2. Luxe et Communication

On peut dire que la valorisation des produits de luxe s’inscrit naturellement dans les phénomènes socio-économiques. Leurs créations et leurs développements donnent encore plus de résonance aux produits grâce à la diversité des moyens de communication utilisés dans ce milieu, et aux marques qui manifestent une notoriété mondiale. On dit que la presque totalité de la communication commerciale est identifiée avec la communication publicitaire. Voyons précisément les budgets consacrés à la publicité.

D’après Eric Sommier, » les budgets publicitaires d’une marque majeure, si l’on consolide les efforts de communication partant sur l’ensemble des produits, y compris le parfum, s’élèvent à plus de 4 millions d’euros par an sur un pays comme la France » 62 . Par exemple, le groupe LVMH investit par exemple 11% de son chiffre d’affaires pour la communication : « pour les marques de LVMH, l’image est un actif irremplaçable, à enrichir sans cesse. Le Groupe investit fortement en communication, à hauteur de 11% de son chiffre d’affaires. Ces investissements contribuent à renouveler les images de marque, les inscrivent dans la modernité, soutiennent, à l’échelle mondiale, les lancements de produits » 63 .

D’une manière générale selon Castarede 64 , la répartition de la communication médias /hors médias est la suivante :

Tableau 9
Médias Hors-médias
29,5 % Presse 17% Promotion
17,5 % Télévision 9 % Publicité directe
9 % Affichage 5,5 % PLV
5,5 % Radio 1,5 % Exposition, foires,
salons, sponsoring, congrès, mécénat
1% Cinéma 3,5 % Divers

Le luxe représentant 5% du total des dépenses de la communication, soit plus de 500 millions d’euros, la communication est relativement plus importante en ce qui concerne le mécénat, la promotion, les événements, c’est-à-dire le hors-média, sans oublier la presse spécialisée.

Il est vrai que le développement des politiques de marque a amené à une multiplication et à une sophistication des techniques de communication commerciale. Mais ce qui est important pour notre étude, c’est que la communication média soit cohérente avec son image. Une marque du luxe peut aujourd’hui véhiculer ses messages de façon diversifiée, au travers de nombreux supports. En ce qui concerne le problème des divers supports du luxe, nous traiterons dans le prochain chapitre des « Supports publicitaires du luxe ». Nous verrons ainsi les multiples techniques de communication qui permettent à une marque de luxe de faire entendre sa voix et d’étayer son discours.

C’est pour cela que nous sommes entièrement d’accord avec Castarede : « le produit de luxe est à la fois un objet et un espace mental. La communication s’appliquera donc à sa qualité, son prix, son utilisation, sa commodité, mais surtout à son originalité, sa valeur, sa beauté, sa nouveauté, sa capacité de vous faire entrer dans un cercle d’initiés ou de privilégiés. Puisqu’il s’agit d’un produit qui raconte une histoire, la communication va jouer un rôle fondamental » 65 .

Puisque la demande de luxe s’oriente vers des désirs autres que la satisfaction des besoins matériels, la dimension imaginaire constituera le facteur essentiel. La communication sera le principal outil pour construire et renforcer cette dimension. La marque a ainsi une véritable personnalité. En tant que vecteur de sens, la marque de luxe est un principe abstrait de la communication, elle ne prend forme qu’en s’incarnant dans des supports réels et sensibles. Les principes de leur « Identité Visuelle » 66 sont appelés à répondre aux trois besoins de visibilité, de permanence et de cohérence engendrée par le développement même de la logique de marque :

Par ailleurs, pour aborder un marché, une marque a le choix, d’après Marcena 67 et ses collègues, entre quatre voies qui dépendent de la combinaison entre la stratégie de communication et la stratégie de prix :

Les marques de luxe ont donc le choix entre une forte communication s’adressant à un public assez large, ou une faible communication destinée à une élite. Il est vrai que cela n’est pas aussi simple. Donc nous allons en bref voir qu’il y a autant des stratégies de communication que de types du luxe. Nous pouvons aussi dire que chaque objet luxueux réclame une communication particulière et abondante. 

Il est vrai que la communication du luxe veut refléter les nouvelles tendances et adapter ses stratégies à ses nouvelles cibles nationales et internationales. De ce point de vue, nous empruntons encore une fois la classification à trois niveaux de Allères pour analyser systématiquement le luxe accessible, le luxe intermédiaire et le luxe inaccessible.

