2.2.1. La tendance musicale qui connote l’univers de la marque elle-même

En site Web comme en télévision, le contexte n’est pas celui du langage commun qui assume la transmission naturelle d’informations entre un destinateur et un destinataire. Il se présente d’abord sous l’aspect d’un outil technique qui diffuse les images et les textes donnés, ensuite, il se démarque par des moyens musicaux. A l’intérieur de sites, la marque a l’intention d’écarter ses concurrents, s’en différencier et leur imposer sa présence. D’où vient de l’importance conférée dans cette situation à la pertinence du musical. Le son conçu est l’objet d’une transaction communicationnelle avec la marque. Si la scène de page a déjà fait l’objet d’une musicalisation, son intégration ponctualisée, abrégée, mais reconnaissable, assume la filiation de la marque. C’est-à-dire que dans le cas de sites Web, le site a l’intention de transférer la propre image de la marque à travers le style de sons qui correspondent aux images.

Dans la plupart des cas, on trouve des exemples dans le domaine rhétorique de la métaphore appliquée à la musique. Pour expliquer ce phénomène, il convient de rappeler la capacité de la musique à évoquer des images et des atmosphères, pouvoir évocateur qui a été largement décrit par des psychologues, musicologues et chercheurs en marketing. Qu’il s’agisse de l’instrumentation ou bien de l’ajoût du caractère de nature de ces différents messages cela montre que, dans la publicité, les signes musicaux fonctionnent parfois comme synecdoques, puisque l’on assigne à un instrument (au lieu d’un mot) une signification plus étendue que son contenu ordinaire.

Ainsi, le psychologue Francès 176 analyse dans son ouvrage consacré à la perception de la musique que celle-ci suscite des réactions qualifiées de « jugement de signification », à l’écoute d’une mélodie, l’auditeur est capable de repérer les ondes sonores et de les relier à des ambiances et des contextes spécifiques (la musique rappelle l’eau, une saison, un moment dans la journée, la lumière...). Donc, lorsque le client est soumis à une musique, il active automatiquement en mémoire un ensemble de pensées qui sont liées au style de la mélodie. L’existence de ces réseaux d’associations mémorielles a été mise en évidence dans de nombreuses études. Par exemple, dans le cadre d’une recherche marketing de Gallopel 177 réalisée sur 244 personnes, il était demandé aux prospectives d’indiquer ce que leur évoquaient les trois musiques instrumentales suivantes :

  • Bowie, I’m deranged (rock-techno)
  • Albinoni, Allegro moderato (baroque)
  • Parker, Lover man (jazz)
Tableau 20
Musique jazz Musique baroque Musique rock-techno
Sentimentale
Planante
Romantique
Légère
Calmante
Rétro
Intime
Feutrée
Douce
Séduisante
Tranquille
Majestueuse
Gracieuse
Noble
Gaie
Joyeuse
Vivante
Royale
Légère
Vive
Grandiose
Etrange
Inquiétante
Mystérieuse
Bizarre
Obscure
Energique
Sombre

Ce tableau peut être résumé par les sentiments ou les connotations qui ont émergé à l’écoute de ces trois extraits pour une description des méthodes de mesure des sentiments générées par la musique. Cette figure montre que les réseaux d’associations mémorielles sont très différents d’un style de musique à l’autre : chaque morceau évoque un ensemble d’émotions spécifiques. Voyons notre corpus qui fortement connotent l’univers de la marque ; Hermès et Vuitton.

Prenons d’abord l’exemple de Hermès. Dès que nous y entrons, nous rencontrons des images mouvantes de chevaux qui trottent et galopent avec des sons réels et l’accompagnement de la musique. Pour les visiteurs, c’est facile à identifier ; d’abord les sabots des chevaux et ensuite le hennissement des chevaux avec la musique électronique. Une authentique relation symbolique s’instaure entre les images et la musique accompagnée.

«  Le motif musical double le slogan et l’image de marque en ce qu’il est permanent, identifie une marque qu’il cite le plus souvent dans le texte du refrain, et possède, comme le slogan qu’il reprend aussi quelquefois, une valeur de louange, de persuasion et de mémorisation. » 178

Les hennissements et sabots des chevaux nous rappellent automatiquement l’image du logo de Hermès. Les mouvements des chevaux nous donnent une impression active de cette marque et en même temps le plein d’énergie parce que le cheval représente la force et la vitalité. Les sons de chevaux peuvent graver le logo dans la tête des visiteurs. C’est la raison pour laquelle on peut dire que le cas de Hermès est un véritable exemple qui utilise aussi bien les sons naturels que la musique pour renforcer l’image de sa propre marque.

