Face à cette tendance minimaliste, comme souvent, s’affirme une tendance exactement contraire : en l’occurrence, le succès du motif dans sa forme la plus figurative qui soit, le panoramique.
La création de panoramiques, nous l’avons vu, connaît à partir des années 1850 une crise profonde. Les dernières réalisations notables datent du début des années 1860 avec l’Eden en 1861 et le Brésil en 1862, deux décors très proches, dessinés par Joseph Fuchs et édités par Jules Desfossé à Paris ; ces panoramiques, relativement réduits par leurs dimensions, 23 lés pour le premier, 20 lés pour le second (au lieu des 32 lés devenus le plus souvent de règle), se caractérisent par un nombre très élevé de couleurs et donc de planches, 3642 pour l’Eden, un record absolu. Pour sa part, Jean Zuber & Cie propose en 1860 un panoramique qui tient aussi beaucoup du décor, le Jardin japonais (ill° 41) en 10 lés, dessiné par Victor Potterlet, spécialiste du décor2214. Par la suite, le règne du « tableau » se continue, nous l’avons vu, en profitant de la publicité offerte par l’Exposition universelle de Londres en 1862 : le Berger et les Chèvres des Alpes (ill° 42. 6) de Jean Zuber & Cie en 1860-62, la Vigie de Koat Ven (ill° 42. 5)du même Zuber en 1861, la Prière de Desfossé en 1862, l’Orage, de Zuber en 1863. A cette occasion paraissent aussi des décors de taille plus petite, destinés à un seul mur, comme le Vieux Pont 2215 de Desfossé en 1862, en grisaille et en cinq lés ou, plus étroit encore, l’élément central de la Galerie Louis XIV (42. 7), présenté en 1867 par Hoock frères, successeurs de Délicourt. Ce type de produit représente une alternative aux grands panoramiques, plus difficiles à utiliser en décoration et toujours plus coûteux, suite à l’inflation des couleurs liée à un style toujours plus pictural. Par après, même si apparaissent de-ci, de-là, l’une ou l’autre œuvre mineure, on peut dire que la création des panoramiques s’est franchement éteinte. Mais le relais est pris partiellement par les grandes “tapisseries” qui se multiplient au cours des années 80 en imitant le rendu de ces riches textiles : le Décor Boucher (ill° 43. 1) de Desfossé (1882), par exemple, fait 16 lés ; même si l’on y retrouve l’influence des tapisseries du XVIIIe siècle et un rendu de matière particulier, ce type d’œuvre n’est pas sans rapport, par son ampleur, avec le panoramique. L’Art nouveau donne aussi naissance à un type de décor à mi-chemin de la tapisserie et du panoramique comme la Cueillette des Oranges de Leroy2216 ou, plus réduit, le Décor Floréal de Rixheim2217 ou du même, un Décor japonais en 19022218.
Malgré ces tentatives, à dire vrai sans grand lendemain, l’ère du panoramique s’achève : il est significatif qu’au cours des années 1880, la manufacture Zuber trie ses planches et “dégrave”, c’est-à-dire brûle les planches des panoramiques dont on n’imagine plus qu’ils puissent être réimprimés2219, c’est-à-dire l’essentiel de la production d’avant 1842, à de rares exceptions près ; la manufacture Desfossé fait de même en 18942220. Cette décision des deux manufactures majeures du domaine n’est, bien sûr, rien d’autre que le résultat d’un constat d’ordre économique : il n’y a apparemment plus de marché pour ces panoramiques. Pourtant, il faut bien constater, à la lecture des archives, que certaines productions continuent une carrière désormais réduite. C’est le cas en particulier de l’Eldorado 2221 qui connaît au moins trois réimpressions d’une centaine d’exemplaires entre 1870 et 1900 (contre une tous les deux ans entre 1850 et 1870...), d’Isola bella, réimprimée en 1882, des Lointains, réimprimés en 1877 et sans doute au début du XXe siècle : notons que ces trois panoramiques ont en commun un caractère intemporel lié à l’absence de personnages et donc de caractère historié, à l’évidence passé de mode. Nous sommes, par ailleurs, bien renseignés sur les ventes en Amérique du 11 octobre 1905 au 2 mars 19062222 : Zuber y vend alors 29 Eldorado, ill° 39(à 150 francs, beaucoup plus qu’au siècle précédent), 146 Classic landscape ou Classic scenery (Les Lointains), ill° 31, à 24 francs, il est vrai peu coûteux parce que ne comportant que 6 lés imprimés en camaïeu, et plus étonnant, 16 Horse Racing Scenery (Les Courses de Chevaux 2223 de 1838, un camaïeu, ill° 37).
