2. Notion de marque

Qu’est ce qu’une marque ? Un nom, certes. Mais après tout, ce nom existe pour ne pas avoir de contraintes, puisqu’il indique également son positionnement sur le marché. Alors la marque concentre ses efforts sur la promotion de sa notoriété plutôt que sur sa signification profonde. En matière de luxe, la marque est primordiale. Elle est presque aussi importante que le produit. Donc la création de l’image de la marque est essentielle. L’image d’une marque ne vient pas par hasard. Elle est le résultat, jamais assuré, d’une alchimie de comportements choisis et d’efforts constants de la part de la marque. Dans une économie libre et concurrentielle, un produit peut vivre sans marque de luxe, mais certainement pas sans image.

« Une marque est constituée par l’ensemble des discours tenus à son égard par la totalité des sujets (individuels et collectifs), impliqués dans sa génération » 31 . Cette définition pourra paraître décevante. En effet, cette définition n’attribue à la marque ni un objet du monde (un produit ou un service), ni une fonction spécifique (nommer, identifier, différencier, etc.), ni même un système d’acteurs censés lui donner vie (l’entreprise) ou sanctionner son existence (les consommateurs, les autres marques d’objet, de fonction ou d’acteurs spécifiques). La marque affiche sa vraie spécificité : celle d’être une instance sémiotique, une manière de segmenter et d’attribuer du sens d’une façon ordonnée, structurée et volontaire.

Peu importe donc à qui ou à quoi cette portion de sens a été attribuée. Ce qui compte, c’est de mettre en exergue l’acte d’attribution lui-même plutôt que le contenu, le support ou le destinataire de cette attribution. Donc, nommer, ce n’est pas seulement élire un nom, c’est conférer une identité, assigner une manière d’être, et peut-être une bonne ou mauvaise fortune. Aux créateurs de marque incombe pour une part la responsabilité du sort d’un produit : comment il sera, sur le marché, identifié, repéré, reçu, mémorisé, désiré... Car le nom émeut en permanence cette part intime et secrète de la sensibilité qui est souvent sans raison raisonnable, mais en obéissant à de mouvantes affinités.

A cet égard, il n’est pas étrange de rappeler Péninou. D’après lui 32 , la marque est « une entité autonome, qui peut être appelée à la conscience en lieu et place du nom patronymique de l’entreprise productrice, vouée à une circulation et à une consommation distinctes de ce dernier, elle repose sur une philosophie économique différente de celle qui présidait aux destinées de la marque de fabrique : celle-ci était un sceau de propriété alors qu’elle se veut signe d’échange ; elle était défensive et close, elle se veut ouverte et offensive. (…) La substructure qu’est la marque est doublement vulnérables ; elle reste, en amont et en aval, entièrement tributaire de la considération qu’on voudra bien lui attribuer : les avantages économiques que la production tire de son institution lui font, en revanche, obligation d’assurer une certaine qualité et un certain service, dont les défaillances ne seront plus couvertes par l’anonymat, iront grossir le passif de la marque et pourront hypothéquer son avenir ; en aval, elle se heurte à l’indifférence, à l’ingratitude, au caprice changeant des masses ( qui ne s’investissent, à son endroit, qu’exceptionnellement de manière durable et exclusive), à leur dédain, ou à leur simple faculté d’oubli. »

La marque introduit de l’affectivité : « la fonction de la marque est de signaler le produit, sa fonction secondaire est de mobiliser les connotations affectives » dit Baudrillard 33 . Le nom confère une identité. Comment comprendre cela ? D’abord le nom désigne une singularité. Il distingue et consolide l’être, le défend de la confusion, de l’empiétement du brouillage avec les autres êtres. Le nom répond également à un vœu de permanence, c’est-à-dire de résistance à l’érosion du temps. Il offre, enfin, un crédit de considération et de respect au-delà des apparences.

D’après Botton 34 , cette singularité est celle d’une essence. « Si le nom n’est pas la définition, ni la description, ni la caractérisation, il est cependant censé exprimer l’essence. Il le fait à sa manière, qui est elliptique et condensée. Le nom à la fois précis dans sa désignation et imprécis dans ses évocations, représente aussi la nébuleuse du rêve, l’aura de l’imaginaire qui nimbe l’être du produit dont il semble émaner, car on oublie qu’il a été « donné ». Autant ou davantage que l’achat, la possession et l’usage de l’objet, le nom, mémorable et disponible à l’infini, répond – que peut faire un être de langage sinon répondre, ou alors proposer, comme on l’a vu tout à l’heure – aux aspirations émotives, à un surcroît de plaisir au-delà de l’utile ».

La marque est multiforme selon Botton 35 , car elle est composée d’un ensemble de signes :

  • un signe dénominatif : le nom de marque, élément verbal de la marque ;
  • un signe semi-figuratif : le logotype, représentation visuelle du nom ;
  • un signe figuratif : l’emblème, destiné à représenter la marque.

