4. La partie ludique

La partie ludique peut se décrire, par opposition à la valorisation critique, par l’adhésion, la complicité, la participation avec son objet. Tandis que la valorisation critique écoute l’ordre du rationnel et de l’analytique, la valorisation ludique relève souvent de l’ordre de l’émotionnel et du fusionnel. Comme Semprini, ce qui est le plus important pour cette valorisation est « d’arriver à estomper les éventuelles valences critiques d’un produit, pour mieux en faire saillir les dimensions émotives, sensibles et plus généralement inscrites dans le champ des plaisirs » 267 . Dans le sens de la valorisation ludique, un produit devient une source de plaisir et aussi joue un rôle à la fois régressif et dédramatisé du monde.

Tableau 36
Tableau 36

Il est évident que la valorisation ludique a des points communs avec la valorisation pratique. C’est parce que tous les deux reposent sur l’horizon identique du produit. Les valeurs ludiques sont des valeurs en soi, qui ne prétendent pas à quelque forme de transcendance. Le produit ludique est, d’une part, comme l’objet pratique, un objet autosuffisant qui trouve en lui-même sa légitimité et ses valeurs. D’autre part, la valorisation ludique a quelques points communs avec la valorisation utopique car les deux ne relèvent pas du principe de réalité. L’espace compris entre l’utopique et le ludique représente un projet plus individuel que collectif. Ce genre de projet vise rarement des finalités définitives et décisives. Il s’agit plutôt d’une utopie individuelle qui focalise un dépassement de soi, mais pas nécessairement, avec un projet collectif.

Par contre, la valorisation utopique et la valorisation ludique ont un autre aspect commun. D’après Semprini, « le champ des plaisirs, la recherche du bonheur individuel, le besoin de distraction et de divertissement se déclinent de façon fort différente selon le type de publics envisagé, le type de produits concerné, la situation contextuelle et le climat psychologique » 268 . Le fait qu’une marque fonde son identité sur des valeurs ludiques, présente non seulement des avantages importants, mais aussi de gros dangers : les premiers proviennent de la forte complicité que la marque peut établir avec son public, les derniers viennent de la facilité de la casser par ce même public, au cas où le charme ne marcherait plus.

En se déplaçant vers le pôle pratique, cette partie du mapping exprime comment la localisation et le type de valeurs varient de façon importante. La valorisation ludique se définit comme quête de plaisir et d’émotion, lorsque nous nous trouvons près de l’Utopique. Cette recherche de plaisir prend presque des tonalités de métamorphose et de dépassement. Dans cette partie du mapping, le projet individuel se réalise sous la forme de la valorisation de l’expression et de la créativité. La valorisation de la dimension esthétique des produits est souvent consacrée à une participation et intensité des situations et de sa propre vie. Par ailleurs, le refus d’une logique exclusivement rationnelle et l’intégration de la rationalité par l’enthousiasme s’inscrivent aussi dans ce besoin constant d’intensité et de dépassement.

D’autre part, en s’approchant du pôle pratique, la valeur ludique se modifie en intégrant d’autres valeurs. Le besoin d’exploration devient quête de la nouveauté et l’investissement personnel se transforme en une forme d’hédonisme. En d’autres termes, cette partie du mapping se définit par la valorisation de tout ce qui permet l’évasion, la décontraction. La recherche du plaisir s’adapte à des moyens les plus concrets et les plus explicites sous le renouvellement fréquent. Par exemple, la forme du jeu est conçue comme une activité qui permet de décompresser ou de refouler les aspects déplaisants de l’existence. En passant de l’Utopique au Pratique, la valorisation ludique perd son aspect d’investissement personnel. L’individu est ainsi progressivement « passivisé ». En effet, nous constatons que le Ludique se limite à être une pure stimulation externe, censée véhiculer distraction et amusement.

Notes
267.

Andrea SEMPRINI, Ibid., p. 90.

268.

Andrea SEMPRINI, Ibid., p. 84.