A la même époque, apparaissent les premières recherches scientifiques sur le panoramique. En 1900, des fragments de neuf panoramiques sont présentés sous l’appellation de “décor” à l’exposition rétrospective que le collectionneur Félix Follot consacre au papier peint dans le cadre de l’Exposition universelle de Paris. L’année suivante, il en publie le catalogue avec, en introduction, ce qui est le premier essai sérieux d’histoire du papier peint en France. En 1908 paraît aux États-Unis une première édition de l’ouvrage de Kate Sanborn Old Time Wall-papers qu’elle justifie par les mots suivants:
‘now... all the best manufacturers and sellers of wall-papers are reproducing the very old designs’et elle ajoute que le même intérêt se porte sur les “old-fashioned landscape papers ». Depuis le centennial de la fondation des États-Unis, les Américains portent un intérêt soutenu à leur passé et au décor de ce passé, en particulier au style dit federal auquel les panoramiques, largement antidatés, sont rattachés : dans un article du Boston Herald du 17 novembre 1907, par exemple, le panoramique les Zones, créé en 1855, et retrouvé dans un intérieur de Nouvelle Angleterre “is well over one hundred years old” et il est “of a fashion in vogue during colonial days” 2224. Enfin, en Allemagne, Gustav Iven commence au début du siècle la collection qui est à l’origine du Deutsches Tapetenmuseum de Kassel, ouvert en 19232225 .
Cette attention nouvelle se concrétise dans la production : Desfossé & Karth réimpriment en 1905 le Brésil (ill° 16. 5), en 1909, Jean Zuber & Cie regrave 64 planches des Zones terrestres (ill° 40) en vue d’une réédition et surtout, en 1912, lance sur le marché un nouveau panoramique en dix lés, le Paysage Italien (ill° 27. 5 & 6)2226. Ce paysage n’est rien d’autre que la version réduite des 20 larges lés de l’Arcadie, dont par ailleurs les personnages sont supprimés ; toute référence littéraire aux Idylles du poète suisse Salomon Gessner est ici gommée au profit de la seule approche décorative, au moment où le néoclassicisme revient à la mode sous différentes formes après l’intermède Art nouveau2227.
Cet élan, brisé par la guerre, reprend à un rythme très rapide après 1918, et ce n’est sûrement pas un hasard si, pendant la guerre, Georges Gayelin, gérant de Rixheim, profite du manque de commandes pour réimprimer ce que le rapport du conseil de surveillance de 1917 nomme des « Landschaftsbilder 2228» : en homme de métier, il avait dû sentir ce frémissement du marché.
Il nous faut nommer ici un certain nombre de personnes qui vont jouer un rôle majeur dans ce revival. En France, le bibliothécaire Henri Clouzot commence à publier en 1912 sur le papier peint2229 ; il multiplie ses recherches dans les années 20 qui, à la suite de nombreux articles, aboutissent à une première brève histoire du papier peint en 1931 où le panoramique n’est pas absent2230, avant son travail fondamental de 1935, réalisé en collaboration avec Charles Follot, le fils du collectionneur Félix Follot : Histoire du papier peint en France. Mais, dès avant, il publie en 1930 le catalogue raisonné des panoramiques de Dufour2231 (où d’ailleurs, il emploie pour la première fois, dans l’introduction mais non le titre, le terme panoramique 2232). Il monte en même temps des expositions au Musée Galliera à Paris sur ce sujet2233. Sur le plan commercial, mais avec une rigueur scientifique peu commune2234, le décorateur parisien André Carlhian collecte, expose, vend et documente systématiquement les panoramiques anciens à partir de 1920 et monte trois expositions sur ce thème2235. A Kassel, le Deutsches Tapetenmuseum ouvre ses portes en 1923 et présente pour la première fois systématiquement dans un musée des panoramiques : que ce musée soit installé dans le prestigieux Rotes Palais, ancien Stadtschloß des landgraves de Hesse, renforce l’impact du geste2236. De l’autre côté de l’Atlantique, Nancy McClelland (1877-1959)2237, comme