3.6.7. La survie des décors

Nous avons vu les dernières créations de décors dans les années 1880, à l’exception de quelques rares tentatives Art nouveau : or, c’est le moment où le relais est pris dans le monde anglo-saxon par une approche nouvelle du papier peint, marquée par l’Aesthetic Movement2193 dont Oscar Wilde est la plus flamboyante personnalité. Très sensible au décor intérieur, ce mouvement prône une approche fortement marquée par le japonisme et insiste tout à la fois sur la beauté et l’intimité des intérieurs. Alors que les décors des fabricants français accentuent la verticale, à des fins d’ostentation, l’Aesthetic Movement insiste sur les horizontales qui permettent d’abaisser virtuellement la hauteur des pièces. Le mur se divise alors ainsi :

Bien souvent, le plafond, délaissé par les fabricants français, est lui-même l’objet d’une décoration de papier.

Dans les formules les plus simples, les fabricants fournissent les trois éléments et les complètent par des rosaces et des coins pour les plafonds2194. Il est même des modèles adaptés aux montées d’escalier. Dans les formules les plus élaborées, le décorateur réalise un savant découpage de différents papiers peints, comme le faisaient leurs ancêtres de la fin du XVIIIe siècle. Peu d’exemples ont survécu, mais dans la région des Finger Lakes, dans le Nord de l’État de New York, à proximité du lac Erié, une maison de cette époque a conservé l’ensemble de son décor, encore inédit2195. Du côté continental, ces formules n’ont rencontré qu’un succès limité, dans le cadre de la courte période de règne de l’Art nouveau : elle s’est surtout concrétisée par un usage novateur de la bordure2196. Aux Etats-Unis, en revanche, la formule a connu le succès jusque dans les années 1920 : les maisons de bois de San Francisco, reconstruites après le tremblement de terre de 1906, étaient décorées avec ce type de papiers peints et ces décors sont à l’heure actuelle l’objet de restitutions2197.

Remarquons que nous nous détachons là du décor au sens français du terme, puisque disparaissent les éléments verticaux et que le ciseau joue à nouveau un rôle accru. La même tendance se maintient jusqu’à la période Art Déco : le MPP conserve par exemple des albums des manufactures P.A.Dumas puis P. Dumas qui proposent dans un style différent le même type de découpe2198. Dans les années 1920-30, alors que se maintient un art élaboré de la pose, ce type de pratique est encore fréquent sous le nom de « combinaison » et certaines manufactures adaptent leurs produits à cette tendance en imprimant des éléments complémentaires, sans être aussi modulaires que ceux du siècle précédents2199

En conclusion, les principales manufactures de papier peint françaises, dont celle de Rixheim, ont su mettre à la disposition du public un produit intelligent qui, tirant les conséquences du mode de pose du XVIIIe siècle, a rencontré le succès. Alors que le siècle précédent supposait un véritable décorateur, on a désormais à sa disposition une manière de « prêt-à-porter » de la décoration. Souvent somptueux, toujours à la dernière mode, peu coûteux en comparaison des autres moyens de décoration disponibles sur le marché, il permettait de transformer un salon quasi standardisé par les nouveaux modes de construction en un décor témoignant du statut social de qui l’occupait. De ce point de vue, le critique Charles Blanc, dans sa Grammaire des arts décoratifs de 1881, a bien cerné la question lorsqu’il écrit à propos du papier peint :

‘Il était naturel que l’avènement de la démocratie coïncidât avec un désir universel d’augmenter le bien être de la classe la plus nombreuse et d’inventer pour elle, sinon l’équivalent du luxe, au moins ce qui pourrait en donner le mirage.’

Mais le sursaut de liberté qui caractérise la fin du siècle en matière de décoration remet en cause ce produit « prêt à porter » qui disparaît, remplacé par des formules plus souples qui, curieusement, rejoignent les modes de pose du XVIIIe siècle.

Notes
2193.

Lambourne 1996 en donne une excellente synthèse avec une bibliographie sélective.

2194.

Voir par exemple Hoskins 1994, p. 159, 161, 167.

2195.

Doc° MPP. Le propriétaire ne souhaite pas que le nom soit publié.

2196.

Jacqué 1997d, p. 51-55.

2197.

Cf www.bradbury .com et Pomada & Larsen 1989, passim, nombreux exemples.

2198.

Jacqué 2002, n° 66, p. 163.

2199.

Voir par exemple Saunders 2002, p. 137, avec un exemple de chambre d’enfant en France de 1928 ou Kieselbach et Spilker 1998, p. 82 pour des exemples allemands de 1914-15.