Ensuite, voyons le cas de Louis Vuitton : peu de place est faite à la musique, mais celle qu’elle occupe est capitale dans l’instauration d’un rêve éveillé par simple superposition de signes musicaux avec les sons de la nature par rapport à ceux de la mer (le bruit de la mer et le chant d’oiseaux de mer... ), aux bruits naturels (les rires des enfants, les bruits d’automobile...) et avec de l’imagination un peu plus loin, c’est l’odeur du voyage :

  • faire rêver qu’on est déjà au bord de la mer
  • évoquer un lointain ailleurs
  • recourir à un instrument électronique comme le synthétiseur dont la connotation peut évoquer un monde idéal, rythmique et mystérieux

Les musiques de Vuitton condensent tous les problèmes de la métaphore musicale. En choisissant divers instruments selon le thème des zones pour baigner sa musique, la marque prend le parti de l’originalité. En accordant avec le réalisme comme le violoncelle, les chants d’oiseaux, le bruit de la vague, le sifflet d’un bateau à vapeur, le rire des enfants et aussi en acceptant le surréalisme d’un tempo et d’une musique électronique « à la mode », le son du site nous semble prouver la subjectivité de l’acte de sémantisation musicale.

A partir de la page d’accueil, on commence à entendre plusieurs bruits réels plutôt naturels enchaînés à une musique artificielle (électronique). L’onirisme du concept du « voyage » de la marque correspond à une recherche musicale qui transforme, par les moyens musicaux, l’évocation en réalité, le rêve comme en carte postale illustrée. A un strict réalisme sonore sont accordé avec une amusante idée du rêve, par exemple les rires des enfants, le bruit de la mer et le chant d’oiseaux de mer qui insistent sur des notions de fraîcheur et de bonheur populaire. Les chants d’oiseaux et le bruit du vent pourraient montrer qu’il s’agit de la nature qui nous donne cette grande fraîcheur dans notre époque stressante. « Un minimum phonique suffit pour rendre et transmettre un riche contenu conceptuel, émotif et esthétique », écrit Roman Jakobson. « Nous nous trouvons immédiatement devant le mystère de l’idée incorporée à la matière phonique » 179 . C’est une construction de la complicité pure de l’auditeur devant l’irréalisme du site. L’argument de l’image naturelle est encore remarqué par de la musique électroacoustique. Le prétendu « naturel » s’est montré grâce à ce genre de musique sans aucune sorte de discours parlé. Donc nous pouvons voir dans cet exemple que le son musical peut exprimer la « nature » ou plutôt le naturel des produits concernant le concept du « voyage », l’identité de cette marque.

Il y a plusieurs sortes de musiques sur les pages de ce site. Parmi ces musiques, ce qui est remarquable est la partie « Tradition ». Sous le thème de « Louis Vuitton, L’art de traverser le temps », les images mouvantes qui racontent la légende de Louis Vuitton se déroulent comme le film documentaire ; la couleur des pages est comme une photographie en noir et blanc usée, et la taille des pages est aussi intentionnée ; elle est plus petite que les pages classiques comme le vrai film documentaire tourné avec la pellicule 8mm.

Dès que nous cliquons sur cette image, nous pouvons d’abord écouter un indicatif musical pour annoncer le passage dans un autre monde. Elle a été composée avec un sublime instrument, « la harpe ». Ensuite, avec les images mouvantes, la musique d’un style ancien est déversée. Cela nous rappelle le style de la musique du fameux film « Le fabuleux destin d’Amélie Poulain » de l’an 2001. Comme le style musical du compositeur de ce film, Yann Tiersen, cette musique a été composée avec des instruments comme le violon, la flûte, et l’accordéon. Donc, cette musique nous permet de retourner au moins une fois dans notre passé avec nostalgie. C’est-à-dire que la musique devient la métaphore par la concrétisation en sons de l’expression de notions abstraites. Par conséquent, nous pouvons dire que le site de Louis Vuitton a essayé de nous offrir les émotions naturelles comme la nostalgie, le bonheur de la vie quotidienne et l’envie de voyager à travers des musiques variées.

Notes
176.

Robert FRANCES, La perception de la musique, Paris, Editions Vrin, 1958.

177.

K. GALLOPEL, « Influence de la musique sur les réponses des consommateurs à la publicité : prise en compte des dimensions affectives et symboliques inhérentes au stimulus musical », Thèse de doctorat en sciences de gestion, Université de Rennes1, 1998.

178.

Marc HONEGGER, Sciences de la musique, Paris, Bordas, 1976, p.1016.

179.

Roman JAKOBSON, Six leçons sur le son et le sens, 1re leçon, Paris, Ed. De Minute, 1976, p.22.