antiquaire-décoratrice à New-York, se spécialise dans les panoramiques anciens, tout en les documentant, ce qui aboutit à son ouvrage pionnier de 1924, préfacé par Clouzot2238 ; pour la première fois y sont reproduits et documentés un grand nombre de panoramiques. Enfin, la firme A.L. Diament & Co 2239 à Philadelphie obtient dans les années 1920 l’exclusivité de la commercialisation sur le marché américain des réimpressions de Zuber et de Desfossé & Karth, ce qu’elle fait à l’aide d’une publicité agressive dans les magazines de décoration où la réalité historique est des plus bousculée : à lire leurs insertions, Psyché & Cupidon, le superbe décor camaïeu créé par Dufour en 1815, par exemple, “is done by David for Napoléon”, tout simplement… On pourrait supposer qu’en 1815, Napoléon comme David, avaient bien d’autres soucis... Quoi qu’il en soit, cette firme a le mérite d’encourager les manufactures à exploiter toutes les planches disponibles de leurs fonds, depuis longtemps abandonnées. Chez Jean Zuber & Cie, dès avant 1923, le Paysage à chasses (ill° 35) de 1832, les Vues d’Amérique du Nord (ill° 34)de 1835 et Isola Bella (ill° 38)de 1842, puis vers 1929 l’Hindoustan (ill° 26) de 1807 et les Vues du Brésil (ill° 34) de 1829, avant 1937 les Vues de Suisse (ill° 25) de 1804, et à une date peu claire les Zones (ill° 40)de 1855 sont réimprimés ; cela s’ajoute à l’Eldorado (ill° 39) de 1849, aux Lointains (ill° 31) de 1825, aux Courses de chevaux (ill° 37) de 1838 et au Paysage Italien (ill° 27. 5) de 1911, présents déjà sur le marché avant-guerre. L’offre est même complétée par des créations qui restent passéistes ; de 1925 à 1927 sont gravées, d’après un exemplaire retrouvé par Nancy McClelland, les planches de la Guerre d’Indépendance (ill° 36. 4 & 5), une variante peinte des Vues d’Amérique datant, nous l’avons vu, de 1853. S’y ajoutent des panoramiques en camaïeu, relevé, pour le premier, de pointes de couleur : en 1929 les Côtes de Villefranche (ill° 23. 2) dessiné par Mathieu Ehny-Vogler, d’après un dessus de porte ou une frise de la fin du XVIIIe siècle dans le goût de J. Vernet2240, en 1930 les Scènes siciliennes 2241, dessinées par le même et un agrandissement des Lointains (ill° 31) en 14 lés de Bremler et Ehny, vendu sous le nom de Bocage ou Bocage fleuri selon la présence ou non de fleurs (1938). De son côté, Desfossé & Karth remettent avec beaucoup de succès sur le marché le Psyché de Dufour, réimprimé à deux reprises, en 1923 et en 1931. La même manufacture fait dessiner par Henri Stéphany, figure marquante du motif de l’époque, un petit panoramique de 10 lés en une couleur : le Décor Moderne, dans le style Art Déco classique (ill° 23. 1)2242.
Commercialement, le résultat est impressionnant puisqu’en 1929, une année sans doute exceptionnelle et très bien documentée chez Zuber2243, la manufacture vend au seul Diament... 1631 panoramiques ! Derrière ce chiffre énorme se cachent des panoramiques très différents qui ont cependant une série de points communs. Tout d’abord, le choix des clients se porte sur des panoramiques de taille petite ou moyenne : 497 Paysages Italiens (10 lés), 389 Côtes de Villefranche (14 lés), 225 Isola bella (18 lés), 220 Lointains (6 lés). Les panoramiques de grande taille, de 20 à 32 lés, ne dépassent pas la centaine d’exemplaires vendus chacun : 89 Paysages à chasse, 78 Eldorado, 55 Vues d’Amérique, 22 Guerres d’Indépendance, 16 Hindoustan, 15 Courses de chevaux, 11 Paysages Japonais. Notons aussi que les panoramiques sans personnages (à l’exception des Côtes de Villefranche qui arrivent juste sur le marché) remportent plus de succès que les autres, à cause de leur prix moins élevé, peut-être, mais aussi à cause de l’évolution du goût ; il est d’ailleurs remarquable que les Vues de Sicile, créées juste après, en 1930, ne comportent aucun personnage. Chez Desfossé, la vente doit être semblable d’après le nombre très important de Psyché parvenus jusqu’à nous.