La principale caractéristique de la marque, la plus couramment évoquée, est sa forme nominale. Il s’agit en effet de l’essence même du concept de marque, même si, historiquement, la marque graphique est la plus ancienne. La destination de l’organisation ou de ses produits impose la nécessaire utilisation d’une dénomination qui permette d’identifier aisément, de manière auditive et visuelle, l’objet de la communication.

J.-N. Kapferer et G. Laurent 36 ont identifié, au cours de leurs recherches, les six fonctions essentielles que remplit la marque pour un consommateur :

  • la praticité
  • la garantie
  • l’identification
  • la personnalisation
  • une fonction ludique
  • une fonction de repérage

Les six fonctions de Kapferer peuvent être encore simplifiés par Castarede 37 . D’après lui, la marque a une triple fonction :

  • de simplification et d’identité ;
  • de garantie ;
  • d’imaginaire et de symbolique

Jean-Noël Kapferer fait la distinction entre les marques et les marques de luxe :

‘« La marque normale a pour vocation de démocratiser le progrès, par le biais d’une spirale vertueuse et de la concurrence, remettant toujours en cause le niveau qualitatif atteint et cela au meilleur prix, grâce à la production de série. La marque de luxe, elle, débarrassé en partie des contraintes du prix, perpétue un niveau qualitatif hors du commun où le polysensuel compte autant que le fonctionnel, faisant appel aux matériaux les plus nobles, poussant la personnalisation à l’extrême – signe de reconnaissance de l’individu – ce qui condamne la grande série et fait du service une partie intégrante de l’offre. Tout ce qui est optionnel ou compté en plus dans le cadre d’une marque « normale », fait partie du normal dans la marque de luxe, car l’extra y est ordinaire. » 38

Pour Castarede 39 , il existerait plusieurs types de marques dans le secteur du luxe :

  • la marque produit (ex. toutes les marques de champagnes)
  • la marque ombrelle (Cartier, Hermès, Yves-Saint Laurent)
  • la marque caution (Cardin)
  • la marque « Groupe » (LVMH)

D’après lui, chez les marques de luxe, toute la difficulté consiste à bâtir pour les marques - produits aux marques ombrelles et cautions, sinon un mythe, au moins une légende. De plus selon Georges Lewi 40 , la marque serait un « mythe opportuniste », mythe « moderne et programmé ». En effet, nous l’analyserons plus tard dans la troisième partie, les marques s’appuient souvent sur une histoire, en particulier, pour les marques de luxe, sur celle de leur fondateur. Mais nous pouvons aussi remarquer que certaines marques de luxe cherchent aussi à élaborer des légendes modernes, c’est-à-dire le travail de lifting de marques.

Il est vrai que la notion de la » marque de luxe » est à la fois ancienne et récente. Des formes embryonnaires de logique de marque peuvent être déjà repérées dans l’Antiquité, dès qu’une activité de production et d’échange se met en place. L’apparition d’une nouvelle figure sociale – le consommateur pose le problème de la mise en relation et de l’interdépendance de deux mondes éloignés : l’univers de la production et celui des individus. La mise en relation de cette perspective historique avec une perspective théorique permet de rendre explicite le lien étroit qui existe entre le contexte socio-économique et la logique de marque de luxe.

Le déplacement progressif qui s’opère du produit vers le marché et de celui-ci vers les consommateurs implique une transformation parallèle de la nature et du fonctionnement de la marque. D’outil de différenciation et d’identification, celle-ci devient progressivement un vecteur de sens et un médiateur de valeur socioculturelle. La transition du produit au marché implique la reconnaissance du rôle clé joué par les individus et transforme la marque en un dispositif de médiation. L’industrie du luxe n’existe qu’au travers de marques, de noms propres et de logos qui sont autant de signes distinctifs pour le consommateur.

Donc, à présent, voyons comment les marques de luxe peuvent être distinguées en fonction des différents niveaux d’évolutions.

Notes
31.

Andrea SEMPRINI, Le marketing de la marque, Paris, EL, 1992, p.35.

32.

Georges PENINOU, « Le oui, le nom et le caractère », Communication n°17, Paris, Seuil, 1971, p.68.

33.

Jean BAUDRILLARD, Pour une critique de l’économie politique du signe, Paris, Gallimard, Ed. Tel, 1972, p.267.

34.

Marcel BOTTON et Jean-Jack CEGARRA, Le Nom de la marque, Paris, McGraw-Hill, 1990, p.85.

35.

Marcel BOTTON, Ibid., p.86.

36.

Jean-Noël KAPFERER et Gérard LAURENT, La sensibilité aux marques : Marchés sans marques, Marchés à marques, Paris, Les éditions d’Organisation, 1992.

37.

Jean CASTAREDE, Le Luxe, Paris, PUF, 1992, p.88.

38.

Jean-Noël KAPFERER, Les marques : capital de l’entreprise, Paris, Edition d’Organisation, 1998, 92.p.

39.

Jean CASTARED, Op.cit., p.91.

40.

Georges LEWI, Sale temps pour les marques, Paris, Albin Michel, 1996.