Dans la troisième partie de notre étude, nous nous sommes attachés à décrire les marketings spécifiques des marques de luxe sur le site Web. Nous avons essayé de montrer que l’importance grandissante de la marque de luxe était liée très explicitement à une série de marketing dynamique dans le site Web. Mais, arrivés à ce point, nous nous sentons confus parce que nous avons des soucis sur la méthodologie de recherche concernant l’identité de plusieurs marques de luxe. Comment venir à bout de la multitude d’éléments dont une identité de marque se compose ? Comment appréhender un phénomène constitué essentiellement de discours sur le site Web d’un matériau complexe par définition ? Par ailleurs, la description des aspects actuels du domaine du marketing nous a imposé la nécessité de trouver l’identité de la marque.
Il n’y a bien évidemment pas de méthodologie miraculeuse. La marque de luxe est un phénomène extrêmement complexe dont nous reconnaîtrions à peine l’articulation selon les valeurs. Quoi qu’il en soit, nous ne pouvons pas nier l’importance acquise par la marque de luxe dans les marchés à haute complexité, typiques des sociétés postindustrielles. Tout en étant conscient du rôle stratégique de la marque, on se contente dans la plupart des cas d’une sorte de navigation à vue, d’un mélange de savoir-faire, d’intuition et de chance. Définir la marque de luxe nous amènera donc à esquisser les fondements d’une théorie sémiotique concernant sa nature, son fonctionnement et ses valeurs.
Comme le note Kapferer dans son ouvrage consacré aux marques, il existe une spécificité de la marque de luxe. Pour lui, en effet, « la marque de luxe, plus que toutes les autres marques, témoigne d’un projet intérieur. Elle n’est pas une réponse à une demande, mais l’expression d’une volonté créative » 243 . De plus, il montre dans son même ouvrage à quel point une marque est multifacette. Pour lui une marque est en premier lieu « un physique », elle possède une personnalité propre, elle est « un univers culturel », « une relation », « un reflet » et enfin « une mentalisation » 244 .
D’après Semprini 245 , la marque, au travers d’images, raconte une histoire, et en cela, elle devient alors un vecteur de sens. Pour lui, l’identité d’une marque est « la résultante de ce complexe jeu d’interaction et de transformation ». Il est vrai que la marque et son identité sont constituées par une multitude de discours. Il est donc clair que la détermination de l’identité d’une marque et son pilotage nécessitent la mise en forme de ces multiples discours. C’est la raison pour laquelle nous nous attacherons particulièrement à argumenter et décrire la nature essentiellement discursive et sémiotique de la marque de luxe, sa capacité à attribuer de la signification et à construire des mondes. Il s’agira, dans cette partie, de tirer les conséquences de cette nature spécifique de la marque et d’appliquer à son analyse les méthodes mises au point dans les trente dernières années par la sémiotique, discipline dont l’objet d’étude est précisément le mécanisme de génération et de transmission de la signification.
C’est pour cela que notre objectif, tout au long de cette partie, sera finalement d’ouvrir cet univers et d’essayer de dire ce qu’est une marque de luxe grâce aux sites Web : fonder une théorie de la marque et une méthodologie pour la définition et la structuration de son identité. Cela sera une partie mêlant plusieurs territoires dans le domaine de l’analyse du luxe : sociologie, économie et sémiologie.
Pour notre étude, l’analyse de la communication de la marque concerne toutes les formes de discours entièrement liées aux images et discours du site Web. En fait, la marque de luxe véhicule une panoplie très vaste d’outils de communication, le site Web, qui contribue d’une façon déterminante au capital d’identité d’une marque. Donc notre analyse s’attachera à définir l’identité de la marque, telle qu’elle apparaît dans notre outil de communication qui est le site web. En utilisant les concepts fournis par la sémiotique (surtout le carré des axiologies de la consommation), cette analyse définira quelle est la façon spécifique de mettre en discours les valeurs de base de la marque et quels sont les éléments (thèmes, personnages, décors, musique, etc.) qui identifient la marque et la différencient des autres.
