3.4.10. La remise en cause des progrès techniques du XIXe siècle

Les Anglais renouvellent le papier peint sur le plan esthétique dans le cadre du Design Reform Movement né au lendemain de l’Exposition de 1851 : la démarche est tout à la fois théorisée et mise en pratique par les zélateurs des Arts & Crafts à partir des années 1870. William Morris s’impose ici comme la figure la plus flamboyante, dans le papier peint en particulier1986. Or cette esthétique nouvelle s’appuie sur des valeurs morales et professionnelles mettant en valeur l’artisanat et donc, dans le cas du papier peint, l’impression à la planche. Par ailleurs, cette esthétique nouvelle se fonde sur le refus du naturalisme français, en particulier l’imitation, qui a engendré nombre des progrès techniques du siècle.

Maurice Pillart Verneuil résume bien les idées de l’époque quand il écrit au début du XXe siècle :

‘Dans cette industrie comme dans les autres du reste, contentons-nous de faire rendre au procédé le maximum d’effets pratiquement possibles, sans chercher l’imitation de procédés différents1987.’

Et il ajoute :

‘A quoi bon faire des imitations grossières de tapisseries ou d’étoffes n’illusionnant personne, à quoi bon imiter la peinture, les cuirs ou le bois sculpté, comme nous l’avons vu souvent ?1988

Ce refus de l’imitation passe par les techniques traditionnelles : sans condamner l’impression mécanique qui abaisse les coûts, Verneuil dit sa nostalgie de la planche :

‘Nous regrettons la vieille impression à la planche : car toujours le travail manuel donne une saveur particulière à ses produits : une légère imperfection, une sorte de vibration dans la matière pour ainsi dire, à peine perceptible à l’étude, et qui cependant charme notre œil et notre esprit1989.’

Chez William Morris, ce retour à la planche va au-delà du sentiment : c’est toute sa conception de l’homme que, comme théoricien socialiste, il a élaborée, qu’exprime cette technique1990 ; les valeurs morales de l’artisan vont de pair avec son adresse sur le plan technique Et de fait, la quasi totalité de ses papiers sont imprimés manuellement. Il en est de même pour Otto Eckmann qui fait imprimer tous ses papiers peints à la planche chez Engelhardt à Mannheim1991.

Il faut cependant reconnaître que cette règle est loin d’avoir été appliquée systématiquement, même si l’impression à la planche revient comme un leitmotiv aussi bien chez les théoriciens que chez les meilleurs créateurs de l’époque : ils y ont fait appel, sans même se poser la question d’adapter la machine à leurs besoins ; elle n’est qu’un pis aller, un mal nécessaire, car elle ne peut donner cette impression nette et précise (en dépit des dires de Verneuil), très opaque qu’ils apprécient. Cette impression à la planche se détache sur des fonds très particuliers : reprenant la tradition japonaise des papiers élaborés, les créateurs et les fabricants font appel à des papiers ingrains, des papiers couverts de fines fibres textiles ou transforment la surface du papier foncé en le cylindrant de façon très variée1992, ce qui rend différents les motifs utilisés. Les papiers couverts de fibres donnent un effet très particulier : la couleur, absorbée par la masse du papier, au lieu de rester à sa surface, se fait plus moelleuse ou se présente comme une espèce de jus coloré très subtil qui laisse voir par transparence le fond.

Le mica, resté exceptionnel jusqu’alors, devient d’un usage courant alors que les fonds satinés se font rares : là aussi, au lieu d’une violente opposition entre la brillance du fond et la matité de l’impression, typique de l’esthétique du XIXe siècle, le mica permet une transition subtile, nuancée parce que la surface n’en est pas régulière mais granulée, et joue avec la lumière en la diffusant au lieu de la refléter violemment.

Mais force est de constater que cette remise en cause reste un phénomène minoritaire : les papiers peints de William Morris, par exemple, restent un produit de luxe, inabordable pour l’immense majorité du marché ; ils coûtent de 3 à 16 shillings le rouleau quand un papier sanitary, populaire, arrive à 1 shilling. En réalité, le déclin de l’impression à la planche n’est pas sérieusement remis en cause par ce que nombre d’industriels doivent concevoir comme de simples lubies d’esthètes1993.

On ne peut en dire autant du travail sur les fonds : le cylindrage tend à devenir la règle tout simplement parce qu’un papier cylindré se détend mieux au collage, ce qui en facilite grandement la pose. Le mica, de même, devient d’usage courant, à tous les niveaux de production, au moins autour de 1900.

Notes
1986.

Banham 1994 en donne un excellent résumé que l’on peut compléter par Anscombe 1991 pour remettre les papiers peints dans un contexte plus large. Pour Morris, Hoskins 1996 donne l’état le plus récent de la question. On fuira comme la peste le trop répandu Hapgood 1992, pour qui un artiste n’est autre que quelqu’un dont le nom est plus ou moins connu.

1987.

Verneuil s.d. p. 162.

1988.

Verneuil s.d. p. 164.

1989.

Verneuil s. d p. 155-6.

1990.

On trouvera une anthologie en français des conférences de William Morris dans Morris 1985 avec l’essentiel de ses idées sur les rapports entre l’homme et les arts, en particulier décoratifs.

1991.

Jacqué-Bieri 1997, passim ; Th¨mmler 1997, p. 35-40.

1992.

C’est par exemple le cas d’Eckmann qui joue par ailleurs de cylindrage de sens différents sur le motif et la bordure, ce qui entraîne des effets de lumière contrastés.

1993.

Or, curieusement, qui cherche un papier peint pour décorer un intérieur de la seconde moitié du XIXe siècle ne trouve guère sur le marché que des papiers de William Morris : si bien que, par exemple, au Musée de plein air du Nord de l’Angleterre, à Beamish (Co. Durham), les intérieurs reconstitués ne font guère appel qu’à des réimpressions de William Morris…