2.2.4. Adaptation à travers les constituants plastiques

La composition, ou géographie intérieure du message visuel, est un outil plastique fondamental. La composition interne du message visuel est un des axes plastiques de l’image. Elle est étroitement liée au cadre. En ce qui concerne l’image publicitaire, la composition est étudiée de manière telle « que le regard sélectionne dans l’annonce les surfaces porteuses des informations clés » 237 , d’autant plus que l’on sait qu’il existe des modèles de lecture qui ne confèrent pas la même valeur aux différents emplacements de la page. Chaque composante correspond à des types de messages particuliers 238 .

Le « cadre » désigne le contexte visuel global dans lequel s’inscrit objets et personnages. Par extension, il renvoie aussi bien au décor qu’à l’arrière-plan. Dans les versions internationales, il apparaît comme un élément facultatif. La plupart des annonces représentent le produit en dehors de tout environnement, sur un fond uni. Mais l’absence de cadre n’implique pas le refus de toute mis en scène. En effet, lorsque celle-ci existe, elle a souvent une valeur intrinsèque, et à ce titre, elle communique du sens et produit de l’effet.

L’intérêt photographique manifesté pour le cadre varie selon les produits et les publics visés. Dans certaines publicités, il est réduit à quelques traits ayant une valeur indicielle ; dans d’autres, le souci de la mise en scène l’importe sur la simple esquisse. Tout lecteur vigilant peut constater une différence de cadres – certes minime mais signifiante – entre les multiples versions internationales. La plus courante est la transformation du cadre démonstratif en cadre décoratif lors du transfert publicitaire. Il s’agit d’un élément ornemental de la publicité traduite, modifiable et supprimable, car n’entretenant pas de lien particulier avec le reste de l’annonce.

Quant à nous, c’est la page du site elle-même qui devient une « fenêtre » qui délimite le champ de notre vision. La limite du support même pousse à compléter imaginairement le champ représenté par un espace plus large et non perçu. Nous voudrions insister que de quelque manière qu’on l’obtienne, elle préside à une conception de l’image culturellement très marquée, qui implique, au-delà des choix esthétiques, une véritable éthique de l’image. En effet, en masquant le caractère de représentation (construction) de l’image, on donne un énoncé visuel, une interprétation. C’est pourquoi il nous semble que l’examen du traitement du cadre nous peut fournir des informations précieuses sur les inductions de signification et d’interprétation du message visuel.

Péninou a rappelé « les configurations privilégiées » 239 que l’on retrouve dans l’image publicitaire. Elles sont au nombre de quatre :

Le rappel de ces principales configurations de l’image publicitaire n’a d’intérêt que si l’on se rappelle que celles-ci sont liées à des projets particuliers : le lancement d’un produit sur le marché emprunte volontiers la construction axiale dans laquelle le produit a le plus souvent le monopole de l’éclairage et de la couleur, projeté qu’il est vers nous ; rendre compte de l’existence du produit déjà connu se fera plus volontiers avec des constructions focalisées ; on attribue enfin au produit des qualités qui lui sont extérieures, avec une construction séquentielle qui déplace, au cours de la lecture, les qualités de l’annonce (décor luxueux, nature, mer, etc...) sur le produit.

La page d’accueil des sites web du luxe est normalement composée par des composantes presque identiques : les menus principaux, un mannequin, des textes. Les sites devraient donc révéler la différence avec la même structure. Les marques ont ainsi trouvé l’utilisation d’un mannequin célèbre, un nombre de page différent, des pages de qualité différente, etc. De plus, les informations présentées n’ont pas toutes la même valeur dans la mesure où les unes se caractérisent par un contenu alors que les autres servent à gérer ce contenu et son organisation (barre de menus, liens, icônes, etc.). L’étroitesse de la surface disponible augmente évidemment le nombre de pages-écrans par une quantité donnée d’informations. Ainsi les inconvénients dus à l’absence d’ergonomie visuelle s’ajoutent-ils aux limites de nos capacités mémorielles. Le grand art de bien des artistes réside dans leurs capacités à utiliser ces inconvénients pour les intégrer à leurs éléments de création.