Même si la crise économique limite par la suite ce succès, la production et la vente de panoramiques se poursuivent dans les années 1930, au point qu’en 1937 les panoramiques représentent pratiquement la moitié de la valeur d’inventaire du stock de la manufacture, une situation totalement nouvelle en comparaison de celle du XIXe siècle où, nous l’avons vu, le panoramique ne joue qu’un rôle beaucoup plus limité dans le chiffre d’affaires : Zuber & Cie 2244 a amorcé une évolution qui va l’amener à sa situation présente où la réimpression de panoramiques est devenu de très loin sa principale activité. Si l’impression cesse, la vente continue pendant la guerre : le stock des panoramiques est transporté dans la Creuse, au centre de la France, d’où le commerce se poursuit, en particulier en direction des États-Unis tant que cela reste possible ; Diament est d’ailleurs prêt à acheter tout ce qui est alors disponible, ne serait-ce que pour ne pas tomber en rupture de stock en cas de blocus2245.
Indépendamment de Zuber et Desfossé, il faut citer Charles Huard, qui réimprime à la planche des papiers peints anciens : il fait regraver en 1924 le panoramique connu sous le nom de Palais Royal et y ajoute des lés de façon à en obtenir trente ; d’après Jean-Louis Chasset, dont le père racheta les planches, quarante séries en furent imprimées et vendues, en grande majorité par Nancy McClelland. Un atelier inconnu semble avoir aussi à la même époque reproduit en les peignant certains panoramiques et en avoir créé de nouveaux2246.
Mais dans l’entre-deux-guerres, on constate aussi un changement de regard sur le panoramique et, curieusement, ce regard ne va pas sans contradiction. On se souvient que le XIXe siècle a longtemps hésité sur la dénomination de ce que nous nommons panoramique, le terme le plus couramment utilisé étant alors paysage. Ce n’est que dans la première moitié du XXe siècle que se met en place le concept de ”panoramique”: en 1924, Henri Clouzot, dans son introduction à l’ouvrage de Nancy McClelland, parle encore de ces
‘large story-panels which Miss McClelland calls scenic papers, a term for which the French language has no equivalent 2247.’Pourtant, en 1930, nous l’avons vu, il emploie pour la première fois, après l’avoir sans doute inventé, le terme complètement nouveau de “panoramique”, apparemment en liaison avec les panoramas dont il rapproche abusivement la naissance conjointe à la fin du XVIIIe siècle ; le terme est repris par Carlhian dans ses catalogues, mais il faut attendre 1948 pour le voir utilisé à son tour par Zuber qui parle alors de “décors panoramiques”, alors que Diament et les Américains de façon générale emploient déjà couramment le terme de “scenic”2248 depuis le début du siècle. Or, lorsqu’après 1918, on pose des panoramiques, on les pose tels des panoramas, sans le moindre décor au sens où l’industrie du papier peint utilisait ce terme au XIXe siècle, sans non plus isoler les différentes scènes, et souvent, sans même une bordure ; le lambris, s’il est maintenu, est traité dans une couleur unie, sans ornement2249. On peut donc dire qu’au-delà du simple mot panoramique, le concept mis en place depuis le début du siècle a déteint sur la pratique décorative. Si le XXe siècle, éduqué par Adolf Loos, Le Corbusier et le Bauhaus, a rejeté les formules ornementales du siècle précédent, il a cependant redécouvert ces “paysages” et, grâce à une nouvelle lecture, il les a intégrés à son univers décoratif. Un même objet de décoration, comme souvent, a donné lieu à une mise en scène différente selon les époques.
Pourtant, d’un autre côté, se développe une approche du panoramique qui nie cette notion même : au lieu de couvrir l’ensemble des murs d’une pièce, des décors de taille plus réduite, comme le Paysage italien, ne recouvrent qu’une partie des murs de la pièce, voire même un seul mur. Il ne s’agit pas de revenir aux “tableaux” des années 1850-60, puisqu’il y a une continuité de plusieurs mètres sur le mur, mais il y a en même temps refus de s’enfermer dans un décor “panoramique” trop présent dans la pièce. On reprend ici un cas particulier : celui de Psyché & Cupidon. De par sa conception discontinue, il avait, dès 1815, donné lieu à une présentation en panneaux, voire même comme à la Residenz d’Ellingen en Bavière, en « tableaux » (ill° 31. 7). Sa grande diffusion, à la suite de sa réimpression, a donné lieu à des présentations Empire-Art Déco. La plus célèbre est celle mise en place entre 1926 et 1930 dans le bureau de la résidence d’été du Président de la République française à Vizille, près de Grenoble, mais les magazines de décoration de l’époque en donnent de nombreux autres exemples2250.
