3.5.2.4. De petits tableaux décoratifs

Pourtant, indépendamment des tableaux analysés ici, les années 1850-60 voient l’arrivée sur le marché de nombreux autres « tableaux » en papier peint, souvent difficiles à attribuer. Il s’agit d’œuvres de taille beaucoup plus réduite, le plus souvent des fleurs, parfois des paysages, des scènes de genre d’un intérêt essentiellement décoratif, mais toujours somptueusement encadrées en trompe-l’oeil : les manufacturiers créent des cadres imitant à la perfection les bois stuqués et dorés d’usage traditionnel. Ces cadres et leur contenu peuvent se vendre indépendamment l’un de l’autre : c’est par exemple le cas de la série de Desfossé de quatre Monuments de Paris de 1857 (L’Obélisque, St Sulpice, Tour St Jacques, Porte St Denis) dont les cadres se retrouvent autour des Saisons du même Desfossé de 1858-9 (ill° 44. 4). Un ensemble mal documenté de paysages exotiques ovales encadrés, peut-être les Quatre heures du jour attribuées à Gillou2081 s’apparentent à la même démarche. Mais les tableaux de ce type peuvent aussi s’intégrer à des décors : par exemple, le Décor Régence de Desfossé & Karth (1866) pour lequel ont été conçus deux motifs « Beaux-arts », deux motifs « Pompadour » et deux motifs « Vues de Suisse »2082 ou, justement, le Décor Tableaux de Jules Riottot Chardon & Pacon à Paris (vers 1860) qui présente des tableaux de fleurs encadrés de trois dimensions différentes2083. A l’occasion apparaît la figure humaine, dans de petites scènes de genre mais aussi sous la forme de personnages allégoriques : ainsi une série de quatre saisons dans un décor du même nom de Desfossé (1858-9) : mais le dessinateur, inconnu, a du mal à donner de la personnalité à ses personnages, plutôt niais : on est très loin de la forte présence de ceux de Couture2084.

Zuber, de son côté, met sur le marché en 1862 une somptueuse couronne de fleurs naturelles2085 dessinée par Guéritte encadrant des médaillons sculptés de l’impératrice Eugénie, de la reine Victoria, de Garibaldi puis, certaines célébrités politiques n’ayant qu’un temps, une transposition de la Vierge à la chaise de Raphaël par l’ornemaniste Wagner…

Peut-on par ailleurs considérer comme tableaux des paysages comme le Vieux pont de Jules Desfossé en 18622086 ou le panneau central de la Galerie Louis XIV des frères Hoock, successeurs de Délicourt, médaille d’or à l’Exposition de 1867 ? Ces paysages correspondent à une évolution du panoramique, désormais mal adapté à un intérieur où l’on souhaite un mur plus structuré ; on va alors vers des paysages de taille plus réduite, plus faciles à placer dans une pièce, comme le constatait déjà Zuber dans sa note de 1862 en mettant sur le marché ses cinq tableaux.

Le paysage central de la Galerie Louis XIV(ill° 42. 7) est imprimé sur une seule feuille de 2,77 m de haut et 1,62 m de large. Il s’inscrit dans un décor exceptionnellement élaboré et, concrètement, dans une ample arcade qui ouvre l’accès à un jardin qui n’a rien de versaillais. Au premier plan, à gauche, le regard est littéralement accroché par la luminosité d’un massif de roses trémières simples, blanches et mauves, et doubles, orange pâle : adroite combinaison de couleurs avec laquelle joue la lumière qui rend translucides les pétales et, surtout, qui accuse le premier plan et donc la profondeur ; les feuilles, qui ignorent encore la rouille2087, s’étalent somptueuses et se marbrent de roux à la manière de celles d’un bégonia rex, alors fort à la mode. Sur la droite, plus bas, en contrepoint, un pied d’howeia forsteriana déploie ses souples palmes exotiques, dominées par l’une d’entre elles, pas encore épanouie. Les roses trémières appartiennent à la flore traditionnelle de nos régions (même si, ici, elles paraissent avoir été améliorées par une horticulture savante), quant à l’howeia, c’est une découverte du second voyage de Cook en 1774 ; son introduction dans les appartements est récente en 1867 d’après les vues d’intérieur. Quoi qu’il en soit, plantes de pleine terre et plantes tropicales en pot se mêlent ici de façon décorative tout en rendant incertaine la limite entre l’intérieur et l’extérieur.

