3.4.6. La tontisse : le perfectionnement d’une technique restée traditionnelle

Le succès de la tontisse (ill° 13) se maintient plus que jamais au cours de la seconde moitié du siècle. Daudet, décrivant une manufacture de papiers peints imaginaire du Marais sous le Second Empire, y décrit un épisode vécu :

‘Etouffées par l’air des ateliers, les paupières gonflées, les cheveux ternis de la poussière des papiers-velours, une poudre fine qui fait tousser, (les ouvrières) se hâtent…1941

Le principe de fabrication demeure le même, avec les conséquences dramatiques pour les ouvrières : le couvercle fermant la caisse n’a aucun caractère systématique avant la fin du XIXe siècle, d’après l’iconographie conservée.

Pourtant, Exner rapporte une étrange modification qu’il dit avoir observée dans « quelques fabriques » : le papier, au lieu d’être placé le motif imprimé à «l’encaustique 1942» (en mordant), au-dessus, est retourné ; le fond de la caisse est rempli de tontisse et au contact de celle-ci, le mordant la fixe sur la surface ; Exner y voit la possibilité d’économiser la manutention du couvercle mais il constate que le maniement du rouleau enduit de mordant est difficile1943.

Tout ceci ne dépasse pas le stade de la simple amélioration, si tant est que le procédé ait été répandu. En revanche, l’époque se passionne pour des raffinements de plus en plus poussés de la fabrication, de façon à obtenir des effets de plus en plus subtils qui accentuent la richesse, la somptuosité de ces imitations de velours, un matériau très prisé pour son luxe dans les intérieurs de l’époque. Pour ce faire, 18 brevets sont déposés en France pour la seule période 1844-1862, sans tenir compte des brevets dont le titre ne donne pas de précisions : soit un peu plus du 1/5 des brevets consacrés au papier peint pendant cette période.

Les recherches portent d’abord sur le matériau utilisé pour donner l’aspect du velours. La laine moulue et teinte traditionnelle est remplacée par les matériaux les plus divers, sinon les plus étranges, au vu des brevets : des peaux d’animaux, de la corne, des os réduits en poudre (brevet Chatain, n° 10138, 1854), du grès pulvérisé, des sels métalliques (brevet Guichard n° 10166, 1854), différentes fibres comme le chanvre (brevet Klotz n° 49983, 1861), mais aussi du bois, de la paille voire des plumes d’oiseaux broyées : difficile de dire si ces procédés ont dépassé le stade de l’expérimentation. En revanche, l’emploi du poil de chèvre pour des papiers peints dits « cheviote », breveté en 1877, connut un début d’exploitation chez Follot et Desfossé : mais Fauconnier précise que ce genre ne dura pas parce que ce poil long ne tenait pas bien sur le papier1944.

Le siècle précédent connaissait déjà le « repiquage » qui consiste à réimprimer à la détrempe sur la tontisse pour y dessiner des accents particuliers. L’usage fréquent de la tontisse dans les bordures riches entraîne un large emploi du repiquage : il permet par exemple de dessiner les plis des richissimes draperies des années 1820, de relever de l’une ou l’autre touche des fleurs ou des feuillages imprimés en tontisse, de donner du relief à des passementeries. Le jeu des couleurs, le travail sur la matité de ces impressions sur la légère brillance de la tontisse permet de jouer de l’effet de relief souvent recherché. Et il évite les tontisses superposées, très coûteuses en main d’œuvre, vu la complexité des manipulations : celles-ci ne se retrouvent guère que dans les produits de très grand luxe, comme ceux de Paul Balin.

Le mélange du velours et de l’or appartient au vocabulaire de base du luxe : Dufour, dans ses draperies, se contente de nuances soutenues d’ocre qui, à distance, donnent l’illusion de l’or. Par la suite, on va dorer partiellement la surface (brevet Seegers & Josse n° 12865, 18551945) ; c’est surtout Paul Balin qui, à partir de 1866, en combinant l’apport d’or ou de dorure en feuille à l’usage du balancier, utilise ce procédé. En 1860, Josse brevète la dorure à la poudre, appliquée elle aussi au balancier, et rencontre un grand succès1946.

Le balancier permet aussi d’écraser partiellement la surface de la tontisse :à ces fins, on use soit de plaques de métal gravées en relief, soit de cylindres gravés de façon semblable : la frappe permet d’obtenir un creux à la surface du velours et donc des zones qui jouent diversement avec la lumière (brevet Messener n° 13611, 1855).

Le procédé le plus spectaculaire est celui du double brossage, breveté à plusieurs reprises dans les années 1850-60 (le brevet le plus explicite est celui de Kob & Pick n° 19048, 1857 et des mêmes, n° 50066, 1861). Avant séchage du mordant, la tontisse est brossée dans un sens, puis en utilisant un pochoir en papier huilé, dans un autre sens : le jeu de la lumière sur les poils permet à peu de frais de créer un motif d’un rare raffinement.

Notes
1941.

Daudet 1874, éd.° 1911, p. 82.

1942.

LeNormand 1832 : « en termes d’atelier, ce mordant se nomme encaustique »; le terme est repris tel quel dans les traités allemands.

1943.

Exner 1869, p. 355. Le procédé n’est mentionné nulle part ailleurs.

1944.

Fauconnier 1936, p. 15. Le MPP possède un fragment de papier peint provenant de la collection Louis Marc et imitant un effet de tapis.

1945.

Laboulaye 1879, p. 27.

1946.

Idem, p. 29.