Pour Kapferer, l’identité de la marque est « le socle unique d’une marque, alors que l’image dont elle est perçue par le public. Quand on crée une marque, il n’y a pas encore d’image, mais seulement une identité définie, celle-ci est de l’émission, de la stratégie ; alors que l’image, elle, est de réception, du résultat »246.
En fait, contrairement à la communication publicitaire du magazine, l’affiche et le catalogue - les supports principaux des produits de luxe – qui ne supportent que des inscriptions fixes (texte, image), la surface de l’écran du site Web accepte le mouvement visuel auquel est parfois associé du son. D’après Jean-Pierre Balpe « un hypermédia est un ensemble d’informations appartenant à plusieurs types de médias (texte, son, image, logiciel) pouvant être lu (écouté, vu) suivant de multiples parcours de lectures, en utilisant également la possibilité de multi-fenêtrage. (...) Un hypermédia n’est rien d’autre qu’un hypertexte gérant des « textes » supportés par des médias divers » 247 , notre corpus est certainement un grand hypertexte.
Le discours du site se présente ainsi comme un hybride complexe, en raison des compositions sans limite qu’il permet entre le texte, l’image et le son et surtout de la diversité de ses composantes. Il importe donc d’en recenser les constituants qui forment à la fois des données préconstruites par le marketing et des éléments transformables dans la production de chaque site Web. Par ailleurs ces constituants fournissent autant de bases signifiantes sur lesquelles les significations informatives et persuasives sont facteurs de l’efficacité argumentative du genre publicitaire. Le site Web publicitaire se fonde sur un triple système, figuratif, verbal et auditif, aux principes interrelatifs. Donc notre recherche reposera sur l’analyse du triple aspect du site Web.
D’abord, le chapitre I aura pour préoccupation centrale la présentation d’un outil d’analyse élaboré à partir du carré des axiologies de la consommation de Jean-Marie FLOCH 248 . Cet instrument, constitué par la sémiotique des valeurs de la consommation, nous semble particulièrement utile pour l’analyse du positionnement des marques, car ce sont précisément des valeurs qui définissent leur identité profonde. Ensuite, nous nous proposons d’en examiner la nouvelle grille transformée par Semprini 249 qui est constituée par les différentes dimensions du positionnement (utopique, pratique, critique et ludique) ainsi que les différents quadrants du mapping (le Nord-Ouest, le Nord-Est, le Sud-Est et le Sud-Ouest).
Dans le chapitre II, nous nous attacherons à définir un certain nombre de dimensions pour repérer ce qui nous semblent appropriées pour un positionnement correct des valeurs d’une marque de luxe dans les différents quadrants du système. Ces dimensions seront positionnées sur le mapping sémiotique des valeurs de Semprini même si cette grille est encore transformée par nous.
Dans le chapitre III, nous allons essayer de montrer l’utilité de notre mapping sémiotique pour l’analyse des marques de luxe. Nous verrons qu’elles sont traversées et structurées par un certain nombre d’axes conceptuels et que ces axes peuvent être définis à l’aide des quatre quadrants des valeurs de la consommation. Une fois les logiques de structuration définies, il sera relativement aisé de disposer les 20 marques dans les différentes parties du mapping.
Jean-Noël KAPFERE, Les marques : capital de l’entreprise, Paris, Edition d’Organisation, 1998, p.84.
Jean-Noël KAPFERE, Ibid.,p.109-109.
Andréa SEMPRINI, La Marque, Paris, PUF, 1995, p.30-34.
Jean-Noël KAPFERE, Les marques : capital de l’entreprise, Paris, Edition d’Organisation, 1998, p.84.
Jean-Pierre BALPE, Hyperdocuments, Hypertextes, Hypermédias, Paris, Eyrolles, 1990, p.18.
Jean-Marie FLOCH, Marketing, sémiotique et communication, Paris, PUF, 1990.
Andrea SEMPRINI, Le marketing de la marque, Paris, EL, 1992.