CHAPITRE I :
Le carré sémiotique des valeurs de la marque

1. Le carré sémiotique des axiologies de la consommation

Dans son ouvrage, Marketing, sémiotique et communication 250 , Floch effectue un examen comparatif de plusieurs publicités Citroën (surtout filmiques). Notre auteur propose d’abord une matrice profonde des différentes valorisations automobiles qui s’est élaborée autour de quatre concepts disposés selon une structure quadrangulaire : il s’agit du fameux carré sémiotique des axiologies de la consommation.

La communication de Citroën des années 80 peut être définie à l’aide de quatre concepts différents : un concept pratique, un concept utopique, un concept critique et un concept ludique. A partir de cette distinction, Floch a profondément analysé l’histoire de la communication de la marque et l’évolution de son discours de communication. Ces quatre phases jouent un rôle utile dans l’analyse de l’identité d’une marque et dans l’identification de son positionnement.

Tableau 28
Tableau 28

A un niveau plus superficiel, un tel carré peut expliquer le parcours narratif d’un film publicitaire, comme celui du lancement de la BX Citroën, dont les séquences en actualisent successivement trois pôles :

Tableau 29
Tableau 29

Le même carré sémiotique 251 sous-tend l’évolution des campagnes Citroën dans les années 80. Alors qu’en 1981 elles se concentraient sur la valorisation pratique (mise en scène du confort), en 1984 elles jouaient avant tout sur la valorisation ludique (représentation de la voiture qui décoiffe, en « chevrons sauvages »). Ainsi, la méthode de Floch associe les techniques de l’induction et de la déduction comme suivant : à partir d’un corpus d’images, il construit une matrice qui en contient les virtualités signifiantes. Cette matrice lui permet à son tour d’expliquer et de rationaliser la diversité des relations plastico-sémantiques dispersées à chacun des niveaux ou à chacun des développements du corpus en question.

En effet, Floch avait déjà utilisé ces concepts bien avant dans l’analyse des discours des consommateurs concernant l’hypermarché idéal 252 . Dans cette étude, il a voulu adapter ce carré sémiotique pour identifier quatre attitudes de consommateurs :

  • attitude consumériste qui mise le rapport qualité / prix,
  • attitude corvéable s’intéresse à la rationalité de la disposition des produits,
  • attitude chineur qui aime flâner et s’attarder au rayon de bouquin,
  • attitude conviviale qui conçoit l’hypermarché comme un lieu de rencontre et de socialisation,
Tableau 30
Tableau 30

Les concepts utilisés (pratique, utopique, critique et ludique) ont une portée générale parce qu’ils sont fondés sur une catégorie très générale de la sémiotique sémio-narrative, celle qui oppose les valeurs de base aux valeurs d’usage. Dans tout discours, on peut identifier des valeurs de base qui donnent un sens à la quête du sujet du discours. Ces valeurs sont non seulement plus profondes ou universelles, mais aussi fondamentales pour le discours, l’objectif ultime, la finalité du sujet. Par contre, les valeurs d’usage jouent un rôle instrumental. Elles participent pour justifier et orienter les comportements du sujet. Par ailleurs, elles ne trouvent leur place qu’en fonction des valeurs de base à l’acquisition desquelles elles vont contribuer.

Cette opposition a été déjà définie par Greimas en 1966 253 ou par Baudrillard en 1968 254 . Dans Le système des objets, Baudrillard posait  la question de savoir« comment les objets sont vécus, à quel besoin autre que fonctionnels ils répondent, quelles structures mentales s’enchevêtrent avec les structures fonctionnelles et y contredisent, sur quel système culturel – ou transculturel, est fondée leur quotidienneté vécue ». 255

Floch développe encore les valeurs d’usage comme valeurs pratiques et les valeurs de base comme valeurs utopiques. Il ajoute les valeurs ludiques et les valeurs critiques à travers l’extension du champ sémantique de l’opposition principale. Il est vrai que cette opération du carré sémiotique permettra d’améliorer l’étendue sémantique d’un concept en adaptant jusqu’à l’exploration de l’univers de la marque. Quoi qu’il en soit, nous ne voudrions pas nous arrêter aux avantages du carré sémiotique, nous souhaiterions plutôt participer à la construction d’un mapping sémiotique semblable à celui qui a été mis en forme dans les travaux de Semprini 256 .

Notes
250.

Jean-Marie FLOCH, Sémiotique, marketing et communication, Paris, PUF, 1990, p.119-152.

251.

Le carré sémiotique présente l’avantage de considérer le sens sous ses dimensions « contraires » : MASCULIN (homme) vs FEMININ (femme), mais aussi «contradictoires » :  NON MASCULIN (efféminé) vs NON FEMININ (garçon manqué) qui le structurent en profondeur. Cela introduirait, par exemple, une tension et l’examen d’autres relations potentielles dans l’étude de surface du sème /masculinité/ proposé par Louis PORCHER, Introduction à une sémiotique des images, Paris, Didier-Credif, 1976.

252.

Jean-Marie FLOCH, Sémiotique, marketing et communication, Paris, PUF, 1990, p.149.

253.

Algeirdas Julien GREIMAS, Sémantique structurale, Paris, Larousse, 1966 (réédition : Paris, PUF, 1986).

254.

Jean BAUDRILLARD, Le système des objets, Paris, Gallimard, 1968.

255.

Jean BAUDRILLARD, Ibid., p.9.

256.

Andrea SEMPRINI, Le marketing de la marque, Paris, EL, 1992, p.77-101.