2.3. Communauté virtuelle

Selon Howard Rheingold 158 , « les communautés virtuelles sont des regroupements socio-culturels qui émergent du réseau lorsqu’un nombre suffisant d’individus participent à des discussions publiques pendant assez de temps, en y mettant suffisamment de cœur pour que des réseaux de relations humaines se tissent au sein du cyberespace ».

Les communautés virtuelles impliquent, sans contrainte de temps et d’espace, les ordinateurs et les réseaux de télécommunication d’une part, des hommes et des femmes du monde entier d’autre part. On assiste à une savante organisation d’hommes et de machines qui provoque aujourd’hui des sentiments de passion. Car elles possèdent un formidable pouvoir de mobilisation et de ciblage pour les marques, les communautés virtuelles représentent des enjeux sociaux importants.

Il est vrai qu’Internet offre une large palette d’instruments de communication. D’un côté, l’e-mail est en quelque sorte l’équivalent d’une lettre, à ceci près que le message atteint son destinataire en quelques secondes. De l’autre côté, le chat offre de son côté encore plus d’instantanéité. Le dialogue écrit est immédiat, car le ou les interlocuteurs sont derrière leur écran au même moment. Chaque internaute peut trouver un mode de communication satisfaisant parmi tous ces outils. Quant aux sites Web de marque de luxe, ils n’agissent pas comme la communauté de débats mais plutôt comme une sorte de club très fidèle qui vise à recevoir des services de la marque.

Par exemple, le site de Kenzo utilise le mot « tribu » pour ce genre de communauté et, en plus, il nomme le membre de ce communauté « Kaozen » (les gens qui aiment Kenzo). L’utilisation de ce mot « tribu » est très significative dans ce sens de communauté. Dans Le Temps des tribus 159 , le sociologue Michel Maffesoli explique comment la société se divise en de multiples communautés. La vision moderne de la société était universelle et globalisante. Elle est remplacée par une pluralité de micro-visions spécifiques à chacune de ces tribus. Ces dernières ne se constituent plus en fonction d’éléments rationnels. Au contraire, la dimension affective est extrêmement importante dans la formation des tribus. La logique rationnelle fait place à une logique émotionnelle. Ce sont des aspirations communes, des centres d’intérêt partagés qui précisent à la formation des nouvelles tribus. Maffesoli appelle cela le principe des « affinités électives ».

Selon lui, la société bourgeoise de l’ère moderne impliquait le développement de l’individualisme. La postmodernité, quant à elle, sera dominée par la notion de communauté, par la recherche de lien social. Cette logique de rétrécissement sur le groupe à une contrepartie positive : l’approfondissement des relations à l’intérieur de la communauté. Ainsi naissent de nouveaux réseaux de solidarité.

Ce point de vue est partagé par de nombreux acteurs de la recherche marketing. Ainsi Bernard Cova 160 précise à la revue Futuribles que si jusqu’alors les produits servaient avant tout à se forger une identité (« je suis ce que je consomme »), il s’agit de créer du lien social. Il constate le retour du désir de se relier aux autres, de participer à des communautés diverses. Et la consommation est un des théâtres de cette évolution. Il est probablement une des nouvelles facettes du marketing des marques de luxe : créer du lien, intégrer le phénomène des tribus pour développer un marketing de plus en plus orienté sur la notion de communauté virtuelle.

Toutes les communautés virtuelles des marques font appel à une stratégie identique : séduire les utilisateurs et les inciter à consommer leurs services. Donc pour développer la communauté de la marque, le thème doit coller à l’image de la marque, même s’il ne fait pas partie de sa culture. D’après Alexandre Stopnicki 161 , les investissements en temps et en argent ne doivent pas être sous-estimés, mais aussi ses risques sont plus grands. Donc le marketing repose principalement sur :

En ce qui concerne la communauté virtuelle des marques de luxe, nous trouvons un genre de communauté qui s’appelle « My Lancôme » dans toutes les versions de sites Web (versions de 22 pays) de Lancôme. En fait, les communautés virtuelles peuvent être plus ou moins actives ou passives. Car l’internaute ne souhaite pas forcément participer à la communauté, mais désire simplement recevoir des bénéfices. Il est vrai que cette communauté virtuelle est également indépendante et à la fois rattachée à des services à la dimension du site Web car, si nous devenons un membre de la communauté, il y aura plusieurs avantages virtuels et réels. Citons les phrases du site de Lancôme :