Un autre point, essentiel, accentue la différence entre les panoramiques réimprimés et les modèles du passé. Les anciens panoramiques ont une coloration franche, sinon heurtée, adaptée à leur statut d’imagerie en grand et matériellement, au caractère sombre de nombre d’intérieurs de la première moitié du XIXe siècle. Or, désormais, les intérieurs sont mieux éclairés, de façon naturelle et artificielle, et, surtout, le panoramique est regardé comme un produit de grand luxe, ce dont témoignent leur prix, leur vente réalisée désormais par des décorateurs et des antiquaires de premier ordre comme Carlhian à Paris, place Vendôme, ou McClelland à New York, 5e Avenue, la publicité dans les revues de grande décoration. Résultat, leurs couleurs s’éclaircissent, se fondent et tout caractère d’imagerie disparaît pour les panoramiques antérieurs aux années 1840-50 réimprimés.
Notons enfin que le panoramique, toujours installé jusque-là dans une pièce de séjour, entre dans la chambre, comme le montrent les publicités et les photos des articles des revues de décoration2251.
Le revival du panoramique, loin de s’éteindre après la seconde guerre mondiale, va continuer non seulement avec les mêmes acteurs2252 et sur les mêmes bases qu’avant-guerre mais en s’élargissant. Zuber & Cie, en particulier, va se spécialiser de plus en plus dans ces rééditions qui, après 1978, deviennent pratiquement son unique production2253. La pose d’un exemplaire ancien des Vues d’Amérique du Nord dans la Diplomatic reception room de la Maison blanche en 1961 a un fort impact publicitaire, d’autant plus qu’il est relié, à tort, à l’action de la mythique Jackie Kennedy (ill° 22. 8)2254. Il est aussi remarquable que ce panoramique soit posé dans une pièce circulaire, conforme à son nouveau statut de « panoramique » et sans éléments d’encadrement2255. Tous les panoramiques réimprimés avant-guerre à Rixheim continuent à l’être actuellement2256.
A côté de ces réimpressions, de nombreuses compagnies, spécialement dans les années 1950-19702257, en Europe comme aux États-Unis, vont produire, le plus souvent en sérigraphie, des décors de petite taille, en général 6 lés (ill° 23. 3 & 4)2258. Cette production mal connue, peu présente dans les collections2259, semble avoir été énorme en Amérique : la revue professionnelle Wallpapers & wallcoverings liste régulièrement dans les années 1960 les firmes qui proposent ce type de produits ; en septembre 1958, sous la rubrique « scenics & murals », elle en énumère 38, en septembre 1968, 105 ! L’activité décroît par la suite, sans tout à fait disparaître. D’après les publicités de cette revue et les exemples conservés, la production apparaît qualitativement très pauvre : 6 lés maximum, souvent moins, avec la possibilité d’ajouter des lés unis à droite et à gauche, un petit nombre de couleurs, moins de 10, avec cependant des variantes dans le fond et l’impression. Quant aux motifs, leurs thèmes sont désespérants de passéisme : des vues idéalisées de Virginie, façon Williamsburg, des ports de Nouvelle-Angleterre, les « must » de tout voyage en Europe : Venise, Montmartre, des jardins ou des vérandas, plutôt banals, des arbres chinois ou japonais en très grand nombre ; sur l’ensemble de la production qui a fait l’objet de publicité, il n’y a qu’un seul motif contemporain, au moment où la conquête de l’espace chatouille le nationalisme américain : Space station X-7 de Warner en mai 1958, un modèle qui propose une vision de l’espace qui doit beaucoup à la science-fiction. Dans les meilleurs des cas, l’on retrouve le style international des années 1950-70, très « École de Paris » de cette époque, façon Cocteau ou… Peynet.
