4. Luxe et contexte social

Danielle Allerès, dans son livre Luxe : un ménagement spécifique, établit des corrélations intéressantes dans le temps entre les motivations et les modes de vie.

‘« Dès le début des années soixante, de leurs besoins de première nécessité (logement, alimentation, soins...), les consommateurs des pays développés révisent leur échelle de priorités. La part de leur budget consacrée à une demande de biens de plus en plus qualitatifs s’accroît rapidement (habillement, cosmétique, loisirs...). Bénéficiant d’une période de croissance économique forte régulière, les ménages jouissent d’un pouvoir d’achat croissant soutenant ce désir de réviser leurs choix de consommation. Rééquipés de bien modernes ayant satisfait leurs besoins basiques, les ménages montrent délibérément leur attirance pour, à la fois, des biens de meilleure qualité et pour des secteurs d’activité nouveaux et plus sélectifs (parure, voyage, sports...). Plus que l’expression d’une satisfaction personnelle ou familiale utilitaire, la demande globale de consommation des ménages moyens traduits, de plus en plus, et suivant les secteurs d’activité, une satisfaction affective ou émotive et un besoin de positionnement social relatif » 89 .’

En ce qui concerne les contextes sociaux actuels, nous avons récemment passé une période difficile. Il s’agit de la guerre entre les Etats-Unis et l’Irak. Mais il est prématuré de commenter cette guerre concernant notre sujet. Au lieu de cela, nous allons voir des événements un peu plus anciens. Il y a beaucoup d’études qui concernent les courants socio-économiques des années 1980 et aussi la guerre de Golfe, qui a inversé la tendance à reconsidérer certaines aspects.

Pour notre étude, c’est le 11 septembre 2001 qui nous intéresse. Cet évènement a, de son côté, modifié les attitudes vis à vis du luxe, notamment avec la peur des voyages. Au deuxième trimestre 2001, les ventes mondiales du luxe comme accessoires, haute couture, parfums, maroquinerie, horlogerie et joaillerie représentaient deux fois plus qu’en 1992 et trois fois plus qu’en 1985 90 . D’après Castarede, ce phénomène vers le luxe reflétait d’abord une prospérité planétaire.

‘« Américains enrichis par la plus longue période de croissance de leur histoire, Européens requinqués par la reprise, ou des Asiatiques sortis du marasme, les consommateurs avaient clairement décidé de se faire plaisir. Les Américains et les Japonais étaient les premiers consommateurs de luxe » 91 . ’

Afin d’identifier ces courants et ces analyses de comportements, nous faisons d’abord appel à l’étude de la COFREMCA qui est cité par Castarede 92 . La COFREMCA ne publie pas ses études sur le luxe, mais commente régulièrement des baromètres que l’on peut se procurer. D’une manière générale, la COFREMCA confirme, en ce début du XXIe siècle :

Rapprochons-nous plus précisément du marché du luxe. En effet, l’année 2001 avait plutôt bien commencé pour le secteur du luxe avec de bonnes croissances d’activité. Les événements du 11 septembre ont alors été le véritable catalyseur d’une crise mondiale et les répercussions pour le secteur ne sont pas négligeables. D’après Michael Kowalsky 93 , le CEO de Tiffany, il était évident que l’environnement du marché était difficile, un grand nombre de facteurs ayant eu un effet négatif sur l’humeur des consommateurs américains et étrangers. Pour Tiffany aussi, ce climat a contrasté énormément avec le troisième trimestre de l’an 2000, au cours duquel il avait enregistré une hausse des ventes de 15%. En fait, les ventes ont baissé de 10% au troisième trimestre 2001.

Quelles sont les principales raisons de ce résultat ? Nous pouvons distinguer trois niveaux de répercussions de cet événement pour les marchés du luxe à l’aide de Castarede 94  :

  1. l’impact économique
  2. l’impact monétaire ; l’évolution à la baisse des monnaies notamment du yen par rapport au dollar, qui détermine le pouvoir d’achat des Japonais lors de leurs déplacements à l’étranger ;
  3. la chute des flux touristiques ; notamment le tourisme japonais qui constitue l’une des principales clientèles des groupes de luxe.

Surtout, c’est la troisième répercussion qui est la plus importante et qui explique ce résultat. Les répercussions des attentats qui ont frappé l’Amérique se font sentir au-delà des mers : les Japonais annulent en masse leurs voyages. L’industrie du luxe aux Etats-Unis est en effet dépendante (à 40%, selon les estimations) 95 des touristes fortunés pour renflouer ses caisses. Nous imaginons que la France est aussi dans la même situation. Certes la bonne tenue des ventes japonaises aura du mal à contrebalancer les pertes dues à la baisse du tourisme en Europe et, surtout, au choc subi plus directement aux Etats-Unis (26% des ventes).

