Chapitre III :
Marketing international

Le luxe est passé à un stade de plus grande maturité, son marché s’étend désormais au monde entier, avec des relais de croissance comme la Chine, la Corée, l’Europe de l’Est, l’Amérique latine. Aux marques de luxe de ne pas rater ces opportunités… Pour comprendre ce qui se passe actuellement dans le secteur du luxe au niveau du marketing international, il est central de s’intéresser au numéro de l’année 2002 de « Spécial luxe » publié chaque année par la presse française CB News :

«  La crise du luxe n’est pas globale. Elle connaît des clivages géographiques et par types de produits. Deux zones ont été particulièrement touchées : le travel retail, déjà en plein redressement, et l’Amérique du Nord à la suite du 11 septembre, mais également d’une conjoncture stagnante et d’une orientation des achats vers un luxe moins visible et plus personnel. A l’inverse, d’autres zones sont extrêmement dynamiques. Au Japon, notre croissance est toujours à deux chiffres, et Lancôme est devenue une des marques leader dans les magasins les plus de 30 % , la Chine, où nous sommes présents depuis longtemps, dépasse + 50% par an. Les pays de l’Est et l’Amérique latine sont en forte croissance. Lorsqu’on réduit ses dépenses importantes, on cherche à enjoliver son quotidien. Et dans les pays qui s’ouvrent au luxe, les femmes ont envie de se faire plaisir par des produits à effet immédiat. La nouvelle génération des jeunes Chinoises, par exemple, est de plus en plus belle, lit la presse, veut les dernières nouveautés. » 191 ’ ‘« Le luxe est passé à un stade de plus grande maturité, son marché s’étend désormais au monde entier, avec des relais de croissance comme la Chine, la Corée, l’Europe de l’Est, l’Amérique latine. Aux groupes français de ne pas rater ces opportunités » 192 . ’ ‘« Vuitton, la première marque de luxe de monde a réalisé, 50% de ses ventes hors de France et la griffe plus rentable de LVMH pèse pour 60% des profits de groupe ». 193  ’ ‘« Les performances du groupe en 2001 sont exceptionnelles, avec une croissance de la marque de Gucci de plus de 25% en Europe, au Japon et en Asie » 194 .’ ‘«  Chine : Le grand bond en avant : Avec une population de près de 1.4 milliards d’habitants, soit environ 22 fois celle de la France, et un taux de croissance annuel de 8%, la Chine sera-t-elle le nouvel eldorado des marques de luxe, alors qu’aujourd’hui, seule une frange bien inférieure à 1% de la population – ce qui représente tout de même près de 10 millions de consommateurs... – aux moyens d’accéder à leurs produits ? » 195 ’ ‘« Japon : le rêve des grandes marques : Les japonais aiment toujours autant le luxe, qu’ils l’achètent chez eux ou en France. Louis Vuitton reste numéro un au hit parade de leurs achats et les marques se battent pour ouvrir les plus beaux vaisseaux amiraux » 196 . ’ ‘« Thaïlande : La guerre du luxe secoue Bangkok. Les opérateurs espèrent transformer Bangkok en nouvelle destination de shopping touristique grâce à un nouveau centre commercial trop chic qui ouvrira ses portes en mars 2004. Le petit dernier d’une longue série ». 197 ’ ‘« Comité Colbert : Aider les marques françaises à se développer à l’étranger ». 198

Il s’agit des aspects de marketing international actuel dans le secteur de marques de luxe. Ce qui est essentiel est surtout le marketing asiatique des marques de luxe. Il est vrai que face à la diversité des cultures et des consommateurs, les marques de luxe ne peuvent pas échapper à une réflexion sur leurs plans d’action commerciale, sur leurs techniques de vente et, plus globalement, sur leur marketing. La publicité y joue un rôle particulier. En fait, la question de la publicité a depuis longtemps cessé d’être une question nationale. Sa dimension internationale est même constitutive de son histoire des réseaux de distribution et de consommation. Dans cette situation, les grandes marques de luxe ont la nécessité de communiquer avec des consommateurs de langues et de cultures différentes.

D’après Jean-Marc Décaudin 199 , définir le marketing international dépend de la signification qu’on donne au terme international : à travers les frontières (marketing de l’exportation), dans un pays étranger (marketing à l’étranger) ou dans plusieurs pays à la fois (gestion internationale du marketing).

D’abord le marketing de l’exportation, c’est la fonction marketing d’une marque qui se met à exporter, définir comme variable commerciale de l’ensemble export. Selon Terpstra 200 , cette conception est réductrice et simplificatrice car elle place le marketing au niveau des techniques de commerce international.

