Le quadrant de l’Euphorie se place à la convergence de la valorisation ludique et de la valorisation pratique. Nous avons choisi le terme Euphorie comme Semprini pour évidemment montrer la valorisation des dimensions psychologiques et émotionnelles de ce quadrant. Ce terme euphorie se justifie par la quête systématique de la positivité au niveau émotionnel. Dans ce sens, les produits ont pour rôle d’affecter l’atmosphère psychologique des lieux et des individus. Ce quadrant entre Pratique et Ludique repose sur l’utilité technique de l’objet en superposant une fonction psychologique. Donc l’aspect euphorique vient souvent de la justification de l’existence d’un produit ou d’un service. L’analyse du « gadget » de Baudrillard en 1970 269 élabore bien ce point de vue :
‘ « Ce qui définirait le gadget serait son inutilité potentielle et sa valeur combinatoire ludique. (...) Le gadget se définit en fait par la pratique qu’on en a, qui n’est ni de type utilitaire, ni de type symbolique, mais ludique. C’est le ludique qui régit de plus en plus nos rapports aux objets, aux personnes, à la culture, au loisir, au travail parfois, à la politique aussi bien. C’est le ludique qui devient la tonalité dominante de notre habitus quotidien, dans la mesure précisément où tout, objets, biens, relations, services, y devient gadget. Le ludique correspond à un type d’investissement très particulier : non économique (objets inutiles), non symbolique (l’objet gadget n’a pas d’ » âme», il consiste en un jeu avec les combinaisons. » 270 ’Cette valorisation euphorique se réalise par des modalités variées en raison de la forte subjectivation et psychologisation de la culture de ce quadrant. Ce point-là est important pour notre recherche car nous positionnerons plusieurs marques de luxe à l’intérieur de ce quadrant. Il y a plusieurs types de valorisation de l’émotionnel, mais nous nous limiterons ici à décrire certains types qui apparaissent le plus fréquemment dans la culture du luxe. D’abord, il y a la logique de l’euphorisation traditionnelle : le produit ou la marque présente un discours rassurant, positivant, tranquillisant. Il y a ensuite l’euphorisation à travers la surprise et le divertissement : le produit et la marque amusent et entretiennent avec humour et gaieté. Ici tout n’est pas nécessairement positif, ce qui compte est plus l’effet de surprise, et ce qui est important est de capter l’attention, d’amener au produit ou à la marque en parlant d’autre chose. Et enfin, il existe une euphorisation à travers l’excès et la transgression. Dans ces cas, le rapport entre praticitéet ludicité est sans doute contradictoire. C’est la caractéristique du produit « inutile », mais malgré tout on l’aime parce que cela est peu fonctionnel mais tellement sympathique.
Jean BAUDRILLARD, « Le gadget et le ludique », La société de consommation, Paris, Denoël, 1970, p. 169-174.
Jean BAUDRILLARD, Ibid, p. 172.