3.5.2.5. 1889 : la fin d’une époque

En 1884, dans l’article Décoration de son Dictionnaire 2089 , E-O Lami condamne sans nuance les tableaux :

‘(…) on devra proscrire impitoyablement toute espèce de reproduction de tableaux, tentative absurde, hasardée quelquefois par des industriels qu’avait enivrés le progrès matériel de leur fabrication.’

Il reflète là l’opinion générale. Et si, en 1889, la firme Gillou & fils présente quand même deux tableaux, ceux-ci relèvent d’une approche nouvelle. Ils sont exposés sous la forme d’un dyptique avec un trophée les séparant sous le titre les Scènes Louis XIII (ill° 42. 8)2090.

Ces deux panneaux imprimés à la planche (une technique que Gillou n’emploie qu’exceptionnellement pour sa production réduite de papiers peints de luxe) témoignent d’une grande qualité de savoir-faire que prouvent l’abondance des couleurs, le souci de la nuance, et de façon générale, le raffinement du rendu. Sur l’un, deux spadassins jouent aux cartes à l’intérieur d’une auberge ; un troisième client vêtu comme un paysan à la façon de Le Nain, observe la scène, tandis que passe une servante au visage sombre ; sur le second, dans un intérieur beaucoup plus raffiné, deux jeunes courtisans habillés de velours, de soie et de dentelle jouent sans doute au trictrac, sous le regard de deux autres personnages. De par leur approche complémentaire opposant deux niveaux sociaux différents, les tableaux ont été conçus comme une paire, ce que le terme de dyptique utilisé par Armand Dayot dans sa présentation pour l’Illustration 2091 confirme. Le décor, le mobilier, les costumes semblent, à travers des références picturales, renvoyer surtout aux Pays-Bas de la première moitié du XVIIe siècle, même si l’on peut y reconnaître quelques emprunts plus tardifs. En revanche, l’iconographie précise échappe : s’agit-il de l’illustration d’une œuvre littéraire ou musicale ou, plus simplement, de deux scènes de genre comme les a aimées l’époque ? Un encadrement ornementé à base de cuirs, de branches et de passementerie finit la scène et, par l’importance donnée chaque fois à un des coins, esquisse une construction d’ensemble.

Nous ignorons tout du dessinateur de ces panneaux : une publication tardive mentionne le nom de Raph. Foire, dont le nom reste inconnu2092. Mais à l’évidence, il s’agit de quelqu’un possédant un sérieux métier ; il a vu les Joueurs de trictrac de Matthieu Le Nain et il en a retenu la composition, mais non les costumes ; il est familier avec la peinture des pays du Nord ; par ailleurs, en feuilletant Le costume historique d’Auguste Racinet2093, il a réalisé un savant pot-pourri de différents costumes du XVIIe siècle ; pour les meubles, il a emprunté à ce que le XIXe siècle a produit dans le style du XVIIe siècle, aux Pays-Bas en particulier2094 ; il maîtrise enfin suffisamment les techniques du papier peint pour savoir rendre les reflets de la soie ou les couleurs d’un visage rubicond à la Frans Hals, comme sans doute il a l’occasion de le faire en dessinant des fleurs très naturalistes pour ce matériau.

D’autre part, la finition du panneau révèle une différence notable avec les tableaux de 1855 et 1867 : on se souvient qu’alors, ils étaient encadrés de bordures dorées imitant la formule traditionnelle des peintures à l’huile, au point de faire illusion. Or, ici, le dessinateur met en place un encadrement de fantaisie intégré à l’œuvre, au point qu’il n’est pas envisageable de l’en séparer. Le tout est à découper et à coller directement sur un fond de papier, et non à être suspendu encadré : l’affirmation décorative est claire, tout illusionnisme par rapport aux Beaux-Arts est abandonné. Notons enfin que le traitement, de la couleur en particulier, n’est pas sans rappeler celui des imitations de tapisserie dont la mode s’affirme alors.

Cependant, Gillou & fils livrent ici avec lui un combat d’arrière-garde : les produits Arts & Crafts envahissent désormais le marché, y compris français, et font reculer une esthétique désormais vieillie. Le jury ne mentionne d’ailleurs même pas l’œuvre, préférant se concentrer sur les productions plus courantes ou, s’il s’agit de panneaux, sur ceux qui sont imprimés à la machine, comme le « grand panneau de verdure et de roses trémières » exposé par Grantil jeune & Cie ou ceux proposés par Petitjean et qui témoignent mieux de la modernité2095.

Notes
2089.

Lami (E-O) Dictionnaire encyclopédique et biographique de l’industrie et des arts industriels, Paris, 1884-1887.

2090.

Un seul exemplaire en est connu jusqu’à présent : il est conservé au MPP, en provenance de la collection Louis Marc de Toulouse. L’une des scènes est imprimée sur une feuille de 1, 48 m de haut sur 1,705 m, l’autre 1,48 sur 1,77. On ne connaît aucun exemplaire du trophée, mais il est reproduit sur une lithographie coloriée de la collection Germain à Lyon. Cf. Jacqué (B.) La fin d’une époque dans le domaine du papier peint : les Scènes Louis XIII, manufacture Gillou & fils, Paris 1889, Revue du Louvre 2000, n° 2, p. 85-88.

2091.

« L’art à l’Exposition, le papier peint », 14 septembre 1889, p. 207.

2092.

Francesco (G. de) La tenture murale, Cahiers Ciba, Bâle, août 1946, n° 4, vol. 1, p. 128.

2093.

Dont la publication s’achevait alors (1875-1888).

2094.

Cf. le catalogue de l’exposition De Lelijke Tijd, Pronststukken van Nederlandse interieur kunst, 1835-1895, Rijksmuseum, Amsterdam, 1995.

2095.

Exposition universelle internationale de 1889 à Paris, rapport du jury international, Groupe III, classes 17 à 29, p. 380-398.