Quant au marketing à l’étranger, il sous-entend qu’à chaque environnement doit correspondre une approche marketing différente. Cette conception conduit les marques à adapter systématiquement leur marketing et leur communication à chaque pays ciblé. Ce genre de marketing est peut satisfaisant du fait de l’absence de réflexion stratégique globale.

De l’autre côté, la gestion internationale du marketing est la conception qui est considérée comme une fonction de la marque dont le champ d’action s’étend sur plusieurs pays. Pour Cateora 201 , le marketing international se définit dans son acceptation complexe comme l’exécution de l’ensemble des tâches du marketing dans de nombreux pays.

Actuellement, les marques de luxe sont à une étape importante dans le processus d’internationalisation du marché. Celle-ci consiste à communiquer un même produit, partout dans le monde. Par ailleurs, rappelons le fait que les supports sont de plus en plus diversifiés : presse, radio, télévision. Les agences de publicité multinationales, les réseaux de télévision transfrontalières, et le succès que connaissent les publications multi-langues ont contribué à l’essor du phénomène. Il suffit de regarder, pendant une journée, les chaînes de télévision par satellite pour voir les mêmes campagnes de publicité en plusieurs langues. De même, la consultation des différentes éditions hebdomadaires ou mensuelles d’un même magazine permet de retrouver les mêmes publicités traduites. Dans ce monde de supports publicitaires, Internet provoque une vraie tornade dans les univers publicitaires internationaux. La mise en place de site Web consacre l’ouverture des frontières et l’internalisation des échanges. Avec Internet, on change de système de marketing international surtout à travers les grandes marques internationales. Le nom de la marque constitue, en effet, la meilleure identification du site.

Donc notre analyse approchera le deuxième aspect de marketing international : « le marketing international à l’étranger sur les sites Web selon le pays et les cultures visées ». Les messages sur les sites Web, quel que soit leur degré d’universalité, doivent être traduits et plutôt interprétés dans la langue du consommateur local. Car il n’existe pas encore de langue « passe-partout » aux clients de tous les pays, laquelle permettrait une communication sans traduction et interprétation. L’anglais, malgré une large diffusion mondiale, n’est pas encore en mesure de servir de canal aux messages publicitaires en dehors des pays anglophones.

En fait, la construction des sites internationaux commence par l’analyse des forces et des faiblesses de la marque sur l’ensemble des marchés ciblés. Cette analyse diffère suivant son espace d’interprétation des textes et des images publicitaires sur les sites Web de la marque (multi-versions de chaque pays). De ce point de vue, la culture se situe au centre des débats, elle concerne la qualité de la traduction et l’adéquation du message au récepteur. Nous sommes d’accord qu’elle peut poser des problèmes ardus aussi bien au théoricien qu’au professionnel. La raison en est qu’il n’existe pas de conception unifiée de la culture. Non seulement tout peut être dit « culturel », mais encore une distinction nette est faite entre la culture du plus grand nombre et celle des élites sociales 202 .

C’est pour cela que la culture, en tant que synonyme de divertissement, est devenue un enjeu commercial d’envergure mondiale. Dans un monde où la concurrence économique est désormais un paradigme d’action régissant les rapports humains, il est difficile de penser la culture en marge des enjeux publicitaires. Mais cela ne signifie pas l’impossibilité d’une communication humaine fondée sur d’autres bases que celles de l’intérêt. L’universel ne peut être pensé sans la conviction que l’homme est « un » malgré la diversité de ses modes de vie. Dans Le regard éloigné 203 , Lévi-Strauss définit les cultures comme « autant de styles de vie particuliers, saisissables sous forme de productions concrètes : techniques, moeurs, coutumes, institutions, croyances ». Les cultures s’opposent donc par leur ancrage dans un sol, dans un espace et un temps donné.

Cette idée est très importante parce qu’elle fonde la faisabilité de la communication interculturelle. Comment concevoir, sinon, la possibilité de s’adresser à des consommateurs de langues différentes avec le même message ? Comment expliquer, ensuite, l’effet d’un tel message sur des récepteurs culturellement éloignés ? Comment croire, enfin, aux spécificités nationales si tous les consommateurs répondent aux mêmes stimuli ?

Il est vrai que les sites de marques de luxe proposent exclusivement la version anglaise. Nous pouvons donc distinguer 4 tendances de préparation de versions : premièrement, Bally, Burberry, Lancaster, Sisley, Versace parmi notre corpus, proposent une seule version anglaise. Deuxièmement, même si les sites sont pour la plupart d’origine française, ils ne nous offrent pas uniquement la version française, mais ils sont toujours accompagnés d’une version anglaise, comme par exemple ces 6 sites :Cacharel, Charles Jourdan, Dior, J.-P. Gaultier, Givenchy, Kenzo. Cela n’est pas très étonnant car la France est toujours n°1 dans le domaine de la mode , du secteur du parfum, de la joaillerie, de la haute couture et des spiritueux. Troisièmement, nous pouvons remarquer que 6 sites de notre corpus préparent des versions asiatiques comme une version japonaise ou une version chinoise et une version coréenne, tout en conservant les versions anglaises et françaises. Ceci en raison du fait de l’affection de ces populations pour les grandes marques comme Guerlain, Helena Rubinstein, Hermès, Louis Vuitton, Cartier. Enfin, seul Lancôme propose plusieurs versions de langues ( 22 versions).

