CHAPITRE I :
Définition de la marque de luxe

1. Définition du luxe

Quels sont les critères auxquels on reconnaît habituellement le luxe, mais qui ne suffisent pas à définir cette catégorie ? La définition du luxe est très subjective. Donc, la plupart des chercheurs qui analysent le secteur du luxe montre qu’il s’agit d’un domaine assez difficile à définir, et qu’en dresser une typologie s’avère malaisé. Par ailleurs, les définitions sont loin d’être exhaustives et les variations sont infinies.

Nous commençons en douceur avec une définition un peu plus poétique comme celle de Voltaire : « Qu’est ce que le luxe ? C’est un mot sans idées précise, à peu près comme lorsque nous disons « les climats d’orient et d’occident ». : Il n’y a en effet ni orient ni occident, il n’y a pas de point où la terre se lève et se couche ; ou, si vous voulez, chaque point est orient et occident. Il en est de même du luxe : ou il est partout, ou il n’y en a point. », et comme celle d’Alain Etchegoyen, « un château YQUEM n’est ni inabordable, ni réduit à un seul exemplaire, mais la bouteille, la robe, l’étiquette, la concentration qu’il exige en dégustation, l’imaginaire, le sucre, le soleil, l’invasion du palais, toutes ces sensations disent le luxe » 19 .

Ou, si nous recherchons une définition plus sérieusement, d’après le Petit Robert, le luxe est un « mode de vie caractérisé par de grandes dépenses consacrées à l’acquisition de bien superflus, par goût de l’ostentation et du plus grand bien-être » 20 .  

D’après Castarede 21 , « étymologiquement, ce mot vient de « lux », la lumière, c’est-à-dire le rayonnement, le goût, l’éclairage, l’élégance, à la luxuria, autrement dit, l’excès, le clinquant, le rare, l’extrême, il a perpétuellement balancé entre ces deux pôles du paraître et de l’être. Le moyen, le médiocre, le banal, voilà l’ennemi : c’est-à-dire ce qu’appauvrit et enlève le dynamisme propre au luxe ».

Jacques Marselle en a aussi donné une définition relativement scolaire : « Le luxe renvoie à des comportements, des attitudes mentales et sociales, à des objets et à un ensemble d’activités économiques. Il touche à la psychologie sociale et individuelle et est lié au désir, à la dépense, à la provocation ou à l’ostentation. Depuis son origine, il relève de l’ordre du dépassement par le rêve ou par la provocation » 22 .

Il est vrai qu’au XXème siècle, le luxe séduit les uns pour son élégance raffinée, les autres pour son ostentation. Le luxe est assimilé au grand confort et son prestige fait écho à la valorisation sociale.

Voyons les numéros « Spécial luxe » régulièrement publiés par CB News : on y trouve des reportages, des informations, des chiffres, des portraits, etc. A la fin de 2001, CB News a réalisé, avec FullSix Research, un sondage exclusif sur « Les internautes et le luxe ».

Tableau 1
Tableau 1

D’après le sondage de CB News 23 , les internautes rappellent les termes associés au luxe en tête : les prix très élevés, le raffinement, le rêve, le précieux, et la célébrité. Là encore, des notions comme le décalage, la créativité... atteignent des scores faibles. Enfin, selon les internautes, le luxe peut se définir par le niveau de prix, le raffinement, la préciosité et le rêve qu’il suggère. Il est vrai que leurs définitions se caractérisent par une certaine tendance à l’hyperbole et au flou que d’aucuns trouvent par définition poétique. Classons donc plus précisément les mots par groupe, parce que quelques termes sont proches dans leur signification.

D’abord, le premier terme associé est le prix très élevé. C’est plus cher, cela veut dire que c’est plus du luxe. Il est vrai qu’un bijou d’exception et une fourrure ne sont pas à la portée de tout le monde. Ce qui permet de mettre à jour une composante importante du luxe : le prix.

Deuxièmement, il s’agit de la création qui est associée aux termes de raffinement, de qualité, de créativité et d’originalité. De nombreux gens considèrent que le propre du luxe, c’est sa capacité à créer, à innover sans cesse. On dit qu’il faut plusieurs années (cinq ans chez Rolex) 24 et des millions d’euros à un horloger ou à un joaillier pour créer une nouvelle montre, un nouveau bijou. Il est vrai que la qualité n’est pas une exclusivité des marques de luxe mais il y a beaucoup de personnes qui considèrent ses produits comme de grande qualité. Le luxe et la qualité ne sont pas synonymes. Mais il est aussi vrai que, depuis toujours, le produits les mieux élaborés ont été réservés à une clientèle plus exigeante qui les recherchait et qui était prête à payer un prix élevé. Il est aussi vrai que ce marché de luxe s’est bien sûr organisé en fonction de la demande et, qu’au fil du temps, il génère des marques dont la vocation est de fabriquer des produits de qualité finale exceptionnelle, tant en ce qui concerne les matières utilisées que les traitements et les fabrications.

Le troisième groupe désigne la rareté qui correspond aux termes d’inaccessibilité, de précieux, de rareté, de rêve et de décalage. Nous sommes d’accord avec cette notion parce que le produit de luxe, on ne peut pas l’acheter n’importe où ou n’importe quand, il faut le mériter, l’attendre. Prenons une preuve empruntée par Marie-Claude Sicard : « il faut attendre plusieurs mois pour un sac Kelly chez Hermès à Paris, plusieurs semaines au Japon et aussi plusieurs semaines pour une robe de haute couture, en comptant les essayages » 25 . Evidemment, les notions de rareté et d’inaccessibilité fondent leur origine sur la notion « d’objet unique » de Baudrillard : « C’est un objet unique, spécifié de par sa position finale, et donnant ainsi l’illusion d’une finalité particulière » 26 .

