difficile de faire travailler de jeunes enfants, utilisés jusqu’alors comme tireurs.

1929.

De tels systèmes sont encore utilisés par Sanderson en 1969, catalogue Sanderson, Londres 1985.

1930.

Bulletin de la Société d’encouragement à l’industrie nationale, juin 1852, p. 381 et Schmidt 1857, p. 266-67.

1931.

Pour ces tableaux, voir infra.

1932.

Ce n’est pas un hasard si un des exemplaires du MPP est complètement déchiré.

1933.

MPP Z 18.