Il s’agit aussi d’interpréter cette baisse comme l’absence d’envie de consommation. Les gens ne sont tout simplement pas d’humeur à s’offrir un produit de luxe ces jours-ci, d’autant plus que leurs placards sont pleins. Cela ne peut pas dire que tous les gens fortunés ne continuent pas à consommer les produits de luxe. Mais il est certain que cette crise influence beaucoup le marché du luxe. Indiquons un autre exemple : au cours de six premiers mois de l’année 2001, les exportations de champagne vers les Etats-Unis étaient en baisse de 50%.

Tableau 10
Tableau 10

Maintenant, il est intéressant de voir le sondage de CB News 96 qui est réalisé sur « Les internautes et le luxe », en ce qui concerne la relation entre le contexte actuel et l’achat de produits de luxe. Par exemple, quels impacts les attentats du 11 septembre ont-ils eu sur les comportements ? Sur les 828 personnes ayant acheté un produit de luxe (tableau 10), 53% déclarent continuer à réaliser ce type d’achat. Pour la majorité (tableau 11), le contexte ne les décourage pas, et ne les découragera pas, d’acheter des produits de luxe. Néanmoins, un tiers des internautes pense que le contexte l’a découragé d’acheter, et un cinquième qu’il le découragera.

tableau 11
D’après vous, les attentats du 11 septembre et dans le contexte économique actuel :
  Ont découragé les gens d’acheter des produits de luxe (1150) Vont décourager les gens d’acheter des produits de luxe (1150)
Tout à fait d’accord
Plutôt d’accord
Plutôt pas d’accord
Pas du tout d’accord
5 %
23 %
44 %
28 %
5 %
17 %
46 %
32 %

Pour mieux comprendre cette relation, il vaut mieux lire l’interview 97 de Gilles Weil, vice-président de Group L’Oréal par CB News :

«  - CB News : Comment les marques de luxe de l’Oréal ont-elles traversé la crise ?
- Gilles Weil : La crise du luxe n’est pas globale. Elle connaît des clivages géographiques et par types de produits. Deux zones ont été particulièrement touchées : le travail retail, déjà en plein redressement, et l’Amérique du Nord à la suite du 11 septembre, mais également d’une conjoncture stagnante et d’une orientation des achats vers un luxe moins visible et plus personnel. A l’inverse, d’autres zones sont extrêmement dynamiques. Au Japon, notre croissance est toujours à deux chiffres, et Lancôme est devenue la marque leader dans les magasins les plus importants. Le reste de l’Asie progresse de plus de 30%, la Chine, où nous sommes présents depuis longtemps, dépasse + 50% par an. Les pays de l’Est et l’Amérique latine sont en forte croissance. Lorsqu’on réduit ses dépenses importantes, on cherche à enjoliver son quotidien. Et dans les pays qui s’ouvrent au luxe, les femmes ont envie de se faire plaisir par des produits à effet immédiat. La nouvelle génération des jeunes Chinoises, par exemple, est de plus en plus belle, lit la presse, veut les dernières nouveautés ».
Notes
89.

Danielle ALLERES, Luxe : Stratégies-marketing, Paris, Economica, 1990, p. 69.

90.

Jean CASTAREDE, Le Luxe, Paris, PUF, 2003, p.115.

91.

Jean CASTAREDE, Ibid., p.115.

92.

Jean CASTAREDE, Ibid., p.72-73.

93.

Cf. l’article de Anne SENGES, dans la rubrique « Luxury blues » de CB News, n°684, 17-23 décembre 2001, p.26

94.

Jean CASTAREDE, Op.cit., p.116.

95.

l’article de Anne SENGES, dans la rubrique « Luxury blues » de CB News, n°684, 17-23 décembre 2001, p.26.

96.

N°684 (le 17 décembre 2001) de CB News qui est entièrement consacré au Luxe, p.120-121 : Sondage réalisé sur le panel exclusif « Le club des internautes » de FullSix (représentatif des internautes se connectant à domicile). 1150 questionnaires ont été complétés (période du 15 au 19 novembre 2001).

97.

Cf. l’article de Gisèle PREVOST, dans la rubrique « En période de crise, il faut continuer à investir »de CB News, n°728, 16-22 décembre 2002, p.86.