Premièrement, pour le luxe accessible : « les créations de ces maisons étant quasiment parfaites précieuses, rares, destinées à une élite de la population extrêmement nantie, soucieuse parfois d’une certaine discrétion (acquisition de modèles exclusifs de haute-joaillierie) et toujours désireuse d’une distinction absolue par la sélection d’objets et ou de modèles inaccessibles, très peu diffusés, une mise en valeur de la marque ou de la Maison se doit d’opter pour des opérations très prestigieuses, destinées à cette classe distinctive » 68 .

Pour la haute couture, la communication repose d’un côté sur des images dans des revues sélectives. Dans ce cas, les grandes maisons obtiennent aussi du rédactionnel dans ces même revues grâce aux défilés qui sont grand public. De l’autre côté, la communication se tourne vers des événements sportifs très mondains comme le Prix de Diane Hermès qui a lieu chaque deuxième dimanche de juin, la course de chevaux étant un bon prétexte pour communiquer tout en restant dans la tradition de la maison. Enfin, il y a des événements culturels très élégants comme des expositions sponsorisées par les marques.

Deuxièmement, pour le luxe intermédiaire, il s’agit de développer les marques traditionnelles et de faire connaître les nouveaux stylistes (John Galliano de Christian Dior, etc.). Dans ce cas, les campagnes de communication « doivent, à la fois, atteindre un public un peu plus large, classes très nanties de la bourgeoisie plus récente et rester suffisamment limitées, afin de préserver la grande sélectivité des marques et des produits. A travers ces campagnes de communication, la clientèle à atteindre doit retrouver, à la fois, la rareté relative et la distinction nécessaire à une certaine auto-satisfaction, et la garantie d’un potentiel d’acheteurs assez large et uniforme, sceau de son bon choix et de son bon goût » 69 . La publicité est alors un peu plus large. Ce qui est essentiel est le fait que l’on peut identifier tout de suite la marque, puisqu’on est dans le positionnement comparatif. Dans ce domaine aussi, les événements jouent un rôle important.

Enfin, le luxe accessible repose sur des marchés très concurrentiels : « l’élection d’un objet ou d’un produit de luxe accessible, reposant à la fois sur ses qualités intrinsèques, sur sa présentation, sa politique-prix et sa distribution, la campagne de communication, l’accompagnant, doit intégrer tous ces critères et les mettre respectivement en valeur » 70 . Dans ce cas, les marques font appel à tous les types de médias, donc, la communication est très complète et très abondante (rédactionnel, publicités dans la presse, à la télévision, au cinéma). C’est pour cela que l’approche des fêtes comme Noël, la fête des mères, la saint Valentin, etc., il est difficile d’échapper aux publicités pour les cosmétiques et les parfums de grandes marques. Dans cette situation, ce qui est important, pour les marques de luxe, c’est plus la notoriété du produit que de la marque. Malgré cela, la stratégie de communication s’inscrit dans la politique globale de la marque car la cohérence, chez eux, est toujours recherchée. Ainsi en se faisant représenter par une actrice comme Inès Sastre, Lancôme se sert de cette image pour le parfum, les cosmétiques, soit tous les domaines de la marque.

Mais un nouveau support est apparu. En moins de dix ans, cette nouvelle technique a permis de mettre en œuvre de nouvelles réalisations dans sa communication. De grandes marques étendent chaque jour leur domaine du luxe en atteignant sans cesse de nouveaux consommateurs, au risque sans doute de banaliser l’objet de luxe en le rendant de plus en plus accessible. Les phénomènes socio-économiques sont tous liés. Le luxe suit aussi des concepts « en vogue» pour produire des arguments promotionnels aux conseils en communication. De ce point de vue, le style cyber et immatériel sont de plus en plus développés en communication. Nous pouvons trouver plusieurs exemples sur les sites Web du luxe : l’apparition de la personnage virtuelle sur le site de Guerlain, la préparation des goodies variées sur plusieurs sites du luxe, l’adaptation de la musique Rock ou Techno qui est à la mode chez les jeunes en tant qu’ambiance sonore, etc.