L’Europe lance sur le marché des réalisations comparables en qualité comme en quantité : Sanderson en Angleterre, U.P.L.2260en Belgique, Dumas2261, I.Leroy2262, Inaltera2263 en France, Flammersheim & Steinmann2264, Salubra2265, Schleu & Hoffmann2266, H. Strauben KG2267 en Allemagne… Pour une composition abstraite rappelant la meilleure peinture française de l’époque2268, que de paysages pâlichons proches des fresques qui décorent à l’époque les bâtiments municipaux construits pour répondre aux besoins de la reconstruction ou du baby-boom.
Dans cet océan de médiocrité, il est cependant une exception : Zuber & Cie. Fidèle à sa tradition technique et esthétique, l’entreprise réussit à tirer son épingle du jeu2269. La responsabilité en revient à deux hommes, le président, Pierre Jaquet2270, qui, reprenant l’entreprise en 1968, sut trouver l’homme pour renouveler le panoramique au début des années 1970 en la personne de Francis Deransart2271. L’idée était de créer des décors adaptés aux conceptions de l’architecture moderne et plus proches des goûts d’une nouvelle clientèle, en faisant appel à une technologie de notre temps2272.
Dans ce contexte, la manufacture met sur pied dans les années 1975-80 une collection nommée les paysages de Zuber. Deransart fait appel à des artistes spécialisés dans l’art décoratif contemporain : Jean Michel Folon (la Sortie), ill° 23. 5, Alain Le Foll (les Nénuphars, les Falaises, la Mer), Georges Lemoine (le Chemin de halage) et Francis Deransart lui-même (l’Envol). Cette collection, présentée en album, répond à des contraintes strictes : peu de couleurs (généralement une à six), un nombre réduit de lés, quatre ou au maximum six, avec la possibilité d’adapter le décor à des surfaces variables de par la conception du motif. Mais pour compenser ces contraintes, de couleurs en particulier, la manufacture offrait la possibilité d’utiliser la technique du fonçage à la main en irisé avec un nombre élevé de couleurs traitées de façon subtile.
Le résultat, très sobre, raffiné, proche du design scandinave alors à la mode dans la décoration d’intérieur, rencontra un important succès d’estime : l’Envol était présenté par exemple dans la section contemporaine du Musée des arts décoratifs avant sa fermeture ; très séduisants, ces décors ne pouvaient cependant toucher qu’une clientèle ouverte au design contemporain, loin des niaiseries trop fréquentes dans le genre. Ils ont été imprimés jusqu’au début des années 1980.
A l’opposé d’une recherche aussi raffinée, les années 1980 voient la mise sur le marché par une entreprise scandinave, Scandécor, de « muraux » reproduisant à l’aide de techniques d’imprimerie des photographies de paysage en quelques lés : forêts, montagnes, plages… dont l’iconographie rejoint l’imagerie des calendriers des postes. Quelques uns sont dessinés dans un style dont l’audace n’est pas exactement la qualité première. A la différence des précédents, ces produits s’adressent à un public populaire2273.
Ces dernières années, des manufactures de papier peint italiennes ont mis sur le marché des décors plus ou moins paysagers, modulaires, imprimés en héliogravure. Les manufactures américaines, pour leur part, produisent avec une technique semblable des frises à paysages où dominent des vues de l’Ouest des États-Unis.
Dans le domaine des panoramiques anciens, le commerce s’en maintient intense : des exemplaires anciens, démontés, passent régulièrement en vente à Paris depuis la vente pionnière de Sotheby’s Park Bernett à Monte-Carlo en 19822274. Par ailleurs, aux États-Unis, des reproductions sérigraphiques de panoramiques anciens, en particulier les Monuments de Paris ont été réalisées: c’est le cas de l’exemplaire posé dans l’American Wing du Metropolitan Museum à New York2275. Zuber, de son côté, a mis en vente ces dernières années des fragments de panoramiques de diverses origines, reproduits en sérigraphie ou peints à la main au Népal, comme par exemple une scène des Incas de la manufacture Dufour & Leroy. Mais alors que le mouvement de reprint des papiers peints anciens est très développé, surtout dans les pays anglo-saxons, le coût élevé de ces rééditions en interdit la multiplication. L’impression à la planche a encore de l’avenir, à condition que le savoir-faire s’en maintienne.
Il porte le nom de Grand décor japonais dans le livre de gravure, ce qui n’est sûrement pas le résultat du hasard. Son nombre de couleurs n’est que de 72.