A cet égard, concernant ce type de variation, le site anglais et le site irlandais sont des modèles du genre. L’analyse de ces versions permet d’apprécier le transfert publicitaire avec une modification partielle du cadre original. Mais cette modification ne concerne pas seulement l’iconographie : elle affecte aussi la signification globale du message publicitaire.

Ce qui est remarquable, ce n’est pas tant l’émergence de cette iconisation-verbalisation que son transfert systématique d’une langue à l’autre. Car celui-ci implique non seulement la traduction de l’énoncé iconisé, mais aussi la sauvegarde de la mise en forme originale. Pour les langues à caractères latins, cela ne pose pas de problème majeur, mais pour toutes les autres, le transfert appelle souvent une adaptation aux codes scripturaires et typographiques de la zone visée.

Par exemple, comparons la version anglaise et la version irlandaise puisqu’elles sont toutes deux anglophones et issues presque de la même culture. Deux versions sont presque identiques mais pas tout à fait : sur la page d’accueil, elles proposent la même publicité pour le produit « IMPACTIVE » ; le mannequin est le même (même posture, même regard...). Les textes sont aussi identiques, de plus, les dessins des caractères sont pareils. On constate ainsi, sur le plan iconographique, le maintien du même plan et du même angle de prise de vue. 

‘«  See the impact
Feel the difference
So silky, so hydrataded, so revitalised
IMPACTIVE
Triple performances cream
Stimulating silkening moisturizer (moisturiser) »’

Mais malgré ces points communs, on remarque un changement fondamental. Il s’agit de la couleur différente de l’arrière-plan et de la rose qui se situe au centre d’une tornade en arrière plan. Bien que la plupart des constituants soient quasiment pareils, cette différence de deux constituants nous donne une autre impression publicitaire. Le symbole de Lancôme, « la rose » peut plus facilement graver l’image du produit pour les Irlandaises grâce à l’aide de l’image de Lancôme. La rose qui est au centre d’une tornade, est vraiment comparable avec juste une tornade dans la version anglaise. Ce genre d’originalité permet de mesurer la particularité des versions de chaque pays.

Cette stratification iconique fait que les éléments de l’arrière-plan sont les seuls à déterminer le sens du message publicitaire. Or, ceux-ci diffèrent radicalement d’une version à l’autre, ce qui débouche sur un changement de signification malgré une apparente unité de perception. Il ne s’agit pas de la même mise en scène, de la même gestuelle et du même regard, il s’agit plutôt de la couleur (une tornade blanche sur l’arrière plan rose versus une tornade bleue sur l’arrière plan blanc) c’est le vrai constituant qui bouleverse la signification globale du message. Cela veut dire que le cadre est radicalement différent mais il correspond bien aux représentations dominantes de la sociabilité dans les contextes culturels auxquels le produit est destiné. De cette optique, le premier site peut se caractérisé par la chaleur, en raison de la tornade blanche qui nous rappelle le rayon du soleil sur l’arrière plan rose. Cette couleur est peut-être inspirée par le climat typique d’Angleterre puisque là-bas, on a toujours envie d’avoir le soleil. Par contre, le dernier nous donne une impression plus fraîche puisque cette tornade bleue convoque un tourbillon de la mer bleue. Donc nous pouvons dire que le pragmatisme détermine ainsi la nature du transfert iconographique en multi-versions des sites Web.

Cette variation concerne le changement de signification propre au message. Bien que le changement de cadre selon le marché visé soit courant, il s’agit ici de la variation touchant la culture de chaque pays. Par ailleurs, certains éléments visuels sont difficiles à ignorer : la dimension des caractères du texte. L’impression d’identité iconique entre les deux versions est aussi soutenue par une différence relative aux dimensions des caractères. Sur le site anglais, les quatre lignes des phrases partent du même axe vertical. En revanche, les quatre phrases irlandaises commencent par les différents axes verticaux donc ses lignes nous permettent de sentir plus d’activité et de rythme.

Notes
237.

Georges PENINOU, « Physique et métaphysique de l’image publicitaire », in Communications, n°15, Paris, Seuil, 1970, p.96-109.

238.

Georges PENINOU, Ibid., p.96-109.

239.

Georges PENINOU, Ibid., p.96-109.

240.

Martine JOLY, L’image et les signes, Paris, Nathan, 2002, p.120.