La culture américaine est profondément imprégnée de références bibliques et les terres foulées par les prophètes, Jésus Christ et ses apôtres exercent un pouvoir d'attraction très fort sur des esprits formés en son sein. Il n'est donc pas surprenant qu'un certain nombre de missionnaires américains soient apparus sur ces lieux saints au début du dix-neuvième siècle 611 . Leur intention initiale semble avoir été purement missionnaire 612 . Lorsque Fisk et Parsons arrivèrent au Proche-Orient en 1819, envoyés par The American Board of Commissioners for Foreign Missions, ils venaient dans le but de convertir les juifs de Palestine 613 . Après quelques péripéties, ils quittèrent Jérusalem et vinrent s'établir à Beyrouth en 1825 614 .
Parsons et Fisk avaient des instructions très précises quant à ce qu'ils devaient y faire , en particulier, apprendre les langues locales et se familiariser avec la culture de la région 615 . Il ne s'agissait pas, pour eux, d'aller ouvrir des écoles, mais d'aller convertir. Le problème des missionnaires protestants fut d'abord de trouver des appuis pour leur tâche. Nous l’avons déjà dit, les catholiques, dès leur arrivée, avaient été accueillis chaleureusement par les maronites avec lesquels ils entretenaient des relations de longue date. Mais, avant l'arrivée de l'American Board, il n'y avait pas de communauté protestante au Levant 616 . C'est ainsi qu'ils se rapprochèrent des Anglais et se mirent sous leur protection 617 . C'est parmi les communautés arméniennes et grecques orthodoxes que les protestants trouvèrent le meilleur accueil. Ils cherchèrent également à s'établir parmi les Druzes, dont nous avons souligné auparavant, l’opportunisme 618 . Ils durent surtout faire face à une sévère concurrence, voire à une opposition parfois véhémente et violente, de la part des catholiques, surtout des Français 619 .
La différence essentielle entre missionnaires français et missionnaires américains était d'ordre politique. Les premiers étaient soutenus par le gouvernement français et étaient les moyens de sa politique d'implantation au Proche-Orient. Les seconds étaient commandités par des associations philanthropiques qui, à première vue, étaient dénuées de visées politiques hégémoniques. C'est probablement ce qui a valu aux Etats-Unis cette réputation de désintéressement qui, lors de la partition du Levant, a fait souhaiter aux Syriens lassés de la France, un mandat américain 620 . C'est aux missionnaires américains que les partis pro-français imputèrent une propagande qui leur était contraire, allant à l'encontre de la réputation de désintéressement et de non-ingérence que les Etats-Unis s’étaient gagnée. Si, pour les Etats-Unis, il ne s'agissait pas d'une ingérence comme celle de la France, évidente, sans intention de se dissimuler, il s'agissait d'une infiltration subtile de l'esprit : ne pas s'imposer par une présence extérieure, mais suggérer, insuffler un certain type de principes, de modes de pensées indéniablement américains. C'est ce vers quoi les missionnaires tendirent au fil des ans, en adaptant leur travail missionnaire, de la propagation de la foi à la propagation des écoles.
« L'activité missionnaire [a] été régénérée, au cours des années 1820, par des pasteurs protestants américains. Trouvaient-ils une présence économique ou politique des Etats Unis en cette région du monde? La question est vaine. C'était vers leurs propres horizons que les Américains regardaient. Chez eux, la poursuite de l'action demandait des vertus d'endurance et d'effort que magnifiait une aspiration religieuse particulièrement vive au début du XIXe siècle. L'exploration des pays de la Bible justifiait l'esprit d'entreprise en Nouvelle-Angleterre et la marche vers l'Ouest, et y puisait sa propre justification. L'emblème de la force de Salomon, les cèdres du Liban , appartenaient à l'acquis mental des Américains, grâce aux églises réformées et à la franc-maçonnerie; des localités furent appelées « Cedars of Lebanon « . Ce fut pour l'âme du peuple américain que des missionnaires protestants arrivèrent à Beyrouth en 1823. » (Chevallier, Dominique. La société du Mont Liban à l'époque de la révolution industrielle en Europe. p. 256-257.)
Tibawi, A.L. American Interests in Syria. p. 48.
Crivelli, C. s.i. Protestanti e Cristiani Orientali. p.400. Voir Tibawi, A.L. «The Genesis and Early History of the Syrian Protestant College» in The Middle East Journal, vol. 21 (1967) 1-15 et 199-212. D'autres sociétés missionnaires les suivirent, avec des buts similaires, telles que la London Society for Promoting Christianity among Jews, qui arriva à Jérusalem en 1820. (Voir Hornus, Pasteur Jean-Michel. «Le protestantisme au Proche Orient» p.142-143.)
Hornus, Pasteur Jean-Michel. «Le protestantisme au Proche Orient» p.144.
Tibawi, A.L. «The Genesis and Early History of the Syrian Protestant College» in The Middle East Journal, vol. 21 (1967) 1-15 et 199-212.
Antonius, George. The Arab Awakening. p. 36.
Chevallier, Dominique. La Société du Mont Liban à l'époque de la révolution industrielle en Europe. p. 258.
Chevallier, Dominique. La Société du Mont Liban à l'époque de la révolution industrielle en Europe. p. 258.
Chevallier, Dominique. La Société du Mont Liban à l'époque de la révolution industrielle en Europe. p. 257.
S'appuyant sur divers discours du Président Wilson, les Syriens croyaient à la neutralité des Etats-Unis. «Les Etats-Unis ... ne recherchent aucun profit matériel, aucune extension de territoire quelconque. Les Etats-Unis ne se battent pour aucun avantage, pour aucun objectif égoïste, mais la libération de tous les peuples exposés à l'agression des pouvoirs autocratiques ... Nous nous battons pour la liberté, pour le régime démocratique, pour le développement autonome de tous les peuples.» (Président Wilson, Lettre du 9 juin 1917 publiée à Washington, citée in Khairallah, K.T. Le problème du Levant. p. 138. Voir aussi discours du 27 septembre 1918, cité p. 165-166.) Devant une telle affirmation de désintéressement («aucun profit matériel » « aucun avantage... aucun objectif égoïste») et de soin mis à se démarquer de toute attitude qui puisse être interprétée comme relevant d’un projet impérialiste («aucune extension de territoire»«développement autonome»), on ne sera pas surpris d'entendre tant de voix réclamer la tutelle américaine.