Remarquons tout d’abord que le décor, tout comme le panoramique, est une spécificité française : on peut certes mentionner en Angleterre un décor de Townsend, Parker & C°. présenté à l’Exposition de Londres en 18512122 et en Allemagne, un Décor Louis XVI d’Engelhardt & Karth à Mannheim2123, ce dernier en tous points semblable à la fabrication parisienne, mais ceci reste l’exception. Le savoir-faire français dans ce domaine, en particulier la maîtrise de l’impression à la planche, tardivement conservée à la différence de l’Angleterre, explique cette particularité souvent constatée lors des expositions.
L’histoire de ces décors, par-delà ses temps forts (1840-1880), épouse celle du papier peint. Ainsi, les dessins de Jean-Michel Papillon, destinés à l’Encyclopédie de Diderot & d’Alembert et réalisés vers 1759, montrent l’usage élaboré que l’on peut faire des papiers de tapisserie et des dominos2124. Dix ans plus tôt, le travail de Jean-Baptiste Jackson2125 relève d’une semblable démarche. Dès que le papier peint français s’impose, le concept de décor apparaît, comme nous l’avons vu. Mais il ne s’agit pas encore d’ensembles cohérents et modulaires : les manufacturiers proposent des éléments dits “en feuilles” qu’un poseur combine sans qu’un schéma préétabli ne soit imposé ; au besoin, il est fait appel au pinceau pour compléter ce qui n’a pu être fourni en papier.
Les premiers décors documentés sont le fait de la manufacture Hartmann Risler & Cie à Rixheim qui, avant juin 1797, traite avec le dessinateur parisien Darmancourt pour une “décoration étrusque”2126. A la même date, Hartmann Risler réalise aussi une “décoration à pierre”2127. Le mouvement prend de l’ampleur puisqu’en 1813, Jean Zuber & Cie fait parvenir au grand marchand de Francfort Nothnagel les échantillons des décors suivants :
‘- Décor à arcadesainsi que les décors n°1310, 1335 et 1339, des créations de 18132128. Ces décors, inconnus et non documentés par les courriers, sont sans doute des formules simples d’un type courant au début du siècle : d’un côté du rouleau court un élément vertical, une manière de pilastre, le long du motif ; en bas une bordure, en haut une frise se combinent avec ce montant (ill° 45. 1 & 2). Il s’en est fabriqué d’abondance d’après les nombreux exemples dans les collections, en particulier au Cabinet des Estampes de la Bibliothèque Nationale. On peut en voir en place dans un manoir proche de Dôle (ill° 45. 1)2129 ou dans l’appartement aménagé pour le grand-duc de Toscane à Veitshöchheim près de Würzburg (Hesse), ill° 45. 22130. A la même époque apparaissent aussi bien chez Dufour que Jean Zuber & Cie des encadrements de panoramiques à base de pilastres et de colonnes dont de nombreux exemples sont encore en place (ill° 2131.
A côté de ces formules basiques, il en est de plus élaborées : le Décor à fables de Jean Zuber & Cie de 1809ou la Galerie mythologique de Dufour, composée par Xavier Mader et imprimée pour la première fois en 1814 ; le Manuel du fabricant de papiers peints de Lenormand explique comment la poser “ suivant les faces des appartemens ”2132. Par ailleurs, le Décor Muses & attributs dessiné et imprimé par Mader à Paris en 1825 montre que tous les composants du décor sont désormais là2133. À cette époque, le papier peint restitue, à moindres frais, les ensembles décoratifs réalisés dans différents matériaux, en soie en particulier, sous l’Empire. Mader puis sa veuve continuent sur cette lancée avec une Tenture de tribunaux, mairies et justice de paix (1827)sans doute comparable au décor élaboré par Jacquemart pour le sacre de Charles X en 18252134, si méprisé par Chateaubriand2135, puis un Décor franc-maçon. Quant au Décor Pompéi (1834), il s’inspire précisément d’un meuble en tapisserie de Beauvais tissé à l’intention du duc d’Orléans la même année sur un carton de Jean-Marie Chenavard2136.