Au second plan, une colonnade ionique arrondie ferme l’espace : souvenir de la Naumachie du parc Monceau restaurée en 1861 ? Elle en diffère cependant par les vases qui la surplombent et par la rupture de la forme arrondie sur la droite. Le traitement se fait ici particulièrement raffiné, dans une savante harmonie de gris et de mauve qui supprime toute sécheresse.

Le tout se détache sur une épaisse masse d’arbres difficiles à identifier, à l’exception d’un peuplier d’Italie. A gauche, un arbre élagué élimine, si besoin était, toute notion de nature sauvage. Dans la partie supérieure, une percée permet d’introduire avec des tonalités plus chaudes des effets de ciel lumineux. Nous sommes ici à l’extérieur, mais la présence d’une plante tropicale, la touffeur du lieu en dépit du peu de variété des plantes, l’espace clos, en l’absence de perspective ouverte sur le paysage et, surtout, la lourde sensualité qui émane de ce panneau, évoquent davantage l’atmosphère d’un jardin d’hiver à la mode du temps.

Ces plantes trop belles pour être vraies, cet espace fermé pour spectateur narcissique, cette atmosphère confinée, où l’on croit sentir une lourde odeur de terre, cette lumière précise de charmille, tellement changeante mais à jamais fixée sous son meilleur jour, créent un jardin d’émotions, très sensuel, brisant le décor classique qui l’enserre ; le plaisir précaire d’un instant se trouve prolongé en bonheur réel, celui du jardin-paradis.

A-t-on le droit de parler d’art ? Les paysages de Zuber en 1862, avaient été créés par des artistes ayant pignon sur rue, au moins pour Eberle., alors que la Galerie Louis XIV est le travail de quelqu’un qui appartient au monde du papier peint où il a fait toute sa carrière, Victor Dumont (1829-1913). Dessinateur de fleurs et d’ornement, il devient un des spécialistes du décor (il dessine le décor qui encadre les tableaux de Zuber en 1862), mais jamais il ne passe la barrière pour présenter une œuvre au Salon. Sa Galerie, ô combien séduisante, reste doublement un travail décoratif, en l’absence de figure humaine tout d’abord, mais aussi par le traitement de son paysage où s’abolit la barrière entre l’intérieur et l’extérieur, loin du naturalisme en vogue dans la peinture de paysage de l’époque. Ce qui le transforme en chef-d’œuvre d’un genre, ici exceptionnellement maîtrisé, mais ne lui permet pas pour autant d’accéder à la catégorie réputée supérieure, en dépit (et à cause) de son charme profond.

Citons pour mémoire le « décor de paysage » relevé par Kaeppelin dans l’exposition de l’Espagnol Ballesteros en 1867 : nous en ignorons tout, sinon cette mention : notons que ce serait le seul notable produit à l’étranger, mais par une entreprise de forte tradition française2088.

Notes
2081.

Quatre sont passés en vente à Drouot par les soins de Me Couteau-Bégarie le 3-4 octobre 2001, n° 278) mais il en existe six autres modèles différents (Xavier Petitcol, communication écrite).

2082.

Tous thèmes dont on voit mal le rapport avec la Régence…

2083.

Jacqué 2000, p. 64 et 79.

2084.

Catalogue le mirage du luxe, Rixheim 1988-89, n° 27.

2085.

N° 5600 ; elle est présentée à l’Exposition de Londres.

2086.

Un paysage en camaïeu en cinq lés (n° 3816-20) ; un exemplaire en est conservé au DTM, un autre au Musée des arts décoratifs de Cologne.

2087.

Elle ne touchera les roses trémières qu’au début des années 1870.

2088.

Kaeppelin 1867, p. 201.