92 planches (archives Leroy, MAD). Il est rare : le Deutsches Tapetenmuseum de Kassel et le Kunstgewerbemuseum de Cologne en conservent chacun un exemplaire.
Nous ne connaissons pas de reproduction publiée de ce décor, phototypie doc° MPP.
1897, 4 lés, cf. Jacqué-Bieri 1997, p. 53 et n° 38.
10 lés, 240 planches, 10 couleurs, cf Jacqué 1984, p. 99.
Disparaissent les planches de l’Arcadie, la grande et la petite Helvétie, les Vues d’Italie, les Jardins français, les Vues d’Écosse, les Combats des Grecs.
Fauconnier 1935-36, p. 17.
L’Eldorado est le centre du stand de l’Exposition de St Louis en 1904.
MPP Z 89.
Ici, s’il y a personnages, ils ont un caractère intemporel.
Cet article a été utilisé sans scrupule par la firme Diament pour sa publicité dans l’Entre-deux-guerres…
Mick s.d., p. 121-122.
Dessiné par Stutz, 10 lés, 240 planches.
C’est un épisode de l’histoire de l’art décoratif qui n’a pas encore trouvé son historien. Il est très sensible dans le papier peint.
MPP Z 5.
Cf. « Hommage à Henri Clouzot », Niort 1966.
Clouzot 1931.
Clouzot 1930.
En 1928, l’historien Jacques Robiquet utilise encore l’expression « paysage animé » en essayant de traduire le terme « scenic papaer » (Robiquet 1928, p. 87-94).
La plus importante a lieu en 1933 : Exposition historique de l’aéronautique et rétrospective du papier peint.
A comparer aux méthodes commerciales de Diament, voir infra.
Dont deux avec catalogue, Paris 1936 et Paris 1946. Voir Nouvel-Kammerer 1990, p. 257.
Mick s.d., p. 123-129.
Notice nécrologique in Wallpaper & wallcoverings, novembre 1959. N. McClelland se battit sans succès pour la naissance d’un musée américain du papier peint, sur le modèle de Kassel. Le rôle de Carlhian, McClelland et Iven montre l’ampleur du marché des panoramiques anciens, qui n’a pas cessé à l’heure actuelle ; nombre de panoramiques anciens sont démontés, mis en vente et remontés de façon permanente ; il en apparaît régulièrement en vente des deux côtés de l’Atlantique.
Elle est aussi, professionnellement, en contact avec Carlhian.
L’histoire de la firme est inconnue ; elle a fermé ses portes dans les années 1970 et les descendants de son propriétaire possèdent encore des archives à Philadelphie. Les archives du MPP possèdent des archives à son propos pour la période 1931-1942 (MPP Z 153-156).
Au départ 158 planches, complétées en 1931 par 106 de façon à colorier les personnages. 14 lés.
24 lés, 533 planches.
40 planches seulement d’après Fauconnier 1935-36 : le chiffre est significatif ; le lithographie publicitaire est conservée au MPP. Pour Stephany, voir par exemple Hardy 2001, p. 12-13.
MPP Z 90-91.
La raison sociale de la manufacture depuis 1926.
Le chef de l’entreprise est alors Louis Zuber qui gagne la Suisse pour rejoindre sa famille après 1942. Son nom figure étrangement sur la liste des comptes juifs en déshérence publiée par les autorités bancaires helvétiques en 2000…
Tous ces éléments proviennent de la doc° du MPP. Depuis quelques années, la firme De Gournay à Londres reproduit en les peignant des panoramiques anciens.
Nous soulignons.
Dans la seconde moitié du siècle, ce terme est souvent remplacé par le terme mural.
Le présentation panoramique, on s’en souvient, était loin d’être la règle au siècle précédent et il était impensable de poser un panoramique sans bordure et frise.
Le château de Vizille fut résidence présidentielle jusqu’en 1975 et le château fut redécoré dans ce sens dans les années 1920.
Voir par exemple Sanders 2002, p. 92.
Desfossé disparaît cependant : les planches de Psyché & Cupidon ont été détruites par bombardement pendant la dernière guerre, deux subsistent au MPP (don Teynac) ; la manufacture Zuber & Cie actuelle réimprime sous son propre nom le panoramique au cadre plat.