A partir des années 1840, les décors se multiplient chez les grands fabricants, attestés par les Rapports d’exposition et surtout par l’édition de lithographies les reproduisant à l’intention des revendeurs et sans doute de leurs clients. Des dizaines voient alors le jour : une cinquantaine chez Délicourt & Cie puis ses successeurs ainsi que chez Jules Desfossé puis Desfossé & Karth qui sont les plus prolifiques ; il est à remarquer qu’ils héritent du savoir-faire de Mader et du fonds de Dufour. Quant à l’autre grand, Jean Zuber & Cie, avec une trentaine de décors, il semble s’être moins impliqué dans cette production : mais, il faut ajouter à ce nombre les encadrements de panoramiques, très proches des décors et utilisés à l’occasion indépendamment des panoramiques eux-mêmes.
Ces grandes années du décor correspondent au déclin puis à la disparition du panoramique. Ce n’est d’aucune façon un hasard et il importe de le mettre en rapport avec l’évolution de l’intérieur. L’intérieur néoclassique courant donnait une impression d’espace que restituent assez bien les vues d’intérieur. Les meubles y sont en général clairsemés, même dans des maisons cossues, les murs, traités souvent dans des couleurs froides, y sont fréquemment nus : si on en souhaite une caricature, il n’est qu’à regarder les intérieurs du Palais ducal de Parme, dessinés par Giuseppe Naudin dans les années 1820 2137 : ce n’est pas ce que l’on attend de la résidence de l’ex-impératrice Marie-Louise et pourtant la sobriété la plus stricte y est de mise Si l’on compare ces intérieurs à ceux des années 1860-70, dans un vaste éventail social, les murs, d’apparence plus chaude, se couvrent de tableaux, de bibelots et les meubles envahissent l’espace (ill° 45. 6)2138 : si dans le premier cas, le panoramique s’intègre sans difficulté et même avec beaucoup de bonheur, il devient impensable dans le second ; le décor impose alors une structure parfaitement adaptée avec ce qu’il faut de richesse – ou au moins de son illusion2139.
Pourtant, la production se ralentit à la fin des années 1870 pour progressivement disparaître par la suite : quelques manufactures créent encore des pièces de prestige pour les grandes Expositions, mais sans lendemain. L’on verra que l’Art nouveau donne lieu à tout un travail de reconstruction du mur en jouant sur les “dados” (lambris) et de larges frises2140 mais, à de rares exceptions, il revient à la conception de la fin du XVIIIe siècle : la combinaison d’éléments conçus certes dans un même esprit mais sans cohérence de détail. Il en est de même avec l’Art Déco, à la vue par exemple des travaux de découpe suggérés par les albums d’échantillons de Dumas dans les années 19202141.
En fait, le décor épouse l’évolution de l’impression à la planche dont il est indissociable, malgré quelques rares tentatives médiocres au rouleau à la fin du XIXe siècle2142.
Reproduit dans Hoskins 1994, p. 140.
Jacqué 2001, n° 68.
La reproduction la plus abordable figure dans l’ouvrage de Teynac 1981, p. 28-35.
Cf. Hoskins 1994, p. 38.
MPP Z 97. Voir plus haut son analyse.
MPP Z 8.
Archives Zuber, Z 102, Musée du papier peint, Rixheim.
Hoskins 1994, p. 67.
Tunk, Roda, 2001, p. 54-57.
Voir le chapitre concernant la pose des panoramiques.
Le Normand 1829, p. 247-257 et pl. 16.
Catalogue Paris, 1967, p. 57.
CatalogueParis, 1967, p. 52.
Chateaubriand Mémoires d’outre-tombe, Livre XXVIII, chapitre V.
Coural (Jean) et Gastinel-Coural (Chantal) « La manufacture de Beauvais sous la Monarchie de Juillet », Bulletin de liaison du CIETA, 1984.
Ces vues d’intérieur sont conservées au Musée Glauco-Lombardi mais n’ont pas été publiées à de rares exceptions près, voir Tassi 1969, p. 745 et Grüber 1992-94, vol. III, p. 47.
Un bon choix de vues d’intérieur de cette époque figure dans Pavoni (Rosanna) 1992.
Pour reprendre une expression de Charles blanc, Blanc 1881, p. 89.
Jacqué (Bernard) « Ordre et bien-être, les frises de papier peint », Bieri (Helen) & Jacqué (Bernard) dir., Papiers peints Art nouveau, Milan 1997, p. 51-57.
Coll° MPP. Voir catalogue Comme un jardin, Rixheim 2002, n° 66, p. 163.
Le Décor Alhambra d’Isidore Leroy en 1867 combine rouleau et planche, les créations plus tardives tendent à éliminer la planche.