2.5. Frein de la communication sur Internet

Il est vrai que la distribution des produits de luxe est essentiellement sélective. Les objets de luxe sont toujours mis en valeur de manière optimale. C’est donc que les boutiques de luxe n’ouvrent pas leurs portes à n’importe quel endroit : « Aux Etats-Unis et au Japon, les réseaux de distribution étant très différents et reposant moins sur une multiplication des petits magasins propres aux marques ou franchisées et, davantage, sur des grands magasins extrêmement électifs, en comparaison avec les grands magasins les plus sélectifs français, les circuits de vente des marques françaises les plus luxueuses sont souvent organisés en fonction de ces deux opportunités : magasins propres (Madison Avenue à New York et Guiza à Tokyo) et grands magasins sélectifs »134.

Ouvrir une vitrine virtuelle sur l’Internet peut alors sembler contradictoire avec cette politique d’emplacement. Pourtant, de grands magasins comme Hermès vendent leurs produits sur Internet. Il semble que la vente en ligne de produits de luxe ne choque personne aux Etats-Unis et au Japon. La sélectivité de la distribution dépend aussi de la nature du luxe. Il est plus facile de trouver sur Internet des parfums et cosmétiques.

En fait, sur le site Cartier ( www.cartier.com ), Richard Lepeu, président de Cartier International, donne son avis sur le commerce en ligne comme suivant : « La vente sur Internet aujourd’hui est antinomique avec la notion de produit de luxe tel que je le conçois. Un produit Cartier ne se résume pas à une marque ou à une image sur un écran. Il est dissociable de la création, du temps nécessaire à sa réalisation et du plaisir qu’il y a à le découvrir, à le toucher, à le porter, pour apprécier son caractère unique et exceptionnel. Rien ne peut remplacer la compétence des hommes et des femmes dont le principal objectif est de conseiller et de satisfaire notre clientèle, contribuant ainsi au prestige de notre maison ».

Comment assurer aujourd’hui sur Internet la qualité des services que nous offrons dans les boutiques ? Notre dirigeant de Cartier répond que : « nous avons choisi de vendre nos produits dans des lieux prestigieux, seuls capables pour l’instant d’offrir à nos clients le service et la qualité requis. Les boutiques Cartier et les magasins agréés à notre marque sont en outre seuls garants de l’authenticité et des valeurs propres à nos produits. Enfin, notre réseau de distribution est le seul à pouvoir offrir à nos clients le bénéfice de la Garantie Internationale Cartier. (…) Toutefois, il arrive que des produits de Cartier soient en vente sur Internet. Les acheter dans ces conditions, c’est perdre le service, la garantie d’authenticité et de qualité donnée par le réseau développé par Cartier pour servir ses clients. Mais acheter des produits sur Internet c’est aussi pour le client perdre le bénéfice de la Garantie Internationale de Cartier et prendre le risque d’acquérir un produit contrefait ou altéré. Notre notoriété et notre réputation dépassent les frontières du monde réel et investissent le monde virtuel. Ne pas vendre sur Internet dans les conditions actuelles, non propices à la vente de produits de luxe, est aussi une mesure appropriée pour lutter contre la contrefaçon ». Mais, malgré son argumentation, il est aussi évident que la distribution sur un site officiel de la marque pourrait garantir aussi dans une certaine mesure la sélectivité.

De l’autre côté, écoutons les explications du PDG, Thibault Ponoroy 135 concernant la commercialisation sur le site des Galeries Lafayette, ils nous aideront à mieux comprendre le choix des marques de luxe :

‘« Pourquoi Guerlain se lance-t-il dans la vente en ligne par l’intermédiaire du site des Galeries Lafayette ? Le net est devenu un média privilégié, notamment chez les jeunes générations. C’est un élément culturel irréversible. Partant de ce constat, nous ne pouvions pas, en tant que Guerlain, exclure le Net de notre stratégie. Cela paraissait naturel et évident de mettre en place cette activité complémentaire. C’est la raison pour laquelle nous avons décidé de nous associer à l’un de nos grands distributeurs dont on savait qu’il respecterait parfaitement les codes de la marque. D’ailleurs, c’est davantage dans un axe de service complémentaire à destination de notre cible féminin, active et urbaine, que dans un objectif commercial que nous nous associons aux Galeries lafayette. Du reste, les ventes ne devraient pas dépasser 2% du chiffres d’affaires déjà réalisé avec ce groupe ». ’