L’entreprise supprime son activité d’impression mécanique en 1978, tout en vendant ses bâtiments à la ville de Rixheim. L’entreprise a été rachetée en 1983 par Chalaye SA, la qualité de l’impression à la planche, restée jusque-là de haut niveau, a désespérément décliné et divers bricolages mélangeant sérigraphie et peinture ainsi que le vernissage systématique, ont totalement transformé l’impression. Mais la publicité de l’entreprise présente cependant l’achat d’un panoramique comme un placement…
Ce panoramique ancien, retrouvé dans une maison de Thurmont (Maryland) a été acquis par l’Association américaine des décorateurs et offert à la Maison blanche : voir supra l’étude des Vues d’Amérique du Nord.
Voir par exemple l’illustration n79, p. 95 dans Saunders 2002. On ne connaît que deux exemplaires anciens présentés en « panoramas » : il s’agit dans les deux cas des Sauvages du Pacifique de Dufour : l’un encore en place depuis l’origine au château de Champlitte (Haute-Saône), le second, autrefois posé dans le Sud-Ouest, est passé en vente, cf. Clemens 1995.
Avec souvent des variantes, des éléments peints… Mais déjà dans les années 1950, les réimpressions n’étaient pas toujors authentiques, à la demande de Diament : « today Zuber & cie (...) toss tradition’s hat over the windmill by adding provocative color to a newly created foreground of this charming scenic wallpaper”; il ajoute que “a color worthy of Van Gogh is introduced into each foreground; clusters of blossoms in rich blue, yellow, camelia and fuchsia, step up to a modern tempo the gray and sepia foliage and ground of the original scenic. » (Doc° MPP.).
Il y en a quelques exemples dès les années 30, imprimés à l’aide d’un procédé photo-lithographique : l’iconographie en est déjà celle que l’on retrouvera après guerre, voir Saunders 2002, p. 96.
Leiß 1961 en donne une brève étude, la seule à notre connaissance, p. 113-114 : « die moderne Bildtapete ».
Le MPP possède un ensemble de panneaux de la firme américaine Piedmont.
Disponibles enn 1968 : Marne, Chantilly, Ulysse, Chasse, Gascogne, Flandre, Watteau,, Genova, Kyoto, Directoire, Okusaï (sic), Fishing.
Un panoramique dessiné par Fumeron est présenté à l’exposition de Galliera en 1955.
Disponibles en 1968 : Terrasses romaines, les Antilles, la Grèce, chasse à courre.
Disponibles en 1968 : Paysage hollandais, A la manière de… Vernet, Pastorale, Fête galante, Louveciennes, Arcadie, Fantasmagorie, Venise.
Avant 1961 : Weinlese, Sommer.
Avant 1961 : Salubra-Dekor n° 4104A (une vue de port contemporain).
Avant 1961 : Er-Te.
Avant 1961 : Komposition.
Leiß 1961, illustration n° 41.
Il semble que la manufacture ait produit des petits panoramiques à la planche vers 1950, dessinés par Chapelain-Midy, Despierre et Potier : nous conservons des photos de leur présentation à une exposition de décorateurs, mais rien de plus n’a été retrouvé (Doc° MPP).
Descendant d’une famille d’industriels de Mulhouse, il accumula les responsabilités, en particulier comme président de l’entreprise textile Schaeffer & Cie, aujourd’hui disparue, principale actionnaire de Zuber & Cie. L’entreprise est sortie en 1968 du giron familial.
Je dois à F. Deransart lui-même, actuellement retraité, les renseignements concernant ses choix artistiques.
Il est possible que dès les années 1950-60, la manufacture ait tenté des expériences dans ce sens : à une Biennale de décorateurs, apparemment, la manufacture présenta un petit décor de Chapelain-Midy, alors très à la mode, un de Pottier dans un style proche de Jean Lurçat et un de Despierre, très « École de Paris » (photos doc° MPP°).
La fabrication s’en poursuit à l’heure actuelle à travers le monde : pour s’en faire une idée, on peut consulter www.wallpaperguide.com. En Europe, la firme allemande Komar en est devenue le principal fournisseur, voir www.komar.de pour une idée de ce qu’ils proposent. Pour en voir un exemple dans le décor des années 70-80, voir Hers 1981, p. 14 et 15.
L’étude Coutau-Bégarie s’en est fait une spécialité, l’antiquaire franco-américaine Thibaut-Pomerantz en propose régulièrement à la vente.
Cette impression a été réalisée par l’atelier américain The Twigs. Les cadres ont été par la suite rachetés par la manufacture Zuber & Cie.