De nombreuses marques de luxe jouent sur de nouveaux imaginaires. La tendance actuelle est dominée par le « luxe virtuel ». Même les marques de luxe classique comme Vuitton et Gueralin s’inspirent du discours actuellement en vogue chez les jeunes. A cet égard, Vuitton y présente la collaboration avec Takashi Mourakami qui s’inscrit dans la tendance des jeunes « la culte des cultures asiatiques et des caracters-products créées » pour la collection printemps-été 2003. C’est comme cela que cette marque veut s’inscrire à la culture des jeunes en adaptant les personnages d’animation à ses nouveaux produits. « Série limitée et numérotée de boîtes à bijoux rigide, illustrés des quatre personnages crées par Takashi Mourakami à l’occasion du défilé Louis Vuitton printemps-été 2003. (…) Chacun de ses personnages LV Hands, Flower Hot Man, Onion Head et Panda est sérigraphié à 200 exemplaires. Il se déclinent également sur une ligne d’accessoires carré de soie, barrettes à cheveux, dragonne pour téléphone .»71

De l’autre part, il est vrai que le groupe LVMH fait part de ses stratégies sur son site Internet, il souligne l’importance de « l’enrichissement de l’image de chacune des marques » 72 . Mais, dans cette situation, certaines marques sont perplexes, autrement dit les images des publicités des différentes marques de luxe se ressemblent bien souvent, mettant en avant des top modèles aux postures et expressions de plus en plus choquantes. Même si Christian Dior et Christian Lacroix appartiennent au même groupe, leur univers est différent, et la femme qu’ils habillent ne raconte pas la même histoire. La marque délimite ce que Sommier nomme un « territoire » : chaque marque doit être reconnaissable par les consommateurs. Ainsi, pour reprendre l’exemple de Christian Lacroix et Christian Dior, le premier attire sa cliente sur le terrain du baroque, des couleurs, du sud, tandis que le second « nous livre volontiers un style ostentatoire, souvent un peu suranné, proclamant la richesse matérielle de son consommateur » 73 .

Dans ce contexte, l’Internet finira-t-il par tuer la rareté de l’objet de luxe ? Robert Rochefort nous met en garde : « nous aimerions pouvoir séparer clairement les fonctions de la consommation. D’un côté, il y aurait l’utilitaire – les produits ménagers, les aliments de base, par exemple – et de l’autre, ce qui ressortirait davantage du plaisir et dont on pourrait dire, pour aller vite, qu’il concerne l’ensemble des produits appelés, à tort ou à raison de luxe. Cette connotation signifiant non pas qu’ils sont réservés à une petite minorité, mais qu’ils ne sont pas absolument nécessaires à la vie, que l’on pourrait en quelque sorte s’en passer sans dommage si cela était indispensable. L’alchimie de la consommation est tout autre. C’est bel et bien à l’intérieur de chaque objet acheté que se confondent ces deux dimensions, ce qui ne veut pas dire qu’elles y soient à parts égales. Tout produit de luxe : parfum, robe de haute couture, champagne millésimé, a une contrepartie utilitaire, même si ce n’est pas d’abord ainsi qu’il se caractérise. Il permet par exemple de séduire ou d’établir une convivialité et cela lui donne une fonctionnalité »74.

Nous arrêtons maintenant l’analyse de la relation entre luxe et communication parce que nous verrons plus tard dans le chapitre suivant comment fonctionne les supports publicitaires et après, dans la troisième partie, quelle sorte de communication peut se faire sur les sites Internet de marques luxe. Donc, à présent, il sera intéressant de voir qui sont les consommateurs de produits de luxe parce que c’est eux qui sont les cibles des communications des marques de luxe.

Notes
62.

Eric SOMMIER, Le monde en mouvement, Paris, Villages Mondial, 2000, p.74.

63.

Cf. FAQ rubrique « Le groupe-communication » du site LVMH ( http://www.lvmh.com ).

64.

Jean CASTAREDE, Op.cit., p.85.

65.

Jean CASTAREDE, Op.cit., p.83.

66.

Andrea SEMPIRINI, La Marque, Paris, PUF, 1995, p.69-75.

67.

Luc MARCENAC, Alain MILON et Serge-Henri SAINT-MICHEl, Stratégies publicitaires, Pairs, Bréal, 1998, p. 44.

68.

Danielle ALLERES, Luxe : Stratégies-marketing, Paris, Economica, 1995, p. 210.

69.

Ibid., p. 212

70.

Ibid., p. 213.

72.

Cf. rubrique « Le Groupe-Stratégie » ().

73.

Eric SOMMIER, Op.cit., p.45.

74.

Robert ROCHEFORT, La société des consommateurs, Paris, Odile Jacob, 1995, p.21-22.