Enfin, la dernière notion concerne l’imaginaire qui s’associe aux termes de célébrité, de mode, de superficialité, d’excentricité, et d’ostentation. L’imaginaire, c’est ce qui structure l’imagination et permet à une marque d’entrer en résonance avec l’inconscient collectif. C’est-à-dire que les internautes ont indiqué le caractère imaginaire des marques de luxe.

Il est difficile de définir ce qu’est une marque de luxe, peut-être parce qu’on se focalise trop sur le mot « luxe » et pas assez sur le mot « marque ». Nous arrivons peut-être à considérer le luxe comme un secteur économique aux contours plus flous que d’autres. « A dire vrai, rien n’est plus utile aux industriels du luxe que le flou qui entoure le concept de luxe. Cette confusion, canalisée avec maestria par la communication, la publicité et le merchandising, permet au chiffre d’affaires de cette industrie de bondir chaque année vers de nouveau records » 27 .

Situer le concept de « marque » par rapport au « luxe » s’impose donc. Comme le dit Jean-Noël Kapferer dans son ouvrage sur les marques, « le flou définitionnel du luxe ne fait que préfigurer la disparition de certaines différences essentielles entre le management d’une marque de luxe et le management d’une marque, disons d’une grande marque. (…) Le problème du mot luxe est qu’il est à la fois un concept (une catégorie), un sentiment subjectif et un terme porteur d’une critique sous-jacente, d’une contestation sur le plan moral. Ainsi ce qui est luxe pour les uns, est banal pour les autres, certaines marques se voyant étiquetées de marque de luxe par une partie de l’opinion et de grande marque tout simplement par une autre partie » 28 .

Changeons donc notre question : « Qu’est ce qu’une marque de luxe ? ». C’est aussi difficile à dire avec une exactitude parfaite et objective. Malgré cela, Anne Bontour et son collègue la définit simplement : « c’est certainement une marque dont la qualité des produits est reconnue. Une marque dont les produits se voient affecter un prix plus élevé que la moyenne et qui contribue à son positionnement. Une marque dont la production est souvent imitée pour des raisons qualitatives, et de relative exclusivité mises en avant par un positionnement et une communication très haut de gamme. Donc le terme clé de la définition est l’exclusivité » 29 .

Quant au sens du mot «produit de luxe », l’idéologie du luxe se résume par des valeurs dominantes : la sensualité, le chic et la tradition.  » Elle (l’idéologie) promeut une société de luxe, de loisirs et de voluptés dans laquelle tout travail demeure absent. Elle écarte les conflits sociaux, ignore les difficultés individuelles, dépeint une civilisation de facilité dans un monde irréaliste» 30 . Centrée sur la sensibilité de l’être, l’image promotionnelle des produits de luxe est privilégiée par la société. En se procurant ces produits griffés, le consommateur n’achète pas seulement le produit mais aussi l’image d’appartenance à cette élite. Mais, en réalité, le luxe n’est pas réservé à un petit nombre. De nos jours, plusieurs styles publicitaires donnent une portée aux personnes. C’est ce que nous étudierons dans le chapitre suivant.

Notes
19.

Les échos, le décembre 2001.

20.

Le nouveau Petit Robert, Paris, Dictionnaire Le Robert, 2002.

21.

Jean CASTAREDE, Le Luxe, Paris, PUF, 1992, p.7.

22.

Jacques MARSELLE, Le Luxe en France du siècle des Lumières à nos jours, Paris, Perrin, 2002.

23.

N°684 (le 17 décembre 2001) de CB News qui est entièrement consacré au Luxe, p.120-121 : Sondage réalisé sur le panel exclusif « Le club des internautes » de FullSix (représentatif des internautes se connectant à domicile). 1150 questionnaires ont été complétés (période du 15 au 19 novembre 2001). Cette recherche quantitative avait un double objectif : voir ce que représente le luxe pour les internautes, mais aussi ce qu’est le luxe sur Internet. Impression globale de l’étude : les internautes ont une vision du luxe très traditionnelle et classique. Alors que dans de nombreux domaines, ils ont des antennes, des trenders, ce n’est pas le cas dans ce domaine. Surprise (et déception) d’autant plus grande qu’il n’existe pas de rupture avec l’âge : les plus jeunes sont aussi conformistes que leurs aînés.

24.

Marie-Claude SICARD, Luxe, mensonge et marketing, « Mais que font les marques de luxe ? », Paris, Village Mondial, 2003, p.102.

25.

Ibid.,p.101.

26.

Jean BAUDRILLARD, Le système des objets, Paris, Gallimard, 1968, p.130.

27.

Stéphane MARCHAND, Les guerres du luxe, Paris, Fayard, 2001, p.15.

28.

Jean-Noël KAPFERE, Les marques : capital de l’entreprise, Paris, Edition d’Organisation, 1998, p.84.

29.

Anne BONTOUR et Jean-Marc LEHU, Lifting de marque, Paris, Editions d’Organisation, 2002, p.72-73.

30.

 Marie-Claire VETTRAINO-SOULARD, Luxe et publicité, Paris, les édition Retz, 1978, p.62.