1.1. Universalisation par une seule langue : l’anglais

Doit-on toujours traduire les publicités ? Utiliser une langue étrangère dans une publicité présente toujours le risque d’une mauvaise compréhension des messages. Cette difficulté est si forte que l’on parle d’un véritable obstacle des langues. Par ailleurs, l’homme est passionné de confort et ces produits sont les mêmes partout dans le monde. Les consommateurs semblent avoir un sentiment très fort de nationalisme et s’engagent pour défendre leurs particularismes nationaux. Ils ne souhaitent pas se voir complètement uniformisés dans un standard planétaire de consommation et défendent vigoureusement leurs racines. Ces spécialités se sont façonnées au cours des siècles et s’intègrent comme une part indélébile de leur drapeau. Face à cette pénurie, la tendance consiste actuellement à valoriser l’image aux dépens du texte car les photos, les dessins ou la couleur parlent plus fortement que les mots.

En ce qui concerne cette difficulté, la manque de reconnaissance des valeurs et des spécificités culturelles peuvent se traduire ridiculement. L’interculturalité n’est pas du tout facile à refléter sur la communication. La prise en compte de la dimension interculturelle est relativement récente dans le monde des marques de luxe internationales. Elle nécessite une approche multidisciplinaire qui va bien au-delà de la connaissance de la langue, de l’histoire et de la littérature. De ce point de vue, nous présentons deux démarches pratiquées : soit une démarche empirique consistant à collecter les différences socioculturelles, soit une démarche plus rationnelle fondée sur la réflexion, comme celle qui a été menée par deux professeurs d’anthropologies, Geert Hofstede et Edward T. Hall.

Hofstede 206 a mené une enquête auprès de 60 000 personnes de 53 nationalités différentes sur la base de 150 questions portant sur les différents aspects de leur comportement dans différentes circonstances : professionnelles, familiales, sociales… A la suite du dépouillement des réponses, l’universitaire a pu dégager quatre indices chiffrés permettant de caractériser la culture d’un pays.

  • L’indice de distance hiérarchique : la société nord-américaine a un indice faible. Il est facile d’approcher son patron. Au contraire, la société française a un indice plus élevé.
  • L’indice de contrôle de l’incertitude : certaines sociétés, comme c’est le cas en Allemagne, essaient de contrôler autant que faire se peut l’incertitude génératrice d’anxiété. Au contraire, les sociétés méditerranéennes acceptent mieux l’imprévu.
  • L’indice d’individualisme : celui-ci est particulièrement fort aux Etats-Unis. Nombre de films et de romans glorifient la réussite individuelle. Au contraire, certaines sociétés sont marquées par un indice faible, comme au Japon où c’est le groupe qui est dépositaire des valeurs de base.
  • L’indice de masculinité : la Suède est caractérisée par un indice relativement faible. Les Suédois sont amateurs de compromis et recherchent le consensus alors que les Français aiment plus la force et ne craignent pas le conflit. L’indice est plus élevé en France.

Il est également nécessaire de citer les travaux de Hall 207 qui a démontré que dans les cultures nordiques, le temps est linéaire et ne permet de faire qu’une seule chose à la fois. La communication est donc plus directe et plus organisée, comme c’est le cas en Allemagne. On dit que le temps est « monochronique ». Par contre, dans les pays du sud, le temps est pluridimensionnel ; il est « polychronique ». C’est également Hall qui a mis en valeur la notion essentielle en communication internationale de contexte riche et contexte faible. Plus le pays a un contexte faible, comme les Etats-Unis par exemple, plus il est nécessaire de donner dans le cadre de la conversation tous les éléments d’information et les clés de décodage du message. Au contraire, la France se présente comme une société à contexte riche. On aime à parler par sous-entendus, en faisant des allusions, ce qui rend la publicité française parfois difficile à comprendre par les étrangers.

Il est vrai que dans cet univers international, l’homme de marketing doit être attentif aux évolutions socioculturelles, comme les analyses de deux chercheurs ci-dessus, car les freins ou les évolutions socioculturelles peuvent s’intégrer dans les politiques locales de marketing. Le socioculturel se définit par des critères communs à tous les pays. Les différences s’expliquent par des écarts d’image et de jugement sur les produits et les attitudes des individus. Ces écarts peuvent être anticipés, tant en ce qui concerne la commercialisation des produits que dans les négociations qui gouvernent les décisions commerciales et celles des techniques de marketing.

Mais cela peut-il présenter des avantages ? Il semble que la réponse soit positive. L’universalisation par une seule langue peut être plutôt des mérites dans le secteur de marketing international de marques de luxe qui visent à créer et renforcer leur image mondiale. D’après Pétrov 208 , l’utilisation d’une langue étrangère dans une publicité semble augmenter sa capacité à attirer l’attention du public et engendre des scores de souvenir plus élevés. De plus, l’attitude envers une publicité de langue étrangère apparaît comme favorable par rapport à une publicité de langue locale. Ce constat est particulièrement intéressant dans le cadre d’une publicité standardisée.

Il y a cinq sites de grandes marques de luxe qui créent une seule version en anglais : Bally, Burberry, Lancaster, Sisley et Versace. Parmi eux, il y a un cas de site web qui annonce un futur plan de construction pour d’autres versions : Lancaster. Il va bientôt créer d’autres versions en langues européennes et des icônes qui ne fonctionnent pas encore l’indique : Royaume-Unis, France, Italie, Allemagne, Espagne et Pays Bas. Mais, les 4 autres sites n’ont pas encore conçu les autres versions de langues. Ces marques sont presque toutes d’origine anglaise ou italienne. C’est peut-être pour cela qu’ils sont satisfaits d’avoir une seule version quasi-universelle. Nous considérons ce phénomène comme un retard dans le sens de la marche du monde entier. Ou, nous pouvons aussi l’interpréter comme une sorte de fierté mais ce prétexte n’est pas suffisant. Il ne faut pas se laisser aller à ce genre de tendance, sinon, les marques peuvent provoquer l’indifférence des clients qui vivent dans le monde d’Internet.

Notes
206.

Geert HOFSTEDE, Vivre dans un monde interculturel. Comprendre nos programmations mentales, Les Editions d’Organisation, 1994.

207.

Edward T. HALL, Au-delà de la culture, Paris, Essais, Points, 1987.

208.

J.V. PETROV, « L’utilisation des langues étrangères comme moyen d’augmenter l’efficacité de la publicité : une approche expérimentale », RAM, volume 5, n°2, 1990.