Pour représenter un bon exemple de l’émergence de la communauté répondant aux besoins des internautes sur un thème précis, le site Lancôme assure un flux d’informations continu pour satisfaire les internautes dans leur quête du résultat et met en scène ce continu pour provoquer une interaction permanente. Par exemple, dans la versions coréenne de Lancôme, le site organise des sondages sur les préférences de chaque genre de produit : « Quel est le meilleur mascara pour vous ? », « Votez pour le mascara que vous préférez le plus».

Par ailleurs, ce genre de communauté a pour objectif d’agréger, de partager et de comparer des expériences et des passions communes à tous leurs membres. Donc il y a un espace de discussion pour raconter ses sentiments après l’utilisation du produit. Un utilisateur n’a pas les mêmes attentes et ne recherche pas les mêmes effets donc cet endroit virtuel peut bien fonctionner. En fait, les communautés de débats ont pour fonction d’établir le dialogue autour de centres d’intérêts communs. Ceci est relativement rare pour l’instant dans le secteur du luxe : parmi nos corpus, il y a un seul cas qui prépare le forum de débats : Lancôme Corée parmi 20 versions de sites préparés. La communauté peut recouvrir des formes multiples et variées. Elles peuvent être libres d’accès mais avec la nécessité d’une inscription, comme la plupart des forums de discussion ; elles peuvent également être modérées, de façon à permettre un dialogue souvent plus constructif. Le succès de cette marque n’a pas manqué d’attirer l’attention des autres marques. C’est pour cela que Lancôme Corée peut devenir un modèle pour de nombreuses marques de luxe. Cette version est actuellement une étoile montante du marché du forum de discussion de luxe sur Internet.

Examinons le cas de Lancôme Corée. En ce qui concerne le petit écran de cookie, nous pouvons trouver un forum potentiel qui s’appelle « Juicy Beauty Forum » qui se déroule de 19 juin à 18 juillet. L’objectif de ce forum est de promouvoir un nouveau produit : nouveauté « Juicy Rouge » : « Présentez vos épisodes et partagez vos recettes sur des façons de se maquiller notamment concernant les lèvres ». Ce site invite les internautes à partager leurs secrets de maquillage des lèvres dans ce forum. Il est vrai que ce forum est un genre de promotion de la marque donc si les internautes y participent, il y aura forcément des occasions de recevoir un cadeau.

C’est la raison pour laquelle, ces communautés peuvent également être à but commercial ou non. Car, d’un côté, des internautes peuvent échanger des informations non commerciales mais de l’autre côté, ils peuvent donner leur avis sur un produit de la marque. Ce forum n’est peut-être pas un forum sérieux mais cela est plutôt proche d’un event. Il est vrai que les sites de communautés d’intérêt et de chat sont restés jusqu’à présent largement en deçà de leur potentiel économique. Tous les internautes, néanmoins, ne vivent pas une communauté virtuelle dans le but de satisfaire à des besoins physiques émotionnels ou intellectuels. Nombre d’entre eux exigent une médiation plus utilitariste d’Internet. Ils se comportent en consommateurs ayant des besoins et des désirs qui attentent d’être comblés. Ils exigent d’une communauté virtuelle consacrée à un secteur d’activité, à un bien ou à un service particulier une information exhaustive et la possibilité de consommer directement depuis cet univers. Malgré cela, nous apprécions que ce soit un premier pas de la communauté virtuelle dans le secteur du luxe.

Notes
158.

Howard RHEINGOLD, Les communautés virtuelles, Addison Wesley, Paris, 1995.

159.

Michel MAFFESOLI, Le Temps des tribus : Le déclin de l’individualisme dans les sociétés de masse, Paris, LGF, 2000.

160.

Bernard COVA, « Le lien plus que le bien : Rebondissement ou mutation du système de consommation », Futuribles, Paris,Novembre 1996, n°214, p. 5-17.

161.

Alexandre STOPNICKI, « Une forme originale de publicité sur Internet : les communautés virtuelles », La publicité sur Internet, Paris, Dunod, p.173-184.