Tableau 21
  Une seule langue
(A)
Deux langues
(A + F)
Trois langues
(A+F + I ou J)
Quatre ou cinq langues
(A+ F+ J+ Ch +Co)
Versions variées
20
marques
Bally,
Burberry,
Lancaster,
Sisley,
Versace,
Cacharel,
Charles Jourdan, Dior,
J.-P. Gaultier, Givenchy,
Kenzo
Guerlain ,
Gucci
Helena Rubinstein, Hermès
Paco Rabanne
Louis Vuitton,
Cartier
Chanel
Lancôme,
Total 5/ 20 6/ 20 5/ 20 3/20 1/ 20
( A : version anglaise, F : française, J : japonaise, I : Italienne, Ch : chinoise, Co : coréenne)

Il semble donc qu’au moins 15 sites sur 20 s’intéressent à la notion de « multi-versions ». Ce genre de marketing international des marques de luxe génère automatiquement le débat entre la standardisation de la stratégie marketing sur l’ensemble des pays ciblés et l’adaptation de la stratégie pays par pays, garant d’une réponse appropriée aux besoins spécifiques de chaque marché. Donc pour notre étude, dans ce chapitre, notre intérêt porte sur deux dimensions : la standardisation et l’adaptation.

L’analyse de la standardisation peut être classer en deux sous-étapes :

  1. Universalisation à travers une seule version ; le site est rédigé en une seule langue, l’anglais ;
  2. Rédaction dans d’autres langues : les éléments du site sont rédigés en plusieurs langues telles que l’anglais, le français, l’italien, le japonais, le chinois, le coréen, c’est-à-dire que c’est juste un travail de traduction qui est fait mot à mot mais pas du tout un travail d’interprétation différente ;

Par contre, en ce qui concerne l’analyse de l’adaptation, nous nous concentrons sur les différentes interprétations selon chaque pays. Dans ce cas, la conception des sites Web dépasse la limite de la traduction dans l’autre langue. Les contenus et les images de site sont très variées selon les pays et leurs cultures.

Ce sont ces deux distinctions qui conduiront notre recherche. Cette recherche devrait nous permettre de comprendre l’aspect actuel du système d’interprétation selon les différentes langues. Et elle pourrait nous permettre d’aborder des questions sur les multi-versions de sites Web et aussi montrer la nouvelle direction internationale la plus développée sur nos écrans.

Notes
191.

Interview avec Gilles WEIL, le vice-président de Lancôme, de CB News (CB News Lux), n°728, décembre 2002, p.86.

192.

Cf. l’article de Isabelle MUSNICK, dans la rubrique « Comment tenir avec une croissance à 1 chiffre ? » de CB News (CB News Lux), n°728, décembre 2002, p.40.

193.

Isabelle MUSNICK, Ibid., p.41.

194.

« Les Echos », 14 octobre 2002.

195.

Cf. l’article de Hélène KERHERVE, dans la rubrique « Chine : Le grand bond en avant» de CB News (CB News Lux), n°728, décembre 2002, p.60-62.

196.

Cf. l’article de Dominique HOELTGEN, dans la rubrique « Japon : le rêve des grandes marques » de CB News (CB News Lux), n°728, décembre 2002, p.64-66

197.

Cf. l’article de Eric, dans la rubrique «Thaïlande : La guerre du luxe secoue Bangkok » de CB News (CB News Lux), n°728, décembre 2002, p.67.

198.

Cf. l’article de Isabelle MUSNICK, dans la rubrique « Aider les marques françaises à se développer à l’étranger» de CB News (CB News Lux), n°728, décembre 2002, p.46.

199.

Jean-Marc DECAUDIN, Stratégies de publicité internationale, Parisn EL, 1991, p.7.

200.

V. TERPSTRA, International dimensions of Marketing, Kent, 1982.

201.

Phillip R. CATEORA, International marketing, Richard D.Irwin, 1990.

202.

La culture d’élite a été violemment attaquée, car considéré comme un instrument de sélection. Voir Pierre BOURDIEU, La distinction, Paris, Editions de Minuit, 1979.

203.

Claude LEVI-STRAUSS, Le regard éloigné, Paris, Plon, 1983.