De l’autre côte, le prix de la construction d’un site commercial ajoute du poids. En fait, un site purement informatif ne coûte pas vraiment cher : d’après Sommier « pour le prix d’une seule parution dans un journal, les marques de luxe peuvent créer leur site, réactualisable à la demande et l’enrichir de fonctions de veille marketing afin d’optimiser l’approche de leur clientèle potentielle » 136 . En revanche, les sites commerciaux et originaux requièrent de gros investissements : nous appelons encore l’aide de Sommier « en pratique, le développement d’un site de commerce électronique est un investissement coûteux. Les budgets publicitaires nécessaires pour en assurer la notoriété se mesurent en dizaines de millions d’euros. Disposer d’une marque établie auprès du consommateur, enseigne de magasins ou marque de mode, et capable d’assurer la promotion d’un site marchand au travers de ses budgets publicitaires traditionnels, représente un avantage déterminant. Internet devrait donc prioritairement profiter aux acteurs les plus importants et renforcer le processus de concentration engagé. (…) Par ailleurs, plus la richesse de l’univers d’une marque sera élevée, plus il lui sera possible de développer une mise en scène attractive de ses produits. Les marques disposant d’une forte valeur symbolique sortiront ainsi renforcées de cette mutation. »137

Par ailleurs, le problème de la contrefaçon ne peut pas être nié du tout. En fait, l’atteinte à la notoriété d’une marque ou d’un produit tient à ce qu’il existe de multiples manières de contrefaire une œuvre, une marque, un dessin, un modèle ou un brevet. D’après Allères 138 , on peut les classer ainsi :

Il est vrai que la définition et la prise en compte de la contrefaçon sont élargies à tous les niveaux de la création, de la production et de la représentation d’une marque, dans le domaine du luxe. C’est dans ce contexte que l’Internet joue le rôle principal en tant que provocateur de contrefaçons. Cet outil de la communication a considérablement favorisé les industries de contrefaçon. D’abord, il s’agit du problème de la contrefaçon au niveau de la distribution en direct sur Internet comme nous avons déjà parlé en haut. Dans ce cas, des contrefaçons visent à tromper le consommateur et sont donc très nuisibles aux marques authentiques, économiquement et au niveau de leur notoriété. Cette tendance peut se traduire par la volonté de copier l’apparence, c’est-à-dire les signes de reconnaissance.

Le déploiement des productions de la contrefaçon est, à la fois, plus diversifié et plus complexe grâce aux sites Web des marques de luxe. L’Internet, surtout les sites Web des marques de luxe, augmentent les possibilités de contrefaçons à travers les collections de couture, des défilés ou des catalogues virtuels. Autrement dit il s’agit de copies des designs et des idées de création des marques de luxe. C’est le cas quand l’invention et le concept original sont originaux et font l’objet d’une création ou d’une innovation de nature technologique. Selon les estimations de CB News, « 25% des produits de luxe sur Internet sont des faux. Or la contrefaçon n’est plus aujourd’hui synonyme de grossière imitation. Même la justice a dû l’admettre, à l’occasion d’un procès intenté, et perdu, par Gucci au site Internet Daffi’s, qui vendait sans le savoir des imitations des sacs Jackie O 139 . Par conséquent, la contrefaçon s’appuie sur l’imitation et les avantages procurés par le pouvoir symbolique de la marque.

En bref, ce qui freine la croissance de la distribution sur Internet est enfin le paradoxe de stratégie des marques de luxe. Malgré des essais de certaines marques de luxe qui ont déjà commencé à vendre leurs produits sur leur site, la plupart des sites veulent rester encore dans le concept essentiel, la rareté, en utilisant de nombreux prétextes sur Internet et en même temps ils rêvent de la grande consommation. N’est-ce pas ici le vrai paradoxe ?

Notes
134.

Danielle ALLERES, Luxe : stratégies-marketing, Paris, Economica, 1997, p.202.

135.

Voir à la rubrique Marie LEJEUNE-PIAT, « Comment Guerlain se vend sur le Net »,CB News, n°684, « Spécial Luxe », le 17 décembre 2001, p. 94.

136.

Eric SOMMIER, Le monde en mouvement, Paris, Villages Mondial, 2000, p.62.

137.

Eric SOMMIER, Ibid.,p.174.

138.

Danielle ALLERES,« La propriété intellectuelle dans l’univers du luxe», in Réseaux, Hermès, N° 88-89, mars-juin, 1998, p.141-142.

139.

Voir à la rubrique de Anne Sengès, « Protéger mes grandes marques de la contrefaçon», CB News, N°728, décembre 2002, p.56.